En 2003, Montréal s’est retrouvé avec deux clubs de baseball professionnels. Tous les deux itinérants. Les Expos, qui ont passé une partie de leur été à Porto Rico. Et les Royales, de la Ligue canadienne, qui ont disputé tous leurs matchs sur la route.

Les Royales ?

Oui. Avec un E.

« Quand j’ai reçu mon uniforme, je pensais qu’il y avait une lettre de trop. Mais non, c’était bien notre nom », se souvient le releveur montréalais Nat Thomas.

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Match des Royales de Montréal contre les Saints de Trois-Rivières en 2003

Son seul coéquipier francophone, leur receveur Dominic Campeau, se posait lui aussi des questions. « Lors du premier match, un dirigeant de la ligue est venu me voir. Il m’a demandé : comment prononce-t-on le nom de l’équipe en français ? Royal-EUH ? Royal-ESSES ? Je lui ai expliqué qu’il y avait une erreur. Ou bien ce sont les Royaux, en français, ou les Royals, en anglais. Mais Royales, avec un E, ça ne veut rien dire ! »

Un faux pas étonnant. Surtout considérant les ambitions du circuit pour l’équipe. Sur papier, Montréal était – de loin – son marché le plus important. « La ligue possédait un contrat de télévision [avec The Score]. Elle souhaitait devenir l’équivalent de la Ligue canadienne de football », explique Reggie Laplante, alors lanceur des Saints de Trois-Rivières.

Pour les Royales, la ligue – propriétaire de l’équipe – visait donc gros. Très gros. Très, très, très gros. Son plan ? Présenter les matchs locaux… au Stade olympique !

Dominic Campeau en rit encore. « C’était ridicule ! Je ne sais pas quelles études de marché ils ont faites pour penser ça. On aurait attiré entre 100 et 200 personnes par match. Ça aurait été épouvantable. Ils ont quand même négocié avec la Régie des installations olympiques. Ça n’a pas fonctionné.

« Puis ils ont négocié avec la Ville pour obtenir le parc La Fontaine ou un parc à LaSalle [Éloi-Viau]. Ça n’a pas fonctionné non plus. On s’est retrouvés à Saint-Jean-sur-Richelieu. C’est là qu’on a fait notre camp d’entraînement. Finalement, ils n’ont jamais trouvé de parc à Montréal. Alors on est partis sur la route. »

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Le receveur Dominic Campeau, des Royales de Montréal, en 2003

Pendant plus de deux mois.

Les Royales disputaient leurs matchs locaux sur le terrain de leurs adversaires. À Trois-Rivières. À Welland. À London. Souvent lors de programmes doubles. Sans fan-club. « Nos seuls partisans, c’était ma mère, mes cousins, mes cousines et nos blondes », raconte Dominic Campeau.

« Il n’y avait personne, ajoute Nat Thomas. Et quand je te dis personne, c’est vraiment personne. Plus tard, j’ai joué dans des villes comme Rivière-du-Loup ou Coaticook. Je te jure qu’on avait de meilleures foules là que pour nos matchs à Welland. »

Welland est une petite ville du sud de l’Ontario, près de Niagara. Selon les registres officiels de la ligue, les Royales y ont disputé deux matchs devant 52 et 54 spectateurs.

« T’en souviens-tu ? », ai-je demandé à Dominic Campeau.

« Absolument ! Il pleuvait tellement. Le terrain était un vrai désastre. Mais la ligue refusait d’annuler les parties. On devait disputer au moins cinq manches. Alors on a joué. Tu dis 50 spectateurs ? Ça me semble beaucoup. Il n’y avait personne dans les estrades. »

Le marketing n’était pas la force de l’organisation. Pourtant, les Royales misaient sur des noms connus des amateurs de baseball. L’entraîneur-chef était Gary Roenicke, un ancien voltigeur des Expos. Il y avait aussi un Alou et un Guerrero. Felipe Jr et Armando. Le fils de Felipe et le cousin de Vladimir. Deux bons joueurs, se rappelle Nat Thomas.

