À défaut d’une participation aux Jeux, CPT se qualifie pour les Mondiaux

(Tokyo) Il y a une ligne. Tout le monde ne peut pas aller aux Jeux, alors il faut une ligne. D’un côté, tu as ton ticket. De l’autre, tu restes chez toi. Et tout autour de cette ligne, des milliers d’athlètes qui se tiennent, jamais tout à fait certains du côté où ils se trouveront à la fin.

Ça tient à presque rien. Tu es blessé au mauvais moment, tu rates ta chance pour quatre ans. Une concurrente est blessée ? C’est toi qui prends sa place…

C’est arrivé à la planchiste Annie Guglia. Qualif ratée à Rome en juin. C’est foutu, elle est du mauvais côté de la ligne. Elle allait partir en vacances pas plus tard que la semaine dernière, elle ne pensait plus aux Jeux olympiques. Une fille se blesse… On l’appelle : paquette tes affaires, tu viens aux Jeux ! Elle passe de l’autre côté de la ligne, hop dans l’avion, elle sera de la première compétition de skateboard olympique.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Malgré les nombreuses difficultés pour se rendre finalement aux Jeux et son élimination hâtive, Annie Guglia était heureuse de participer à la première épreuve olympique de skateboard. C’était le plus beau moment de sa vie, a-t-elle affirmé au terme de la compétition.

Ça n’a pas duré, comme vous savez. Elle n’a pas même traversé les qualifications. Sans préparation, pas vraiment étonnant. Mais loin de trouver son sort cruel, elle disait au contraire que c’était le plus beau moment de sa vie.

Andy Murray déclare forfait quatre heures avant son match contre Félix Auger-Aliassime ? On invite un joueur de double australien, 190e raquette au monde : viendrais-tu jouer en simple sur le court central ? Ça s’appelle traverser la ligne de justesse. Et il bat le Québécois, en plus…

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Charles Philibert-Thiboutot, qui a goûté aux Jeux de Rio, est resté de l’autre côté de ligne. Ça n’a tenu qu’à un coup de vent.

Tout le printemps, il avait « dans les jambes » de quoi faire le standard olympique au 1500 m, il en était sûr. Mais au championnat canadien à Montréal, ce soir-là, le vent était brutal. Il a fait 3 min 40 s au lieu de 3 min 35 s Deux jours plus tard, la date limite de qualification, avec un départ un rien trop rapide… Il a manqué de jus, il a crispé. C’était foutu.

Puis hier, pendant qu’Annie Guglia remballait ses trucs tout sourire à Tokyo pour rentrer au Québec, Philibert-Thiboutot faisait une de ses meilleures courses à vie en Californie. Son troisième temps à vie : 3 min 34 s 43 (son record, qui remonte à 2015, étant de 3 min 34 s 23). C’est aussi le 40e chrono au monde cette année sur cette distance archi-compétitive. À 300 m de l’arrivée, il avait exactement le même chrono qu’à sa dernière tentative (2 min 38 s). Mais il avait mieux réparti l’énergie, et il a fini en 3 min 34 s au lieu de 3 min 37 s.

Presque rien. Mais énorme en même temps. La ligne était franchie.

« C’est sa course dont je suis le plus fier à vie, me dit son entraîneur Félix Lapointe », au bout du fil. La majorité des athlètes auraient abandonné après avoir raté une qualification olympique dans une année aussi difficile (quarantaines, blessure infligée par les crampons d’un adversaire, difficultés de voyager, etc.). Mais Charles m’a dit : “On continue la saison.” »

Il a remis ses crampons début juillet pour battre le vieux record québécois du 1000 m, distance peu courue, un record détenu depuis 30 ans par Pierre Léveillé. Il a couru 2 min 18 s.

Et voilà qu’il obtient confortablement le standard olympique… mais trois semaines trop tard.

« C’est doux-amer, me dit le coureur de demi-fond. Tous mes amis sont au Japon, je reçois des messages de Tokyo, on aimerait ça que tu sois là, on s’ennuie de toi… Je n’ai jamais douté que j’étais au bon niveau, mais ç’a été malchance après malchance, échec après échec après échec. Ça me pince un peu le cœur, c’est sûr, mais j’ai mon standard pour les Championnats du monde en 2022. » (à Eugene, en Oregon).

Même si le Canadien Justyn Knight a réalisé le standard au 1500 m (3 min 33 s 41), il a choisi de courir au 5000 m, où ses chances sont meilleures.

Résultat net : aucun Canadien n’est inscrit au 1500 m.

Depuis les Jeux de Rio, Philibert-Thiboutot n’a à peu près pas eu de saison sans blessure. Il n’a jamais retrouvé le niveau de 2015-2016. Il a finalement perdu son financement par Athlétisme Canada. Dégringolé au classement. Il lui reste son commanditaire (New Balance), mais ses revenus sont divisés par trois.

« C’est ingrat, mais c’est comme ça, le sport : personne ne te doit rien, c’est les résultats qui parlent. »

Alors, de s’accrocher, de persister, de revenir au sommet, pour traverser finalement cette ligne cinq ans plus tard est d’autant plus spectaculaire.

Il n’a d’ailleurs pas l’intention de s’arrêter. Il parle déjà de Paris en 2024…