Pour moi comme pour bon nombre de fanatiques des Expos, Andre Dawson sera toujours associé à des moments de bonheur et de déception: la pure joie des plus belles années d'une équipe aux possibilités illimitées, mais aussi la frustration de voir ces jeunes joueurs ne pas réaliser leur plein potentiel collectif quand ça comptait vraiment.

Après les premières années où les joueurs rejetés par les autres équipes sont devenus des héros improbables au parc Jarry, Dawson a été au coeur de la renaissance des Expos au Stade olympique. Un leader certes, mais ô combien silencieux.

Je me souviens de lui la première fois que je m'étais introduit dans le sacro-saint vestiaire de mon équipe préférée, en avril 1977. On m'avait commandé un papier sur les nouveaux Expos et je m'étais précipité sur le gérant Dick Williams et les vétérans Tony Perez et Dave Cash, des gagnants qui allaient veiller sur les jeunes espoirs formés dans le réseau de clubs-écoles. J'en avais profité pour jaser avec le flamboyant Gary Carter et le non moins volubile, et pas mal plus coloré, Ellis Valentine, mon héros en devenir. Dawson, lui, se faisait discret, comme s'il ne tenait pas particulièrement à s'exprimer ailleurs que sur le terrain.

Mais quel talent il avait! Il a brûlé les étapes dans les ligues mineures et on voyait déjà en lui le sauveur des Expos quand il est passé en coup de vent chez les Métros de Québec en 1976. Dawson avait tous les outils, comme on dit au baseball: la vitesse, les mains, la puissance, le gant et une intelligence supérieure à la moyenne. Peut-être le plus bel athlète de l'histoire des Expos. Pourtant, même s'il était très spectaculaire, Dawson a toujours vécu dans l'ombre de Gary Carter, plus golden boy, plus kid kodak. On n'a pas vu souvent ces deux-là au même party.

En 1984, malgré l'arrivée de Pete Rose, un autre gagnant patenté, les Expos nous ont encore fait vivre un coït interrompu et le propriétaire Charles Bronfman, grand fan de balle un peu naïf, n'a pas caché qu'il avait en travers de la gorge le gros contrat accordé à Carter. On savait dès lors que l'une des deux vedettes des Expos partirait et j'étais convaincu que ce serait Dawson. Parce qu'un receveur de premier plan comme Carter est plus difficile à trouver qu'un voltigeur de centre aux genoux amochés et que, curieusement, on imputait davantage à Dawson les échecs répétés des Expos. L'athlète d'exception «chokait» dans les grandes occasions.

Finalement, c'est Carter qui est allé gagner la Série mondiale avec les Mets de New York, qui ne nous ont pas refilé grand-chose en retour. Dawson est resté deux autres saisons à Montréal, puis on l'a laissé aller pour rien à Chicago où, pour un salaire risible, il a connu une saison 1987 d'anthologie. Dawson a représenté les Cubs au match des Étoiles pendant cinq ans, plongeant chaque fois un peu plus profondément le fer-9 dans la plaie des partisans des Expos.

Carter est revenu faire un dernier tour de piste chez les Expos, pas Dawson. La dernière fois que je l'ai vu jouer en personne, le 25 juillet 1993 au Fenway Park, ses genoux mal en point le limitaient au rôle de frappeur de choix avec les Red Sox. Ce jour-là, le Hawk m'a fait plaisir: il a frappé un circuit et un double et a fait marquer deux points avec le panache et la dignité qu'on lui a toujours connus.

On ne s'étonne pas que Dawson soit élu au Temple de la renommée sept ans après Carter. Mais il n'était pas moins bon joueur que son frère ennemi. Ça nous ferait tous un petit velours s'il y entrait coiffé de la casquette des Expos, mais le baseball majeur se souvient-il seulement qu'il y a déjà eu une équipe à Montréal?