Il aura fallu cinq longues années pour que les blessures causées par la rupture entre InterBox et Yvon Michel se cicatrisent. Cinq années pour que les deux principaux promoteurs de boxe au Québec enterrent la hache de guerre et acceptent de travailler de nouveau ensemble. Le combat de championnat du monde des mi-lourds du WBC, qui opposera Adrian Diaconu à Jean Pascal, le 19 juin au Centre Bell, marque la première étape d'une collaboration qui pourrait avoir des suites. Anatomie d'une réconciliation.

Après cinq années ponctuées de coups de gueule et de coups en bas de la ceinture, il était sans doute inévitable que la réconciliation entre InterBox et le Groupe Yvon Michel passe par le palais de justice de Montréal.

C'était au début du mois de mars. Yvon Michel et le patron de facto d'InterBox, Jean Bédard, n'avaient pas rendez-vous devant un juge, mais plutôt dans le bureau du chef de cabinet du ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis. Et ils étaient là pour plaider une cause commune: la réduction des frais de sanction qu'exige la Régie des alcools, des courses et des jeux aux promoteurs de sports de combat.

L'enjeu n'est pas anodin: les règles actuelles obligent les promoteurs à verser 5% de leurs recettes aux guichets et 3% de leurs revenus de télévision à la Régie, jusqu'à concurrence de 130 000$ par soirée de gala. Une somme considérable, qui a peu d'équivalent dans le monde. Et qui complique drôlement la tâche des promoteurs, moins compétitifs quand vient le temps d'attirer des grands combats internationaux.

La rencontre avait été rendue possible par un ami et partenaire commun: Pierre Bibeau, vice-président aux communications de Loto-Québec, commanditaire de longue date des deux plus importants promoteurs de boxe québécois. «J'avais les mêmes demandes des deux côtés, dit l'ancien organisateur libéral. Yvon et Jean m'avaient tous deux approché pour me dire que ce que la Régie leur chargeait n'avait pas d'allure, ce avec quoi je suis bien d'accord.»

La rencontre n'a pas produit de résultats immédiats. Mais elle a incité les deux organisations, qui se regardaient jusque là en chiens de faïence, à reprendre un dialogue interrompu lorsqu'Yvon Michel avait quitté InterBox, cinq ans plus tôt. Un dialogue suffisamment fécond pour qu'à peine un mois plus tard, on annonce la tenue d'un premier événement conjoint: un combat de championnat du monde des mi-lourds du WBC entre Jean Pascal et le détenteur de la ceinture, Adrian Diaconu.

Jeux de coulisses

Retour en arrière. À l'hiver 2004, l'homme d'affaires Hans-Karl Mülhegg décide qu'il en a assez. Après avoir englouti des millions dans InterBox, il jette l'éponge. Il place sa compagnie sous la protection de la Loi sur la faillite. Yvon Michel, qui a tenté en vain de racheter l'entreprise dont il était le directeur général, s'en va. Il laisse l'entraîneur Stéphan Larouche comme seul employé.

Parmi les 68 créanciers d'InterBox: Éric Lucas, le boxeur vedette du groupe. Mühlegg lui doit encore 100 000$ pour son combat (perdu) contre Danny Green, en décembre 2003. Après avoir pris du recul pendant quelques mois, Lucas, conseillé par Jean Bédard, président du Groupe Sportscène (Cages aux sports), décide de racheter InterBox et d'en devenir le PDG.

"Il y avait trois raisons, raconte Bédard. Un, Éric était toujours sous contrat avec InterBox et si quelqu'un d'autre avait acheté l'entreprise, il aurait eu les droits sur lui. Deux, il voulait récupérer son argent. Et trois, il aimait beaucoup Lucian Bute, qui était aussi sous contrat."

Yvon Michel était alors sur le point de lancer GYM avec quelques associés. L'annonce de Lucas le prend par surprise. «Éric ne m'en avait pas parlé avant sa conférence de presse et c'était un peu un choc, je l'avoue. On ne comprenait pas trop. Ma gang a dit "on ne les laissera pas faire, on va racheter la compagnie".»

Comme il faut l'accord des créanciers pour que la transaction entre Mühlegg et Lucas soit approuvée, GYM se met à racheter des créances en douce. «On était craintifs, car on se demandait s'il y avait de la place pour deux compagnies, se justifie Michel. On voulait avoir notre mot à dire. Ça ne nous a pas coûté cher. On aurait pu avoir la majorité et empêcher la transaction.»

