(Tokyo) À Rio, elle a décroché la première médaille olympique féminine de l’histoire pour l’Iran. Le bronze au taekwondo, à seulement 17 ans, a valu à Kimia Alizadeh de devenir une immense vedette dans son pays. Et une icône du régime.

À Tokyo, cinq ans plus tard, elle concourait comme réfugiée politique, membre de cette équipe spéciale de 29 athlètes ayant fui leur pays.

Écœurée par un régime « hypocrite », elle est partie en 2020 avec son mari, un joueur de volleyball professionnel, pour s’installer en Allemagne. En janvier 2020, dans une conférence de presse fracassante, elle est apparue publiquement sans le voile avec lequel elle avait toujours concouru, et qui est obligatoire en Iran.

« J’ai porté tout ce qu’ils m’ont dit de porter, j’ai répété tout ce qu’ils m’ont ordonné de dire, ils ont mis mes médailles au crédit du voile obligatoire, mais aucune d’entre nous n’a d’importance pour eux », a-t-elle dit.

Son premier match à Tokyo, dimanche matin ?

Le hasard, qui pratique souvent l’ironie, a voulu que ce soit contre la nouvelle championne iranienne. Alizadeh a battu à plates coutures son adversaire voilée, devant toute la presse de son pays d’origine – où elle est encore très populaire, m’ont dit des collègues iraniens.

Le hasard aussi, qui n’est jamais en reste, a voulu que ce soit le lendemain de la médaille d’or au tir de son ex-compatriote Javad Foroughi.

Après l’Iranienne, Alizadeh a battu une Anglaise. Puis une Chinoise. Elle s’est retrouvée en demi-finale. Aurait-elle la première médaille de l’équipe des réfugiés ?

Non, c’est là, juste au pied du podium, que son parcours s’est arrêté.

Dans ce corridor où passent les athlètes après la compétition qu’on appelle la « zone mixte », la femme de 22 ans était inconsolable. Elle est passée tout droit en pleurant devant nous – dix journalistes iraniens, un Américain et moi.

« Elle voulait l’or, seulement l’or », m’a dit Helena Stanek, une ex-taekwondoïste allemande qui aide Alizadeh depuis son arrivée.

Elle n’avait rien à dire. Il n’y a pas toujours quelque chose à ajouter.

PHOTO JAVIER SORIANO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Kimia Alizadeh (en rouge) en action contre la Turque Hatice Kubra Ilgun lors du match pour la médaille de bronze

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L’équipe des réfugiés est une nouveauté qui remonte aux Jeux de Rio en 2016. Il y a déjà eu des athlètes « indépendants » par le passé, c’est-à-dire sans affiliation nationale. Mais l’équipe des réfugiés se veut un engagement social du CIO. Elle met l’accent sur les « déplacés », le plus souvent par des guerres ou l’oppression politique. Ils viennent du Darfour, de la Syrie, de la République démocratique du Congo, du Venezuela, du Cameroun, etc. Certains ont été sélectionnés dans des camps de réfugiés. Une cycliste d’origine afghane a fui son pays pour la France, pour pouvoir continuer à faire du vélo, une activité jugée non convenable pour les femmes en Afghanistan.

Tous ont une histoire marquée par une des tragédies du siècle. Tous sont d’excellents athlètes, à qui on a fourni de l’encadrement pour l’entraînement, des bourses d’études, etc.

Mais aucun d’entre eux ne s’approche d’une médaille olympique, ou même d’une finale en athlétisme, par exemple.

L’arrivée d’Alizadeh vient un peu bousculer le concept, pour deux raisons. D’abord, elle se joint à l’équipe en tant que médaillée olympique. Ensuite, elle n’a pas été déplacée dans un large mouvement de population à cause d’une guerre, elle a quitté son pays seule avec son mari pour dénoncer la dictature religieuse iranienne. En créant cette équipe, Thomas Bach et le CIO voulaient attirer l’attention du monde sur les 82 millions de « personnes déplacées » (selon les chiffres du Haut Commissariat pour les réfugiés), la plupart réfugiées dans un pays voisin, souvent dans des camps – un nombre qui a doublé depuis 10 ans. Il n’avait certainement pas ce genre de cas de figure en tête, si l’on se réfère aux propos de 2015, quand il a lancé l’initiative.

On se rend compte d’ailleurs que le CIO doit gérer diplomatiquement le récit. Dans les notes biographiques d’Alizadeh, on glisse sur les raisons de son départ de la « République islamique d’Iran ».

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« Quand elle est arrivée en Allemagne, Kimia voulait faire partie de l’équipe allemande aux Jeux de Tokyo, m’explique Helena Stanek. Elle était un peu naïve, ce n’est pas aussi simple que ça. »

Même en devenant citoyen d’un nouveau pays, ou en ayant la double nationalité, un athlète doit attendre trois ans avant de changer de drapeau aux JO. Sauf si les deux pays acceptent.

Elle a obtenu le statut de réfugiée en Allemagne, mais c’est seulement en juin qu’elle a été intégrée à l’Équipe olympique des réfugiés, qui concourt sous le drapeau olympique.

« En Allemagne, son arrivée a été une immense nouvelle, tous les journalistes couraient après elle. On lui a dit : donne une conférence de presse une fois pour toutes, ce sera réglé. »

C’est ce que la jeune femme a fait. Mais au lieu de calmer le jeu, ça n’a fait qu’accroître l’attention.

« Elle était complètement dépassée par tout ça, elle n’a plus voulu parler publiquement après. Elle cherchait seulement un endroit où elle pourrait avoir une vraie vie personnelle, qu’on la laisse tranquille. Elle voulait juste être libre. »

Nous l’avons donc laissée tranquille.

Des fois, il n’y a rien d’autre à déclarer.

Des fois, les gestes parlent assez du courage.