David La Rue n'est pas le premier patineur à faire la transition du courte piste au longue piste avec succès. Mais sa vitesse d'adaptation a été fulgurante. Champion mondial junior du départ groupé, il a lancé sa saison de Coupe du monde au Japon la nuit dernière. Jusqu'où ira-t-il?

Alex Boisvert-Lacroix se souvient avec amusement des débuts de David La Rue en patinage de vitesse longue piste, fin décembre 2016, à l'anneau olympique de Calgary: «Il avait presque l'air de Bambi sur un lac glacé...»

Quelques jours plus tard, La Rue a remporté deux épreuves à la Coupe Canada, une compétition de calibre national. Surtout, ses chronos le rapprochaient des meilleurs Canadiens de la discipline.

Sacré champion canadien junior trois semaines plus tard, La Rue a ensuite pris part à ses premiers Mondiaux.

L'automne suivant, il a participé à ses quatre premières Coupes du monde, où il a passé très près du standard chronométrique qui l'aurait qualifié pour les Jeux olympiques de PyeongChang.

Aux Championnats du monde juniors disputés à Salt Lake City, il a gagné l'or à l'épreuve de départ groupé et l'argent au 1500 m, ce qui démontre l'étendue de son répertoire. Il occupait le deuxième rang dans la course au titre général jusqu'à ce qu'une erreur de couloir au 5000 m lui vaille une disqualification.

Le 23 octobre, aux Championnats canadiens de distances individuelles, le jeune homme de 20 ans a confirmé sa progression : victoire au 1500 m, troisième au 1000 m et cinquième au 500 m. Grâce à cette prestation, il s'alignera dans les trois distances à la première Coupe du monde de la saison, à Obihiro, au Japon, qui s'est amorcée dans la nuit d'hier à aujourd'hui.

Quelques jours avant son départ, La Rue s'excusait de ne pas avoir répondu plus rapidement à une demande d'entrevue... envoyée une demi-heure plus tôt. «J'ai dormi plus tard pour commencer à m'habituer au décalage horaire avec l'Asie», avait-il expliqué.

Deux heures plus tard, l'athlète de Saint-Lambert débarquait à l'aréna Maurice-Richard, à Montréal, où il patine depuis cinq ans. Parce que La Rue a d'abord été un spécialiste du courte piste, discipline où il fait encore l'essentiel de son entraînement sous la supervision de Marc Gagnon au centre régional de Patinage de vitesse Canada. Dans cette antichambre de l'équipe nationale, il côtoie la relève du courte piste et Boisvert-Lacroix, olympien en longue piste issu de la même filière.

À 1,85 m et plus de 80 kg, La Rue avait un potentiel limité en courte piste, a toujours pensé Boisvert-Lacroix, lui-même un gaillard qui a vécu les affres de la glace cédant sous son poids. Le jeune démontrait également des capacités physiologiques rares. «Dave, c'était un boeuf sur un vélo», résume le gagnant de deux 500 m en Coupe du monde l'hiver dernier. «Le longue piste, ça se rapproche un peu du cyclisme : il faut que tu sois capable d'en pousser, des watts.»

S'improvisant recruteur, Boisvert-Lacroix a donc tiré la manche de son collègue, qui a fini par céder quand des maux de dos ont bousillé son automne 2016 en courte piste.

«Je voulais juste voir ce que j'étais capable de faire», précise La Rue. À son premier essai à Calgary, il confirme qu'il a eu du mal à s'adapter aux patins clap et à leurs bottines moins rigides. «La première semaine [à l'entraînement], je rentrais dans le virage et j'avais peur. Je sentais chaque fois que j'étais sur le bord de mourir!»

De son point de vue d'entraîneur, Gregor Jelonek a plutôt noté un fort potentiel. «Dès qu'il a commencé à patiner, j'ai tout de suite vu qu'on avait quelqu'un de talent avec nous», indique le coach en chef du centre national Gaétan-Boucher.

Plus que le courte piste, Jelonek estime que l'expérience de La Rue en patins à roues alignées a contribué à sa transition rapide: «En longue piste, on a besoin de bonnes lignes droites. Et les lignes droites, elles se pratiquent en rollerblade.»

La recrue s'est rapidement adaptée et a fini par se plaire sur l'anneau de 400 m. «J'ai encore beaucoup de fun en courte piste, mais je réalise que c'est vraiment en longue piste que j'ai envie de me développer en tant qu'athlète, explique La Rue. Ce que j'adore du longue piste, c'est que j'ai de l'espace pour faire de grandes poussées et je me sens libre sur la glace comparativement au courte piste.»