Ces jeux de coulisses déplaisent souverainement à l'autre camp. «On a fait un peu le saut, dit Bédard. Ça a allumé le feu et envenimé les relations. Éric voulait voler de ses propres ailes avec Stéphan. Il voulait gérer sa carrière et celle de Bute et tourner la page sur ce qu'il avait vécu avec Yvon chez InterBox. L'histoire des créances a contribué à créer une rivalité plus vite que prévu. Il y a eu un combat avant même le premier combat de boxe!»

Bédard et Michel finissent néanmoins par trouver un terrain d'entente. GYM obtient les droits sur Otis Grant et Joachim Alcine, tandis que les autres boxeurs d'InterBox, parmi lesquels Lucian Bute, Adrian Diaconu et Jean-François Bergeron, restent avec la compagnie reprise par Lucas.

Une rivalité houleuse

La table est mise pour une rivalité aussi houleuse que soutenue entre les deux organisations, dont les approches sont au demeurant fort différentes: GYM multiplie les petits galas, notamment au Casino de Montréal, tandis qu'InterBox se concentre sur de plus rares événements d'envergure, au Centre Bell.

«Il y a eu des coups bas», dit Stéphan Larouche, qui reste persuadé que GYM a été responsable de la plupart, sinon de la totalité de ces entourloupes.

Le premier de ces épisodes controversés se produit en mars 2005. Au terme d'une victoire contre l'Australien Nader Hamdan au Casino, Otis Grant prend le micro dans le ring et met Lucas au défi de l'affronter. «On avait décidé avec Otis qu'il ferait ça, que ce serait le fun. Mais ça les a offusqués», dit Michel, qui admet aujourd'hui qu'il aurait été préférable de discuter avec InterBox au préalable.

En juin 2007, autre passe d'armes. Bute, un gaucher, doit affronter Sakio Bika au Centre Bell. Deux boxeurs gauchers sous contrat avec GYM, Renan St-Juste et Adonis Stevenson, servent de partenaires d'entraînement à Bika. «Ça a été présenté comme de la haute trahison par InterBox, comme si on aidait l'ennemi», se souvient Michel. «Je me suis retrouvé chez Paul Arcand et c'est comme si j'avais fait la pire ignominie à InterBox, alors que j'avais juste servi de courroie de transmission entre le gérant de Bika et Marc Ramsay, l'entraîneur des deux boxeurs.»

Quelques mois plus tard, alors qu'InterBox tente de convaincre le clan du champion des super-moyens de l'IBF, Alejandro Berrio, de mettre sa ceinture en jeu contre Bute à Montréal, Michel soulève l'ire de Larouche en manifestant publiquement son intérêt à obtenir les droits de présentation du combat. Il se ravise rapidement, mais le mal est fait. «Ça ne se fait pas», clame Larouche à l'époque.

Il n'a pas changé d'avis depuis. «Ce que je leur reprochais, c'est tout ce qu'ils ont fait pour empêcher Lucian de devenir champion du monde. Ça me gossait. Empêcher un gars du Québec d'être champion du monde, je trouvais ça vraiment cheap.»

Un conflit de personnalités

Yvon Michel. Stéphan Larouche. Plus on parle avec les acteurs du milieu, plus il devient évident que la rivalité entre GYM et InterBox trouve sa source dans le conflit qui divise ces deux fortes personnalités. Les deux se sont connus au sein des équipes nationales amateurs et ont poursuivi leur collaboration dans la première mouture d'InterBox, où Michel a embauché le Jonquiérois en 1998. Ils étaient tous deux dans le coin d'Éric Lucas quand celui-ci a battu Glenn Catley pour devenir champion du monde des super-moyens du WBC, en juillet 2001.

Mais en cours de route, quelque chose s'est cassé dans leur relation. Les deux hommes préfèrent ne pas entrer dans les détails. Mais on comprend que Michel reproche à Larouche d'avoir pris le parti des boxeurs qu'il entraînait au détriment d'InterBox, qui payait son salaire. «Stéphan et moi, ça ne marchait plus. Il est arrivé des affaires personnelles, dit Michel. On ne s'est pas laissé amicalement. Ce n'était pas une question d'argent, mais de qui il était. On ne s'entendait pas. C'est un gars intelligent et un bon coach, mais il y a des zones grises dans sa personnalité qui faisaient que ça ne marchait pas entre nous en business.»

