Justin Verlander. Gerrit Cole. Max Scherzer. Corey Kluber. Félix Hernández. Plusieurs des meilleurs lanceurs du baseball majeur sont montrés du doigt pour avoir triché.

Leur faute ?

Ils auraient enduit les balles d’une potion magique.

C’est leur fournisseur autoproclamé, Brian Harkins, qui vient de les dénoncer lors d’une poursuite contre le baseball majeur et les Angels de Los Angeles (son ancien employeur). M. Harkins a reconnu avoir préparé une lotion à base de résine de pin et de colophane. Il refilait sa concoction à des lanceurs, qui l’appliquaient sur la balle pour mieux l’agripper ou la rendre « plus vivante ». Ce qui, vous l’aurez deviné, est interdit.

PHOTO ORLANDO RAMIREZ, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Gerrit Cole fait partie des lanceurs dénoncés par un ancien employé des Angels de Los Angeles pour avoir triché en enduisant des balles d’une solution liquide.

Or, où sont les autres clubs pour réclamer une enquête ? Des peines ? Des suspensions ?

Nulle part.

L’histoire est traitée comme un secret de famille honteux. Balayée sous le tapis, sur lequel on ajoute une table, un secrétaire, un bahut en bois massif et un Bouddha géant en plomb, pour s’assurer que personne n’ait le goût d’aller y passer le Swiffer.

Pourquoi ce mutisme ?

Je vous donne la réponse dans quelques paragraphes. Mais d’abord, vous devez savoir que cette forme de tricherie n’est pas un nouveau phénomène. Loin de là. Ça fait plus de 100 ans que les lanceurs éraflent, grafignent, cochonnent, mouillent et souillent des balles. Il existe même un mot pour désigner le lancer qui s’ensuit.

La « spitball ».

En français, la balle mouillée.

Selon l’historien Peter Morris, c’est le lanceur Jack Chesbro qui a lancé la mode, en 1904, en enduisant la balle d’un liquide pour réduire la friction. Le succès fut instantané. Cette saison-là, le droitier des Yankees de New York a remporté 41 matchs. Le plus haut total de victoires depuis 1900.

L’été suivant, la balle mouillée entrait dans le répertoire de presque tous les lanceurs de la ligue. Oui, c’était dégueulasse. Surtout qu’à l’époque, on se servait souvent d’une seule balle pour toute la partie. « Elle était noire, pleine de taches de tabac et de réglisse », raconte le joueur étoile Sam Crawford dans The Glory of Their Times.

Les frappeurs ont répliqué. Lorsqu’ils en avaient l’occasion, ils enduisaient la balle de saveurs amères pour décourager les lanceurs de lécher la balle avant chaque tir. Les Cubs de Chicago utilisaient de la moutarde. Les Indians de Cleveland, de la teinture à base de piments forts. Puis les lanceurs ont contre-attaqué, en nettoyant la balle avec du benzène — un produit cancérigène…

Pour mettre fin à cette escalade ridicule, des voix ont réclamé l’interdiction de la balle mouillée. D’abord sans succès. « La spitball est une évolution technologique, et je suppose qu’on devrait l’encourager », avait déclaré le légendaire gérant Ned Hanlon.

Mais en 1920, afin de favoriser l’offensive, les ligues majeures ont finalement banni cette pratique dégoûtante. Enfin, presque. Les lanceurs actifs profitaient d’une « clause grand-père ». Si bien que la balle mouillée a survécu légalement jusqu’à la retraite de Burleigh Grimes, en 1934.

L’ironie ? Grimes a ensuite été élu au Temple de la renommée. Tout comme Gaylord Perry et Phil Niekro, deux autres lanceurs qui maganaient outrageusement la balle.

Dans son essai K : A History of Baseball in Ten Pitches — le meilleur livre de baseball que j’ai lu —, le journaliste Tyler Kepner fait l’historique de la balle mouillée depuis son interdiction. Fascinant. Ça se lit comme le grimoire de Gargamel.

Dans les années 1950, Sports Illustrated a offert 2000 $ au lanceur étoile Preacher Roe pour qu’il explique ses trucs aux lecteurs. « Entre les manches, raconte Kepner, Roe faisait éclater un bâton de gomme Beech-Nut dans sa bouche et annonçait à ses coéquipiers : je m’offre un nouveau lot de balles courbes ! » Une fois sur le monticule, Roe crachait dans son pouce et faisait semblant de lisser ses sourcils, avant de déposer le jus de gomme sur la balle.

Dans les années 1960, les manipulations de la balle étaient si fréquentes qu’on s’en moquait ouvertement. Don Drysdale, ancien lanceur des Royaux de Montréal, était le porte-parole du gel capillaire Vitalis. Dans une publicité, après s’être passé la main dans les cheveux, il était pris à partie par le gérant adverse. « Greaseball ! Greaseball ! C’est illégal ! », criait le gérant. Puis Drysdale se défendait en disant : « Vitalis ne contient pas de graisse. Si nous utilisions tous Vitalis, nous pourrions mettre fin à la greaseball. »

Dans les années 1970, Gaylord Perry a avoué son péché dans son autobiographie au titre évocateur : Me and the Spitter. Par la suite, à l’occasion, des lanceurs se sont fait prendre la main dans le bol de bonbons. Joe Niekro s’est fait expulser d’un match après avoir sorti un bloc de papier émeri de sa poche.

Brian Moehler s’est fait pincer avec du papier sablé. Michael Pineda avait appliqué tellement de résine de pin sur son cou que ça se voyait à la télévision. Le plus drôle ? En 2017, une balle est restée collée sur le plastron du receveur Yadier Molina. Ce dernier a juré n’avoir jamais appliqué de résine sur son appareil protecteur. On n’a jamais connu le fond de l’histoire. Mais forcément, quelqu’un, quelque part, a triplé la recette de potion magique…

Selon Tyler Kepner, certaines pratiques sont plus acceptables que d’autres aux yeux des joueurs. « Voici la logique : l’adhésivité aide à contrôler le lancer. C’est OK. Le papier sablé et le K-Y permettent d’améliorer le mouvement. Ça, ce n’est pas correct. »

Comme chaque club semble avoir ses petits secrets, personne ne crie au scandale. Tous s’en remettent à Confucius : « Le silence est un ami qui ne trahit jamais. »

Leçon de l’histoire : quand on vit dans une maison de verre, il ne faut jamais lancer de balle de baseball. Encore moins si elle est souillée.

K : A History of Baseball in Ten Pitches, de Tyler Kepner (Anchor Books)