Encore jeune et nouveau dans sa discipline, La Rue n'a «pas de temps à perdre», selon ses propres dires.

Sa vision est claire. Cette saison, il ambitionne de se maintenir parmi les 15 meilleurs du 1500 m et ainsi conserver sa place dans le groupe A. L'élève en sciences de la nature au collège de Maisonneuve vise aussi une première participation aux Mondiaux de distances individuelles d'Inzell, en Allemagne (7-10 février).

À plus long terme, il ne veut pas seulement participer aux prochains JO de Pékin, en 2022, mais y gagner une médaille. «Je trouve que beaucoup de personnes ont peur d'afficher [leurs ambitions]. De dire des choses. Je pense qu'il faut être capable de tolérer un type de pression de ce genre.»

David La Rue a les jambes, le coeur, et la tête. Il a l'air bien parti.

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Inspiré par les JO

David La Rue a commencé à s'intéresser au patinage de vitesse longue piste en suivant les Jeux olympiques de Turin en 2006. Ce n'est que quatre ans plus tard, inspiré par les exploits de Charles Hamelin et consorts sur courte piste à Vancouver, qu'il a décidé de s'inscrire au club de Longueuil alors qu'il avait 12 ans. «Je m'entraînais seulement deux fois par semaine au début. J'avais tellement hâte! C'est tout ce que j'avais en tête. J'étais vraiment turbulent à l'école quand j'étais jeune. Le patin, ça m'a complètement calmé.» Il a poursuivi son apprentissage au club Montréal Gadbois, dans le sud-ouest de Montréal, avant de rejoindre le centre régional canadien à l'aréna Maurice-Richard.

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À son corps défendant

Aux derniers Mondiaux juniors, La Rue a d'abord voulu se désister de l'épreuve de départ groupé au profit d'un coéquipier. Une poursuite par équipes qui ne s'était pas bien passée l'avait épuisé. Une quinte de toux l'avait aussi assailli. «J'avais de la misère à vivre!», résume-t-il. Finalement, ses entraîneurs, le Québécois Muncef Ouardi en tête, l'ont conscrit pour le départ groupé. «Je ne sais pas pourquoi, mais je ne sentais rien dans mes jambes. Peut-être à cause de la douleur que j'avais eue avant [à la poursuite].» Le Québécois a réussi un dépassement in extremis dans le dernier virage pour filer vers l'or, ce qui effaçait son énorme déception de la veille après sa disqualification au 5000 m. «C'est le plus grand soulagement que j'ai eu de ma vie!»

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À Québec... pas tout de suite

La construction d'un Centre de glaces couvert à Québec, dont l'ouverture est programmée à l'automne 2020, est évidemment une nouvelle fantastique pour un jeune patineur comme La Rue. «Je ne sais pas si je vais déménager à Québec avant le prochain cycle olympique, prévient-il cependant. Ça donnera un an et quelques mois avant les Jeux. Je ne suis pas convaincu à 100 % que c'est le moment de changer tout un plan d'entraînement.» L'installation d'un anneau réfrigéré à ciel ouvert au parc Angrignon, prévue en novembre 2019, représentera une option dont il compte bien profiter. La Rue rêve même d'un centre couvert dans la région montréalaise... «Mon but, c'est de faire de gros résultats aux prochains Jeux pour qu'il y ait un anneau de longue piste à Montréal.»

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Quatre Québécois

En plus de La Rue, trois Québécois participent à la Coupe du monde d'Obihiro, dans l'île d'Hokkaido, dans le nord du Japon. Laurent Dubreuil voudra renouer avec le podium un an après sa victoire sur 500 m à Heerenveen, aux Pays-Bas. Dans la nuit d'hier à aujourd'hui, il s'est élancé pour le premier des deux 500 m au programme. Vice-champion national du 500 m, le jeune Christopher Fiola, 22 ans, tentera de se classer parmi les 20 premiers. Antoine Gélinas-Beaulieu cherchera à confirmer sa lancée des championnats canadiens où il a fini deuxième au 1000 m et au 1500 m. Pour des considérations budgétaires, l'équipe canadienne n'a délégué qu'un contingent de 11 patineurs en Asie, dont le double médaillé olympique Ted-Jan Bloemen. Le même groupe se rendra la semaine prochaine à Tomakomai, toujours dans l'île d'Hokkaido, pour une première compétition extérieure depuis 2008.