Première joueuse de baseball junior élite transgenre au Québec, Victoria Lachance n’a qu’un conseil à donner aux jeunes athlètes qui s’interrogent sur leur identité de genre : « Vis ta vie et oublie ce que les autres pensent. »

Reculons de deux ans. Victoria Lachance, née dans un corps masculin, jouait pour les Aigles de Trois-Rivières dans la Ligue de baseball junior élite du Québec (LBJEQ). Elle annonçait alors publiquement son changement de sexe et de nom. L’inspirante histoire est sortie dans plusieurs médias. Mais tout a commencé bien avant cette annonce de janvier 2019.

« Ça faisait au moins trois ou quatre ans que j’avais des questionnements, que je voyais qu’il y avait quelque chose de pas normal », raconte Victoria Lachance en entrevue avec La Presse.

C’est en défilant sur YouTube qu’elle est tombée sur la chaîne de Maya Henry, femme trans torontoise.

« Ça m’a accrochée. Donc je suis allée voir, et c’est là que j’ai allumé qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas. J’ai fait mes recherches et je me suis juste dit : “C’est ça. C’est ce que je suis. C’est sûr à 100 %.” »

Elle a attendu un peu plus de deux ans avant d’en parler à quiconque. Lorsqu’elle a pris la décision de s’ouvrir à ses parents, en 2017, leur réaction a été plus que positive.

J’ai les parents les plus gentils du monde. Ça, c’est quelque chose dont je ne pourrai jamais me plaindre dans la vie, de ne pas avoir des parents super ouverts d’esprit.

Victoria Lachance

Pause de baseball

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE

Les mois qui ont suivi sa sortie dans les médias, en 2019, ont été difficiles pour l’athlète, qui avait alors 18 ans. Au point qu’elle a décidé de s’offrir une pause du baseball l’été suivant, pour prendre du recul.

« Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que ça fasse une aussi grosse vague médiatique. Ça m’a prise par surprise, se souvient-elle. Je sentais qu’il y avait trop de pression. Je savais que si je continuais, j’allais juste péter au frette. »

Elle voulait aussi éviter que l’attention médiatique autour d’elle n’affecte l’équipe.

Victoria a néanmoins continué à jouer à la balle donnée et au hockey. Puis, quand la pandémie s’est pointée, elle a commencé à s’entraîner avec son coéquipier et meilleur ami Christopher St-Pierre. Et tout à coup, la « piqûre » du baseball est revenue. Les entraîneurs et le directeur général Mike Lachance l’ont accueillie les bras ouverts au camp des Aigles. La jeune femme a d’abord été utilisée à différentes positions, avant de faire sa place dans la rotation des lanceurs et de montrer toute l’étendue de son talent.

Victoria a terminé la saison avec une moyenne de points mérités de 0,95 en un peu plus de 14 manches lancées. En séries éliminatoires, elle a lancé 10 manches en deux matchs, présentant une moyenne de points mérités de 2,10.

L’athlète, qui peut encore jouer deux saisons dans les rangs juniors, ne cache néanmoins pas l’impact de la prise d’hormones sur son lancer.

« J’ai perdu une couple de milles à l’heure, admet-elle. Mais je me suis beaucoup exercée et je compense avec mes balles à effet et la précision de mes lancers. »

Profiter de la vie

À son retour avec les Aigles en 2020, Victoria Lachance n’a pas remarqué de différence dans la façon dont ses coéquipiers interagissaient avec elle, à quelques exceptions près. Certains avaient un « petit malaise », soutient-elle. Malaise qu’elle s’est empressée de dissiper.

« Un moment donné, j’en ai pris un à part et je lui ai dit : “écoute, à part mon nom et mon physique, si on veut, il n’y a rien qui a changé. Je viens ici pour jouer au baseball, avoir du fun avec toi et tu restes mon ami pareil. Ma volonté de gagner est aussi présente qu’avant”. À partir de ce moment-là, ça s’est mis à bien aller avec lui et tout est revenu normal. »

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE

La jeune femme, qui a complété sa transition, est aujourd’hui heureuse « à 110 % ».

Je ne regrette rien du tout. Ma vie est juste trop mieux. Je ne me pose plus de questions. Je suis juste moi-même.

Victoria Lachance

« La prochaine étape, c’est juste de profiter, souffle-t-elle. Je vis ma vie, je n’ai plus à me préoccuper de rien. Tout est fait. »

Une politique à venir ?

Victoria, qui poursuit sa carrière avec les Aigles, souhaite ardemment s’investir auprès des jeunes sportifs qui pourraient vivre une situation semblable à la sienne.

« Si je peux ouvrir des portes, je ne peux pas dire non, lance-t-elle. Ça peut aller plus loin, même au niveau national et aux États-Unis. Tu vas me dire que c’est gros, un peu, mais de ce côté-là j’ai de l’ambition. »

Elle aimerait d’ailleurs contribuer à mettre en place une politique pour les joueurs de baseball trans au Québec et au Canada. Baseball Québec, qui a soutenu Victoria dès qu’elle a pris sa décision il y a deux ans, envisage de mettre en place une telle politique éventuellement.

« Je pense qu’il y a quelque chose à faire, affirme le directeur général, Maxime Lamarche. On serait super contents de collaborer avec Victoria, elle est vraiment gentille. On a une belle relation. Mais ce n’est pas sur la table de travail actuellement. »

M. Lamarche rappelle d’ailleurs que certaines « zones grises » demeurent.

« Par exemple, si Victoria avait dit il y a deux ans et demi qu’elle se considérait maintenant comme une femme et qu’elle voulait faire l’équipe nationale du Canada. Au niveau international, il n’y avait pas encore de règle. Il n’y a rien. Il y a donc encore une partie d’inconnu, mais il y a une grande équipe derrière Victoria et on va apprendre à marcher en même temps qu’elle. Chaque fois qu’il y aura une occasion de faire un apprentissage et de la soutenir, on va le faire. »

C’est d’ailleurs l’objectif de la jeune femme : faire partie de l’équipe nationale féminine.

« Pour moi, ce serait une chance inoubliable ! C’est dans mes plans le plus vite possible, honnêtement ! Je crois que ça augure bien », laisse-t-elle entendre. Elle se dit justement « super reconnaissante » envers les fédérations québécoise et canadienne, qui « travaillent fort pour que les choses avancent bien ».

Et Maxime Lamarche assure que Baseball Québec sera là pour soutenir les prochains joueurs qui vivront le même processus que Victoria.

« On va être là pour les accompagner là-dedans du mieux qu’on peut. »