Michael Phelps s'amène à Montréal aujourd'hui pour participer ce week-end au Grand Prix Coupe du Canada/Coupe du Québec de natation.

En huit épreuves depuis son retour à la compétition, le meilleur nageur de l'histoire a subi quatre «défaites» ... c'est-à-dire qu'il a fini deuxième. Ses deux médailles d'argent sur 100 mètres libre, la course dans laquelle il éprouve une nouvelle technique, ont été particulièrement remarquées. Où en est ce nouveau style dit du «moulin à vent» ?

Benoit Lebrun était aux premières loges pour assister au retour à la compétition de Michael Phelps, il y a un mois, à Charlotte, en Caroline-du-Nord. L'entraîneur québécois était aux abords de la piscine quand l'Américain de 23 ans a pris le deuxième rang du 100 mètres libre, près d'une seconde derrière le Français Frédérick Bousquet et sa combinaison en polyuréthane aujourd'hui interdite.

Son chrono de 49.04 secondes aurait fait plaisir à bien des nageurs de moindre calibre. Mais une chose a davantage retenu l'attention: ce nouveau style au crawl autour duquel Phelps entretenait le mystère depuis quelques semaines.

Après bien des spéculations, Phelps a finalement dévoilé son jeu. Plutôt que de ramener ses longs bras selon la méthode classique, les coudes fléchis et les mains détendues frôlant la surface de l'eau, il les a déployés complètement, les gardant bien tendus dans la phase de recouvrement.

L'octuple médaillé d'or des Jeux olympiques de Pékin empruntait ainsi le style dit du «moulin à vent» qui fait le succès de quelques sprinters, dont Bousquet, recordman mondial du 50 m libre.

Sauf que Phelps a apprêté la sauce à sa manière, variant les styles à deux reprises durant la course, phénomène plutôt inusité.

Benoit Lebrun a préféré la version originale, jugeant le crawl de Phelps plus efficace les coudes pliés. «Je ne sais pas s'il a la puissance pour nager les bras droits», s'est demandé l'entraîneur-chef du Centre d'excellence des sports aquatiques du Québec (CESAQ).

La maîtrise de cette technique «plus puissante, plus grossière, moins économique», dixit Lebrun, n'est pas évidente.

L'olympienne Victoria Poon, une élève de Lebrun, s'y est convertie il y a près de six ans... avant de revenir à la technique plus classique cette saison. «On n'arrivait pas à garder son synchronisme», explique l'entraîneur.

À Charlotte, Poon a abaissé de cinq centièmes son record national du 50 m libre, le faisant passer à 25.42.

L'Australien Michael Klim a largement contribué à populariser la technique des bras tendus. Aux Jeux de Sydney, en 2000, il l'avait employée à quelques moments précis de la course où il a fait tomber le mythique record du Russe Alexandre Popov au 100 m libre.

Entraîneur pour l'Australie à l'époque, Pierre Lafontaine ne croit pas que Phelps puisse tenir de la sorte sur deux longueurs. «Klim le faisait pour accélérer sur quelques coups de bras, en sortant de l'eau et à l'approche des murs, détaille l'entraîneur national canadien. Ça te permet de sortir un peu plus les épaules de l'eau et d'avoir un peu moins de résistance. Et ça te permet plus d'application de force dans l'eau.»

Or cette augmentation de puissance à un coût: une plus grande demande énergétique. «Ça taxe beaucoup plus les gros muscles, comme les grands dorsaux», explique Lafontaine.

La conversion de Lacroix

Manifestement, ce déficit énergétique ne s'applique pas également à tous. À preuve, Audrey Lacroix, une nageuse au physique très menu, est une adepte de la technique «bras tendus» au crawl depuis maintenant huit ans. Et ça lui réussit bien puisque la spécialiste du papillon s'est qualifiée pour le relais canadien du 400 m libre à Pékin.

Lacroix a procédé à cette modification à la demande de son entraîneur, Claude St-Jean. Ce dernier lui a présenté des vidéos d'elle nageant le crawl. «Ce n'était vraiment pas beau...» s'amuse l'athlète de 25 ans.

L'exemple de Klim et de la Néerlandaise Inge de Bruijn, une autre spécialiste du papillon, a fini par convaincre la Québécoise du bien-fondé de la conversion. «Inge de Bruijn l'avait très, très bien, se souvient-elle. Je la trouvais donc bien chanceuse!»

La technique a permis à Lacroix de stabiliser un style déjà peu conventionnel. «Je «sautais» encore plus quand je pliais mes bras, souligne-t-elle. Le fait de nager les bras droits a vraiment amélioré l'apparence de mon style. Au début en tout cas!»

L'adaptation à ce «gros changement» a cependant été progressive. Lacroix avait tendance à replier les bras quand la fatigue la gagnait. En revanche, elle sentait un meilleur élan dans la traction sous-marine, entreprise plus à l'avant. «Le bras part de plus haut et en arrivant dans l'eau, avec la gravité, il a une plus grande vitesse», dit-elle.

Phelps semble toujours dans la phase adaptative. À Santa Clara, fraîchement sorti d'un camp de trois semaines au Colorado, il a offert une version hybride du «moulin à vent». La superstar a fini deuxième en 48.77, terminant derrière le champion du monde canadien Brent Hayden, auteur d'un chrono de 48.44.

L'entraîneur québécois Nicholas Perron a pu apprécier sur place le Phelps 2.0. «Sur le premier 50, c'était flagrant qu'il n'avait plus le même style, a observé l'entraîneur du Rouge et Or de l'Université Laval. Ce n'était pas les bras tendus complètement, mais les mains étaient plus hautes et le recouvrement, plus circulaire.»

En entrevue avec La Presse, il y a deux semaines, Phelps avait mentionné vouloir attaquer le 100 m libre des sélections américaines avec un style «définitif» dans lequel il se sentirait à l'aise. Le Grand Prix Coupe Canada/Coupe du Québec, ce week-end, au Parc olympique, représente sa dernière occasion de cimenter son oeuvre inachevée.