« Le calibre de jeu était impressionnant. Je dirais presque du AA. On avait un lanceur qui avait joué dans les majeures pour les Brewers [Garvin Alston]. D’autres venaient des ligues mineures. C’était fascinant de les voir jouer. Tout leur semblait tellement facile. »

Comment la ligue pouvait-elle attirer de si bons joueurs dans des marchés comme Trois-Rivières, Welland et « Montréal-adjacent » ? Les salaires étaient respectables. Reggie Laplante, par exemple, gagnait 1475 $ par mois. Plus quelques dépenses remboursées, comme l’essence. « Je n’ai jamais fait autant d’argent au baseball dans toute ma vie ! »

Les joueurs étrangers – qui composaient la majorité des alignements – pouvaient recevoir quelques milliers de dollars par mois. Ils étaient aussi hébergés gratuitement. Ceux des Saints résidaient sur le campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ceux des Royales, à la base militaire de Saint-Jean. Plusieurs coéquipiers pouvaient partager une maison. Dominic Campeau et Nat Thomas, eux, restaient chez leurs parents, à Montréal.

« Des fois, les gars louaient une van et venaient nous voir en ville. Sinon, ils passaient pas mal leurs journées à Saint-Jean », raconte Nat Thomas. L’équipe s’y entraînait en début de semaine, avant de se rendre chez ses adversaires, toutes les semaines, du jeudi au dimanche.

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Match des Royales de Montréal contre les Saints de Trois-Rivières en 2003

Reggie Laplante avait pitié d’eux. « Des fois, dans les ligues indépendantes, tu as une équipe établie au nord qui commence sa saison dans le sud. Pendant deux, trois semaines. Mais tout un été ? Ça n’avait pas de sens. Me semble qu’ils auraient pu juste choisir un parc à Montréal et mettre des gradins temporaires, comme au Festival du cochon… »

***

Plus les semaines passaient, plus les assistances déclinaient. Les investisseurs perdaient beaucoup d’argent. C’était insoutenable. Tout le monde savait que la fin approchait.

À Trois-Rivières, Alain Guilbert a remplacé le directeur général des Saints au pied levé. Sa mission : vendre des billets.

Lorsque les Québécois lançaient, c’était correct. Sinon, c’était presque vide. Au début de juillet, un de nos matchs était diffusé à la télévision nationale. On a mis les bouchées doubles. J’avais donné des centaines de billets. Le stade était plein. Une belle réussite.

Alain Guilbert

« Reggie était le partant. Je pense qu’il a lancé une manche. L’orage s’est abattu. On aurait dit un ouragan. Tout le monde est retourné à la maison. La partie a été annulée », ajoute M. Guilbert.

Deux semaines plus tard, Reggie Laplante s’est de nouveau retrouvé au monticule. Cette fois à London, en Ontario. Il a appris au début de la partie que la ligue allait cesser ses activités.

« J’avais le cœur gros. Je savais que c’était mon dernier match. C’était triste. Ils nous ont payé le transport de retour jusqu’à Trois-Rivières. Moi, ça allait, parce que j’habitais à Nicolet. Mais il y avait des gars plus vieux dans l’équipe. Des joueurs du Texas, de l’Amérique centrale, avec leur conjointe et leurs enfants. Ils vivaient une paye à la fois. Ils n’avaient pas assez d’argent pour retourner chez eux. Je pense qu’après quelques jours, le club a finalement payé leur billet de retour. »

« La vie dans les ligues mineures, c’est un peu ça, résume Dominic Campeau. Tout ce qui pouvait mal se passer, ça s’est produit. On devait disputer les séries éliminatoires dans l’Ouest canadien. Finalement, on a pris l’avion une seule fois. On a passé l’été dans l’autobus ou dans le train. On a perdu un temps fou dans les transports.

« Mais j’ai adoré ça quand même. Toutes ces semaines passées dans les hôtels avec les gars de l’équipe, c’est vraiment le fun. Maintenant, je ne joue plus. Et c’est ça qui me manque le plus. »