Rien de mieux que de traverser la Réserve faunique des Laurentides pour renouer brutalement avec l'hiver. Ça commence par des conifères joliment fardés de blanc pour finir, tout en haut, sous les gros flocons et dans la gadoue. Il faut vouloir pour arriver à Saguenay.

Jamais autant que Caroline Truchon. En fait, la patineuse de vitesse courte piste de 23 ans revient à Chicoutimi. Il y a cinq ans, quand elle a quitté sa ville natale pour venir s'entraîner à Montréal, peu de gens croyaient encore en elle. L'adolescente qui gagnait tout avait été surpassée par ses cadettes Valérie Maltais et Marianne St-Gelais, deux autres patineuses de la région.

«Elles m'ont toutes dépassée. Et quand je dis dépasser... Je finissais un demi-tour derrière. Beaucoup de monde pensait que j'étais finie», raconte Truchon.

Pendant que ses consoeurs prenaient la direction du centre national, à l'aréna Maurice-Richard, Truchon s'est retrouvée au club de développement Montréal International. Sans aide financière, elle a dû combiner petit emploi, études et entraînement pendant trois ans. «D'habitude, c'est le genre d'athlète qu'on perd», fait remarquer Robert Dubreuil, directeur général de la Fédération québécoise de patinage de vitesse.

L'amour du sport et une rencontre déterminante avec le champion olympique François Drolet l'ont gardée sur la glace. «Il m'a vraiment beaucoup inspirée, dit-elle. Je ne connaissais personne qui avait vécu la même chose que moi. Je me suis dit: «Bien écris-la, ton histoire».»

C'est exactement ce que la jeune femme fait depuis janvier, alors qu'elle s'est qualifiée pour la première fois dans l'équipe canadienne de Coupe du monde. Elle a aussi été sélectionnée pour les Mondiaux par équipe, sans toutefois avoir l'occasion de patiner. Sa progression s'est poursuivie à la sélection nationale de septembre, où elle s'est classée quatrième.

Et voilà Truchon à Saguenay, où elle participe ce week-end à la quatrième coupe du monde de sa carrière. Vendredi, après s'être qualifiée avec aplomb pour les quarts de finale des deux épreuves de 500 mètres, elle s'est dite «tout énervée». Avec les hurlements stridents des quelque 2500 écoliers qui emplissaient les gradins du centre Georges-Vézina, il y avait de quoi.

«Ce sport, ils l'ont en eux»

Dans l'équipe canadienne, Truchon est accompagnée de trois autres patineuses du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Maltais, de La Baie, et St-Gelais, de Saint-Félicien, mais aussi de son idole de jeunesse, Marie-Ève Drolet, une ancienne coéquipière avec les Comètes de Chicoutimi. La «reine» Marie-Ève, double championne mondiale junior qui s'était retirée après les Jeux olympiques de 2002 avant d'effectuer un improbable retour sept ans plus tard.

Le coin de pays qui a produit des champions comme Sylvain et Marc Gagnon et Frédérick Blackburn alimente maintenant l'équipe féminine canadienne. N'allez pas demander une explication à Marianne St-Gelais. «J'haïs ça, cette question-là, parce que je ne sais pas quoi répondre!», a dit la vice-championne olympique, elle aussi facilement qualifiée pour les rondes du week-end.

Un peu en boutade, elle hasarde quand même une réponse sur l'opiniâtreté des «pionniers» de la région: «On sait c'est quoi, travailler, on est habitués d'avoir les mains dans la bouette...»

Les caractéristiques du patinage courte piste se marient parfaitement aux traits de caractère des Bleuets, a constaté Robert Dubreuil au fil des années. «Ils sont compétitifs, ils embarquent, ils sont passionnés. Ce sport, ils l'ont en eux.»

Bien sûr, l'impact des Gagnon, Drolet et Blackburn est indéniable. L'aménagement d'une patinoire de dimension olympique au centre Georges-Vézina, en 2003, et l'ouverture parallèle du centre régional d'entraînement Marc-Gagnon ont aussi servi de tremplin aux sept clubs de la région.

Si bien que la culture du sport est bien ancrée ici. Une Coupe du monde y est présentée pour la quatrième fois en moins de 10 ans. À sa première expérience chez elle, St-Gelais a même été déstabilisée par la ferveur du public. «On dirait que ça a traversé ma bulle. C'est venu me prendre au coeur vraiment solide. Il a fallu que je me concentre parce que je me serais mise à pleurer...»