Marie-Pierre Gagné a été nageuse synchronisée pendant 19 ans, dont 8 au sein de l'équipe canadienne. Retraitée depuis les Mondiaux de 2009, elle étudie aujourd'hui la médecine à l'Université de Montréal. Si elle ne regrette rien de sa carrière dans un sport qui lui a fait vivre des expériences riches et uniques, elle reconnaît qu'elle en traîne aujourd'hui des séquelles.

«Depuis que je suis jeune, j'essaie d'être mince, d'avoir le look de la nageuse synchronisée, coupée au couteau. Ça, pour moi, c'est l'image de la femme idéale. Et je pense que cette image-là, elle est erronée», a dit Gagné, hier après-midi, en entrevue téléphonique.

La recherche de la minceur, le maintien de son poids et la surveillance de son alimentation ont été une préoccupation constante pour Marie-Pierre Gagné, capitaine aux Jeux olympiques de Pékin. «C'est la réalité d'un sport jugé en maillot de bain, constate la jeune femme de 28 ans. On sent toujours la pression. Pression des entraîneurs, des coéquipières, du sport. Pression qu'on s'impose à soi-même.»

Redoubler d'efforts

Parmi les nageuses canadiennes, Gagné n'était pas la plus mince sur le plan génétique. Elle a dû redoubler d'efforts pour arriver à se mouler au groupe. La tâche était d'autant plus difficile qu'elle avait le rôle de projeter ses coéquipières hors de l'eau. Elle avait donc besoin d'une musculature conséquente.

Tous ses entraîneurs l'ont suivie de près. «Chacun avait sa technique. Il y en a qui nous pesaient, d'autres faisaient des tests de gras, d'autres regardaient ce qu'on mangeait le midi. Si, par malheur, on apportait un aliment qui n'était pas super santé, on avait droit à un commentaire!»

Au retour des Mondiaux de Melbourne, en 2007, l'équipe canadienne s'est fait dire qu'elle avait pris trop de poids, relate Gagné. A suivi un camp pour retrouver ce «look de performance» qui n'échappe pas à l'oeil des juges. «Quand une équipe arrive en "shape" sur le bord de la piscine, ça envoie un message. C'est clair que les juges et les autres pays regardent ça.»

Gagné n'a pas sombré dans l'anorexie ou la boulimie. «Je considère que je m'en suis bien sortie. Mais faire attention à ce qu'on mange et se peser chaque jour, la ligne qui sépare de la maladie est mince. C'est malsain, très malsain.»

Elle a choisi de consulter pour régler un problème dont elle souffre encore aujourd'hui. «Je suis comme ça. Je n'arrive pas à arrêter de m'en faire.»

Gagné dit que son comportement découle directement de la pratique de son sport. Son entourage la perçoit presque comme une «extraterrestre». «Ma famille, mes amis, mon chum, tout le monde trouve ça malsain et ridicule. Ça les dérange énormément.»

Le plus dur, dit Gagné, est de côtoyer des coéquipières aux prises avec des troubles alimentaires. Elle en a été témoin à plusieurs reprises. «Pas de déjeuner, pas de dîner, et ça se fait vomir après huit heures d'entraînement. Ça, c'est vraiment dur. On ne sait pas quoi lui dire. Il y a vraiment un malaise. On sait que ça se passe, mais personne n'en parle.»

En revanche, Gagné prévient que les comportements alimentaires déviants et le désir de minceur obsessif n'étaient pas le lot de toutes les nageuses canadiennes. La majorité parvenait à conserver une silhouette idéale sans y penser. «S'entraîner 45 heures par semaine, ça fait le travail! Il y a tellement de nageuses qui n'avaient pas à se poser ces questions-là.»

Malgré les soucis, elle conserve un excellent souvenir de ses 19 années en nage synchronisée, sport complet qui allie performance athlétique, technique, acrobatie, esprit d'équipe et créativité dans l'eau. «N'importe quel athlète qui a goûté au niveau olympique dira qu'il y a des côtés plus difficiles...»

Les précisions de Lamoureux

Gagné a parlé franchement après avoir été invitée à commenter un reportage diffusé mardi soir à Radio-Canada. Ève Lamoureux, qui a brusquement quitté l'équipe canadienne l'été dernier, y a raconté que ses paramètres corporels étaient constamment mesurés. Les entraîneurs l'incitaient entre autres à réduire la circonférence de ses cuisses dans un souci d'uniformité avec les autres nageuses.

«Il fallait que je maintienne vraiment un taux de gras, un niveau de masse corporelle assez bas. Mais aussi mon défi à la fin, c'était de perdre du muscle dans les jambes. Ce n'est pas facile», a-t-elle confié.

Sans renier ses propos, Lamoureux a tenu à rectifier le tir hier. Son départ à la retraite n'est pas dû aux rigueurs liées à son corps. À ce sujet, son sport ne serait pas différent de «la gymnastique, du patinage artistique, de la danse ou du ballet», soutient-elle.

Lamoureux avait simplement «perdu le plaisir» de nager et souhaitait se consacrer à ses études en actuariat. «Ce n'est pas du tout que je me sois fait mettre dehors ou une incapacité à maintenir mon poids, a insisté la jeune femme de 24 ans. La vie d'athlète de haut niveau est quand même très exigeante. J'avais le goût de vivre d'autres expériences. Je suis très heureuse et j'assume ma décision à 100 milles à l'heure.»

Lamoureux trouve «dommage» que le reportage n'ait pas mis davantage d'accent sur la qualité du soutien dont bénéficient les nageuses au centre d'entraînement de Montréal: «Des spécialistes, il en pleut!»

Catherine Gosselin-Després, chef de la direction de Synchro Canada, a fait valoir le même message, soulignant que l'encadrement avait été significativement bonifié au cours des dernières années. La fédération s'est également munie d'une politique générale de santé de l'athlète et d'une autre destinée spécialement à prévenir les troubles alimentaires. La politique a déjà été mise en application pour des «cas rares».

«Le message est clair: les nageuses ne peuvent participer aux sélections dans un tel état, a précisé Mme Gosselin-Després. On renforce ça aussi auprès des clubs.»

Les 12 nageuses de l'équipe canadienne participent actuellement à un camp en altitude en Colombie. Aucune nutritionniste ne les accompagne, mais un physiologiste fait partie de l'équipe de soutien intégré. Le mois prochain, elles participeront aux Jeux panaméricains de Guadalajara, au Mexique, où elles tenteront de se qualifier pour les JO de Londres.

Photo: Robert Skinner, La Presse

Ève Lamoureux avait «perdu le plaisir» de nager et souhaitait se consacrer à ses études en actuariat.