Une spondi quoi? «Spondylolyse», articule Kasandra Bradette avant d'épeler le mal qui affecte son dos. «Non, ce n'est pas une maladie!», rigole-t-elle quand on lui pose la question. «Le nom a l'air d'en dire beaucoup, mais ce sont les petites branches d'une vertèbre qui sont fissurées. Ça crée une instabilité. Dans mon cas, c'est la L3, au milieu du dos, là où il y a beaucoup de tension.»

Relativement commune dans le sport de pointe, la blessure est particulièrement incommodante en patinage de vitesse, où l'athlète s'exécute constamment penché.

À divers degrés, Bradette souffre de sa spondylolyse depuis 2007, année où elle a quitté sa ville natale de Saint-Félicien pour venir s'entraîner au défunt club Montréal-International. Elle pense se l'être infligée lors d'un bête accident en s'échauffant. Elle est tombée assise sur une haie qui a refusé de céder. Ainsi a commencé un long calvaire dont elle a fini par croire qu'elle ne sortirait pas.

À la conférence de presse annonçant la Coupe du monde de patinage de vitesse de Montréal, qui s'ouvre vendredi à l'aréna Maurice-Richard, Kasandra Bradette était pourtant bien là, le survêtement blanc et rouge de l'équipe canadienne sur les épaules. Tout un symbole pour l'athlète de 25 ans.

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Bradette n'est pas étrangère aux Coupes du monde. Elle en avait déjà fait trois avant celle de Salt Lake City, la semaine dernière. En 2011, à sa deuxième expérience, elle a terminé quatrième du 500 mètres de Shanghai.

Classée sixième sur la scène nationale, elle était toutefois en proie à une douleur intense, tenace, chronique. «C'était pas mal dans la vie courante de tous les jours, détaille l'étudiante en biochimie à l'UQAM. Souvent, ça m'empêchait simplement de patiner. D'autres fois, je n'étais pas capable de me lever. Je restais soit assise, soit couchée sur le côté. (...) J'avais mal au dos, mais ce qui m'empêchait le plus de fonctionner, c'était la douleur neurologique qui se rendait dans mes jambes.»

Pendant que ses coéquipières patinaient jusqu'à 10 fois par semaine, elle devait souvent se contenter de trois ou quatre entraînements sur la glace. Après quelques mois de ce régime, la haute direction de l'équipe, les coachs et le personnel médical en sont venus à la conclusion qu'il fallait retirer la patineuse pour des raisons de santé.

Bradette n'était pas d'accord, même si elle convient que sa situation était devenue intenable. Elle a dû se résoudre à rater toute la saison 2012-2013, avec l'assurance que son statut d'athlète subventionné par Sport Canada serait protégé. Sa nouvelle vie s'est résumée à des séances quotidiennes de physiothérapie.

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À son retour, au printemps 2013, Bradette a appris à son grand désarroi qu'elle était reléguée à l'équipe de développement et que son brevet d'athlète s'en trouvait diminué. «Moralement, ç'a été vraiment dur. Pour moi, ça voulait dire : ils ne me font pas confiance, ils ne pensent pas que je suis capable d'être dans l'équipe A. Finalement, je suis passée par-dessus.»

Avec les sélections olympiques de Sotchi à l'horizon, elle a mis les bouchées doubles pour rattraper des coéquipières déjà affûtées. Elle a fini par s'épuiser. Le vase a débordé lors d'un camp à Budapest. «Ça n'allait plus bien. Je patinais à reculons.» Les médecins ont diagnostiqué un surentraînement.

Elle a quand même pris part aux essais, où elle a fait de la figuration. «Ça n'a absolument rien donné. C'était terrible! Ça n'avait même pas rapport, que je patine.»

Bradette s'est accrochée. Durant les fêtes, elle est retournée patiner trois semaines avec les Éclairs de Saint-Félicien, son club d'origine. Le ressourcement a été total. Elle a arrêté de se comparer à ses coéquipières et appris à tracer ses limites. «Généralement, j'ai de la misère généralement avec ça.»

Elle s'en est tirée aux sélections printanières (7e), mais ce ne fut pas suffisant pour conserver sa place dans l'équipe canadienne. Exclue, elle se retrouvait sans statut et sans le sou. «Ç'a vraiment été un coup dur. Je me suis dit: c'est peut-être le temps que je tourne la page. C'est peut-être fini. Je suis peut-être finie.»

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Avec cette idée en tête, elle est partie une semaine dans le Sud, à lire sur la plage et à ne penser à rien. À son retour, l'entraîneur de l'équipe de développement l'a convaincue de tenter le coup jusqu'aux sélections automnales de Calgary. «On croyait en elle et on croit encore en elle, explique Jeffrey Scholten. C'était juste ça, le message.»

Ses parents aussi croyaient en elle. Ce sont eux qui l'ont appuyée financièrement jusqu'à Calgary, où elle a dû payer hôtel et avion. Pour une jeune femme habituée à l'autonomie depuis quelques années, la situation n'est pas sans causer un certain inconfort.

Bradette s'est présentée aux sélections dans une combinaison de l'équipe du Québec mal ajustée à sa taille. Contre toute attente, peut-être même les siennes, elle a terminé troisième derrière les médaillées olympiques Marianne St-Gelais et Valérie Maltais. «Je me suis fiée à ce que j'étais capable de faire, relève-t-elle. J'ai laissé mon instinct parler et ç'a super bien fini.»

À leur première compétition, la semaine dernière à Salt Lake City, Bradette, St-Gelais, Maltais et la recrue Kim Boutin ont établi un record national au relais 3000 mètres, en route vers la médaille de bronze. Déçue de sa disqualification à son épreuve favorite du 500 m, qu'elle attribue à un surcroît d'enthousiasme, Bradette s'est rendue en quart de finale au 1000 m (16e).

«Il y a bien des gens qui auraient arrêté, note-t-elle au sujet de son parcours tortueux. Je ne sais pas ce qui m'a retenue dans le patin. Quand j'ai une chose en tête, je ne suis pas capable de la laisser aller. En même temps, tu te demandes: est-ce que je suis trop obstinée? Il y a des gens obstinés pour qui ça ne donne rien. Si mon histoire peut aider des gens, tant mieux. Parce que ce n'est pas tout le monde qui a un parcours facile.»

Inscrite sur les deux 500 m à Montréal, elle aimerait atteindre les demi-finales. Sa présence sur la glace est déjà un exploit en soi.