Larouche soutient pour sa part que Michel n'a pas toujours donné l'heure juste sur les questions d'argent. «À l'entendre, Yvon n'est jamais coupable de rien...», dit-il.

Les deux hommes s'entendent toutefois sur une chose: le fait qu'ils n'aient pas eu à se parler a facilité les négociations ayant mené au combat Pascal-Diaconu. Tout s'est en effet décidé entre Michel et Bédard, beaucoup plus impliqué dans la gestion d'InterBox depuis que Lucian Bute est devenu champion du monde. «Au début, on était une petite business et Stéphan faisait tout, mais là, on brasse de grosses affaires, souligne Bédard. L'entreprise a grossi et les rôles ont changé. Celui de Stéphan est de s'occuper de tout ce qui est boxe et de s'assurer que les gars soient le mieux préparés possible.»

Les discussions ont eu lieu vers la fin mars, quelques jours avant le controversé gala Unification, dont la promotion a été assurée par InterBox en remplacement du promoteur initial, Choko Boxing.

Diaconu n'avait pas boxé depuis qu'il était devenu champion intérimaire du WBC, en avril 2008. Sa défense obligatoire contre l'Italien Silvio Branco venait d'être reportée pour une énième fois. Bédard négociait avec Diaconu pour qu'il réintègre le giron d'InterBox, quand le matchmaker international de l'entreprise, le New-Yorkais Don Majesky - qui travaille aussi pour GYM - a suggéré une défense optionnelle contre Pascal. Ce dernier était prêt à passer chez les mi-lourds, après avoir livré une belle bataille dans sa défaite contre l'Anglais Carl Froch, en combat de championnat du monde des super-moyens du WBC, en décembre.

"J'ai appelé Éric Lucas pour voir ce qu'il en pensait et il m'a dit que ce serait une sacrée bataille", raconte Bédard, qui ne demandait qu'à être convaincu. «Je venais de voir un documentaire à Historia sur Régis Lévesque et on voyait comment il réussissait à créer des événements de toute pièce en bâtissant des affrontements: un Noir contre un Blanc, un Anglais contre un Français, un gars de Québec contre un gars de Montréal... Comme les gens du UFC aujourd'hui, il avait le tour.»

Michel et lui ont vite convenu de discuter directement, sans passer par Majesky. «On s'est dit qu'on pouvait très bien se parler tous seuls et qu'on n'avait pas besoin de faire des interurbains», dit Michel en riant.

Une rencontre a été organisée au Sheraton du boulevard René-Lévesque et un terrain d'entente a rapidement été trouvé: partage 50-50 des coûts et des bénéfices. «Jean Pascal a besoin du titre de Diaconu et Diaconu a besoin de la popularité de Pascal», résume Michel, à qui Bédard fait écho quand il dit que «les deux groupes apportent des choses égales à la table».

Seule concession de GYM au fait que le Roumain est champion du monde: InterBox sera copromoteur des trois prochains combats de Pascal si celui-ci bat Diaconu. Cela inclut une défense obligatoire contre Branco... et un combat revanche entre Diaconu et Pascal.

À moins d'un revirement majeur, GYM et InterBox n'ont donc pas fini de brasser des affaires ensemble. D'autant que la réponse du public est bonne: autour de 11 000 billets ont déjà été écoulés pour le gala du 19 juin. «Depuis le début, j'ai dit qu'il fallait attendre le bon moment, dit Éric Lucas. Là, on va avoir un super-événement. Et il y a de la place pour d'autres événements du même genre.»

Il aura fallu cinq ans pour en arriver là. Le temps pour deux organisations naissantes de se convaincre qu'elles pouvaient coexister dans le marché québécois, un marché dont elles étaient en droit de croire qu'il était trop petit pour les accommoder toutes les deux. Le temps de laisser les vieilles plaies guérir tranquillement. Et le temps, surtout, de se rappeler que dans le sport comme dans le reste, il y a des affaires qui sont tout simplement trop bonnes pour qu'on passe à côté. Pour citer Stéphan Larouche, qui tient l'expression de Jean Bédard: «Ce n'est pas avec l'orgueil que tu paies tes comptes.»