(Montréal) Au lieu de sillonner les routes du nord-est des États-Unis et du Canada, Alex Agostino épie des joueurs sur des séquences vidéo sauvegardées sur son portable.

« Je devrais être en train de préparer un repêchage de 40 rondes. Ça, c’est quatre mois de baseball tous les jours ! Je suis plutôt pris à regarder des vidéos et à réviser mes rapports, a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse canadienne. Tout le monde est dans le néant. »

Le Québécois est superviseur (cross-checker dans le jargon) pour les Phillies de Philadelphie. Lui et sa conjointe sont confinés à leur domicile de la Rive-Sud de Montréal. Le Baseball majeur a déjà établi qu’il y aurait un repêchage, mais la date et surtout le format auront beaucoup changé.

Repêchage reporté au mois de juillet

Au lieu de se tenir au début de juin, il devrait se tenir par téléconférence quelque part en juillet. Et au lieu des 40 rondes habituelles, il ne sera constitué que de cinq à 10 rondes. Ce qui lui fait craindre pour le travail de dépisteur tel qu’on le connaît présentement.

« Qu’on parle de cinq ou 10 rondes, ça élimine tout le travail effectué par les dépisteurs régionaux, car leur impact se fait sentir beaucoup plus tard, souligne celui qui compte plus de 25 ans de métier dans la MLB. Les premières rondes, tout le monde connaît les joueurs et c’est le travail du dépisteur-chef, des superviseurs nationaux et des superviseurs régionaux, comme moi.

« Si ce format perdure, ce sera la fin du dépistage comme on le connaît dans le Baseball majeur. Les joueurs seront évalués lors d’immenses séances d’entraînement supervisées (’combine’) par le dépisteur-chef et ses superviseurs. Les dépisteurs régionaux disparaîtront. Une équipe comme les Astros a déjà commencé à couper dans son personnel de dépistage.

C’est facile pour un dépisteur régional d’aimer Aaron Nola, qui a été repêché septième au total. C’est pas mal plus difficile de mettre ta tête sur le billot pour un choix de 17e tour que personne n’a vu sauf toi, qui joue dans une petite école secondaire inconnue.

Alex Agostino, dépisteur des Phillies de Philadelphie.

PHOTO KIM KLEMENT, USA TODAY SPORTS

Aaron Nola, frais émoulu de Louisiana State University, durant le camp d’entraînement des Phillies durant un match de la Ligue des pamplemousses à Clearwater, en Floride, le 27 mars 2015, au début de sa première saison dans les majeures. Il a été repêché 7e en première ronde par les Phillies en 2014, après ses succès dans la ligue universitaire. Mais un bon dépisteur régional l’avait déjà repéré en 2010 : les Blue Jays l’avaient sélectionné en 22e ronde au repêchage de 2011. Nola avait choisi de ne pas signer et d’aller à l’université.

« C’est là que le bon dépisteur régional fait son travail pour une organisation. […] Le gars de high school, qui a pris quatre pouces durant l’hiver et qui a mis sept ou huit milles à l’heure sur sa rapide, tu ne le verras plus. »

Le format du repêchage est un gain effectué par la MLB. En retour, l’Association des joueurs a obtenu que le temps de service des joueurs de la formation des Majeures s’accumule en 2020, peu importe qu’il y ait du baseball ou non. L’an prochain, le repêchage pourrait compter jusqu’à 20 rondes, mais pourrait n’en compter que cinq également.

Retrancher 42 équipes des ligues mineures

« Avec cinq rondes, c’est difficile d’alimenter une formation de 26 joueurs dans les Majeures et six équipes des ligues mineures », estime Agostino, qui a aussi œuvré au sein des organisations des Expos de Montréal et des Marlins de la Floride.

Cette stratégie s’inscrit dans un objectif plus large de la MLB, qui souhaite retrancher 42 équipes des ligues mineures. Plus besoin de 40 rondes dans ce cas.

PHOTO D'ARCHIVES ROBERT NADON, LA PRESSE

Alex Agostino, en 1991, lorsqu'il oeuvrait pour les Ducs de Longueuil.

« Je parlais à un collègue, il me disait que si cette formule devient la norme, il devient inutile, car c’est autour de la 20e ronde que sa contribution se fait sentir. »

Cela changerait également la donne pour les joueurs amateurs. Après le repêchage, les équipes auront le droit d’embaucher des joueurs qui n’auront pas été repêchés. Mais la MLB a plafonné les bonis de signature à 20 000 $ US dans ces cas.

« C’est certain que cette situation va affecter la carrière de certains baseballeurs. Si on y va avec cinq rondes, tu parles d’environ 165 joueurs repêchés avec les choix compensatoires. Si tu es un bon espoir universitaire qui aurait été repêché, disons en septième ronde, tu aurais probablement signé pour 175 000 $ et tes frais de scolarité pour les années qu’il te reste à compléter à la fin de ta carrière.

« Si tu n’es pas repêché dans les cinq premières rondes, ça ne veut pas dire que tu n’es pas un bon joueur ! Il y a de maudits bons joueurs de balle réclamés en 8e, 9e, 15e, 17e ronde, etc. C’est là que les dépisteurs régionaux font leur travail.

Maintenant, si tu aimes un gars, tu n’as que 20 000 $ à lui offrir. Les Yankees ? Ils ont 20 000 $ aussi. Un joueur qui signait un contrat après sa troisième année universitaire pour 100, 150 ou 175 000 $, ça lui donnait un petit coussin de quatre ou cinq ans dans les ligues mineures. Ça lui permettait de s’entraîner l’hiver au lieu de se trouver un emploi. Maintenant, avec 20 000 $, ça ne te donne qu’une année environ pour savoir s’ils sont vraiment des espoirs ou non. Certains préféreront terminer leurs études au lieu de signer pour ce montant.

Alex Agostino, dépisteur des Phillies de Philadelphie.

Selon l’agent Scott Boras, 226 joueurs de troisième année universitaire ou plus ont été repêchés après la 10e ronde en 2019.

« Ce sont de bons joueurs, note Agostino. Cette mesure ne fera pas mal aux meilleurs espoirs, qui signeront des bonis de quelques millions de dollars de toute façon. »

Quant à la saison 2020, Agostino ne souhaite pas la voir s’étendre indéfiniment.

« Je ne veux pas voir de baseball en décembre ! Il ne faudrait pas que ça finisse beaucoup plus tard que d’habitude, au début novembre au plus tard. S’il faut jouer 110, 100 ou 81 matchs, faisons-le. Quand il y a eu des grèves, moins de parties ont été jouées et on a fait avec. Je n’aurais même pas de problème avec un calendrier de 72 rencontres : dans les mineures, leur première saison, c’est 72 matchs. […] La MLB doit rester dans son ’calendrier de baseball’. »