Les Rays de Tampa Bay sont en Série mondiale. Mais au fait, que se passe-t-il avec les Rays… de Montréal ?

Rappel du dernier épisode. C’était en février dernier. Avant le Grand Confinement. L’investisseur Stephen Bronfman affichait la confiance de Babe Ruth montrant du doigt la section où il allait frapper son prochain circuit.

« D’ici quelques mois, trois ou quatre sans doute, notre groupe de Montréal va devenir copropriétaire de l’équipe de Tampa », assurait-il au Journal de Montréal. M. Bronfman promettait de conclure des ententes de télédiffusion « dès cet été », pour que les Québécois se familiarisent avec leurs futurs Rays.

Début mars, la mairesse Valérie Plante lui a lancé une balle cassante. Le projet de stade au centre-ville devra être « créatif » et « tangible » pour que la Ville l’approuve, a-t-elle affirmé. Trois jours plus tard, la première vague de la pandémie a tout englouti. Le groupe de Stephen Bronfman est passé en mode sous-marin.

Depuis ?

Rien.

On cherche le périscope.

J’ai demandé à un porte-parole de M. Bronfman si le projet était encore « vivant ». « Nous ne ferons pas de commentaire pendant la Série mondiale », m’a-t-il répondu.

PHOTO GREGORY BULL, ASSOCIATED PRESS

Les Rays de Tampa Bay sont les champions de la Ligue américaine de baseball.

Au cabinet de la mairesse, on me souligne que « la Ville n’a pas reçu de dépôt officiel d’un projet de stade ». À Québec, notre chef de bureau Tommy Chouinard s’est fait confirmer qu’il ne se passe « rien de neuf depuis des mois ». Seuls petits bips sur le sonar : Stephen Bronfman a renouvelé son mandat de lobbyiste en août. Et un informateur proche de son groupe m’a confié que « les fourmis s’attardent discrètement » au projet.

Les fourmis ?

« Souviens-toi de la fable de la cigale et de la fourmi », m’a-t-il répondu, avec un émoji de bonhomme sourire.

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Déjà avant la pandémie, c’était un projet compliqué. Les Rays allaient disputer leurs matchs locaux dans deux nouveaux stades : un à Tampa, l’autre à Montréal. Le printemps en Floride, l’été à Montréal. L’automne ? À voir.

En théorie, ce concept de garde partagée est progressiste. Novateur. Disruptif.

En réalité ? C’est épouvantable.

On s’en doutait un peu. On en a maintenant la preuve. Car la fermeture de la frontière entre le Canada et les États-Unis a forcé trois clubs de la MLS à disputer leurs matchs locaux dans deux villes. Depuis un mois, l’Impact de Montréal s’est installé au New Jersey. Le Toronto FC, au Connecticut. Les Whitecaps de Vancouver, en Oregon.

Comment ça se passe ?

Franchement mal.

La garde partagée, « c’est la chose la plus difficile que j’ai vécue [comme coach] », m’a confié l’entraîneur-chef des Whitecaps, le Montréalais Marc Dos Santos.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marc Dos Santos, entraîneur-chef des Whitecaps de Vancouver

« C’est tellement difficile que si ça devenait une chose normale dans le sport, je ne sais pas si c’est ce que je voudrais faire. C’est à ce point-là. J’ai une famille. Trois enfants. Peut-être que si tu es seul, avec un sac à dos, tu t’en fous. Mais je pense que pour n’importe quel coach qui tient à construire une famille, qui veut être un père, ce n’est pas une situation soutenable à long terme. »

« Si tu as une équipe composée seulement de célibataires, sans responsabilité, est-ce possible ? Oui. Mais ça change beaucoup le profil des joueurs et de l’entraîneur que tu recherches. J’ai des joueurs qui vivent cela très difficilement. Je pense à Fredy Montero, à Lucas Cavallini, qui ont des enfants. À Andy Rose. Il a un garçon de 3 ans et un bébé de 3 mois. Son épouse est seule à leur maison de Vancouver. C’est difficile. On vit de l’espoir que ça va changer. Mais si ça devenait une norme, il faudrait qu’on pense beaucoup au profil des personnes recherchées. »

Le Colombien Cristian Dajome, lui, s’est joint aux Whitecaps peu avant le Grand Confinement. Ses trois filles et sa conjointe n’ont pas obtenu les visas avant la fermeture des frontières. La situation vient tout juste d’être réglée. Ses proches sont arrivés à Vancouver… quatre jours avant son départ pour l’Oregon. Les Whitecaps y resteront jusqu’à la fin de la saison, sauf pour de rares sauts de puce d’une journée ou deux à Vancouver.

« C’est vrai qu’on est bien payés. Si on s’attarde juste à l’aspect financier, je suis gêné de parler de nos problèmes. Je sais que des gens n’ont pas de job. Que d’autres ont perdu leurs revenus. On ne souffre pas financièrement, c’est vrai. Mais sur d’autres aspects, ça reste difficile. »

Shamit Shome, 23 ans, joue pour l’Impact de Montréal. Il n’a pas d’enfant. Pas de famille au Québec non plus. Malgré tout, lui aussi trouve difficile de disputer ses matchs locaux dans une autre ville.

Quand je l’ai appris, je ne pensais pas que ce serait un enjeu. Sauf que ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Une fois sur place, tu passes tes journées dans une petite chambre d’hôtel. Ce n’est pas aussi confortable qu’à la maison.

Shamit Shome, de l’Impact de Montréal

Shome souligne que c’est pénible mentalement, mais aussi physiquement.

« Quand je suis à Montréal, je fais des activités. Je vois mes amis. Mais [au New Jersey], je suis pris dans ma chambre d’hôtel. Je m’étends sur mon lit. Oui, je suis plus reposé. Sauf que mes muscles sont moins sollicités. Ils sont plus rigides. »

Comme Marc Dos Santos, Shamit Shome remarque que c’est plus ardu pour les pères que pour les jeunes célibataires. « C’est difficile pour moi. Je n’ose même pas imaginer ce qu’ils vivent.

– Et si tu savais qu’un club partagerait son domicile entre deux villes, de façon permanente, signerais-tu un contrat de quatre ou cinq ans ?

– Je ne sais pas. Je ne voudrais pas vivre dans un hôtel à temps plein. Ça me prendrait une maison dans chaque ville. Sauf que ça coûte vraiment cher [Shome gagne 100 000 $ par saison]. Si tu as deux maisons, et que ta famille peut te suivre, ça peut devenir une expérience. Mais je crois que la période d’adaptation serait longue. »

Autre enjeu de la garde partagée : soutenir l’intérêt dans le marché délaissé. Pas évident. TVA Sports déploie des efforts colossaux pour faire la promotion des matchs de l’Impact. L’excellent descripteur des parties de l’équipe, Frédéric Lord, remarque quand même une baisse de l’intérêt depuis que les Montréalais sont partis au New Jersey, pour pouvoir y affronter des clubs des États-Unis.

« Les diffusions sportives bénéficient des évènements sur place, indique-t-il. Nos meilleures cotes d’écoute, c’est lorsque les matchs sont disputés à Montréal. Parce qu’il y a un buzz en ville. Les gens en parlent un peu plus. Sans vouloir faire de jeu de mots avec la situation actuelle, une certaine fièvre se propage. »

La réalité de la garde partagée. La pandémie. La récession. Les priorités du gouvernement. Les réserves de la mairesse. Le silence radio de Stephen Bronfman. Platement, le projet du retour du baseball à Montréal a connu des jours meilleurs.

Les fourmis devront travailler très fort pour que le projet soit une réussite.