La patineuse de vitesse Marie-Ève Drolet a fait bien des choses pendant ses six années loin de la compétition. À 28 ans, cette aventurière à l'esprit bohème veut maintenant vivre sa vie d'athlète. Un choix et un privilège.

Au fond, Marie-Ève Drolet a toujours su qu'elle recommencerait à patiner. Sinon, pourquoi traînait-elle sa vieille paire de patins depuis son retrait précipité de la compétition, en 2002?

«Je les ai juste gardés», dit Drolet, sourire sibyllin, lors d'une entrevue dans un café du Vieux-Montréal, où elle vit depuis le printemps.

Ironiquement, ces patins à longues lames, vieux d'une dizaine d'années, viennent tout juste de prendre le chemin de la boîte à souvenirs. C'est donc dans des bottines flambant neuves que Drolet prendra part à la Coupe du monde de patinage de vitesse courte piste de Montréal, de vendredi à dimanche.

Drolet a causé une petite commotion quand elle a quitté le patinage de vitesse à l'automne 2002. Double championne du monde junior, elle venait de disputer les Jeux olympiques de Salt Lake City, où elle avait gagné le bronze au relais et fini quatrième au 1000 mètres. Elle représentait le plus bel espoir d'une équipe canadienne en pleine phase de renouvellement. «J'avais 20 ans. Ça a été un choc pour tout le monde», se souvient-elle.

Elle venait de quitter son Chicoutimi natal pour s'installer à Montréal, où elle entreprenait un baccalauréat en psychologie.

Elle tenait à obtenir de bonnes notes dans l'intention d'être admise au doctorat. Bien vite, elle s'est rendu compte qu'elle n'y arriverait pas en patinant à temps plein. Et elle ne se voyait pas étudier à 30 ans. «Je ne voulais pas manquer le trip de l'université», dit-elle.

Mais il n'y avait pas que ça. La pression lui pesait aussi. Habituée à gagner jeune - elle a été quadruple médaillée d'or aux Jeux du Canada - elle ne se voyait pas autrement que première: «On veut toujours gagner. Ça devient plus stressant.» Et l'idée de recommencer le cycle Coupes du monde-championnats du monde-Jeux olympiques ne la branchait pas trop. La jeune femme était mûre pour de nouvelles expériences.

Quel été!

Si Drolet a appris une chose à Salt Lake City, c'est qu'elle devait apprendre l'anglais. Elle se souvient d'entrevues télévisées où elle ne pigeait rien aux questions et répondait ce qu'elle voulait. Elle a donc passé l'été 2002 comme aide-soignante dans une clinique médicale du Colorado.

L'été suivant, elle est revenue dans son patelin de Laterrière, près de Chicoutimi. Elle a décroché un emploi étudiant à l'usine d'Alcan. En entrevue, elle a insisté: «Je suis prête à travailler dur.» Ils l'ont placée à la salle des cuves. Des quarts de 12 heures, trois de jour, trois de nuit, dans une chaleur extrême. «Ils m'ont donné la pire job! pouffe-t-elle. J'avais des amis qui passaient la tondeuse, arrosaient les fleurs...» Un été à la fois «cool» et «extrême».

Mais ce n'est pas à Laterrière qu'elle perfectionnerait son anglais. Elle est donc partie à Victoria suivre des cours. Elle a rencontré un étudiant brésilien. Après avoir terminé son baccalauréat, elle a passé six mois dans sa famille au Brésil. Comme personne ne parlait anglais, elle a appris le portugais.

Retour à Victoria à l'automne 2005. Drolet a travaillé comme éducatrice en garderie avant d'entreprendre des études en acupuncture. C'est là que Corey l'a abordée: «Tu es Marie-Ève Drolet, la patineuse de vitesse?» Personne ne la reconnaissait ainsi depuis longtemps, a fortiori en Colombie-Britannique. «Il avait été marqué par une entrevue que j'avais donnée pendant les Jeux...»

Ils sont tombés en amour et se sont installés six mois sur un voilier amarré dans une marina. Un jour, Corey, un hockeyeur, lui a demandé de l'initier aux longues lames. Marie-Ève a sorti ses vieux patins et, quatre ans après les Jeux de Salt Lake, est retournée sur la glace. Le club de patinage de vitesse de Victoria offrait des séances libres le mardi soir et le samedi matin. «Ça m'a redonné le goût», dit-elle.

Se remettre en forme

Drolet s'est mise dans la tête de retrouver la forme. «Je ne faisais rien, aucun exercice, j'étais patate!» dit-elle en se pinçant les côtes. Elle s'est mise à la nage dans la piscine de l'hôtel adjacent à la marina. Dix longueurs, 20 longueurs, 100 longueurs...

L'idée de reprendre la compétition a germé et s'est cristallisée à l'hiver 2008, lors d'un séjour à Thunder Bay, où Corey allait retrouver son fils. Le couple vivait dans un chalet sur les rives du lac Supérieur.

La location d'une patinoire dans un aréna étant hors de prix, Marie-Ève a conçu sa propre glace... sur le lac gelé. Le déblaiement de la neige faisait partie intégrante de sa remise en forme. «Une fois, la neige était tellement mouillée que je n'étais pas capable de la pelleter, raconte-t-elle. J'ai donc fait d'immenses boules de neige que je roulais sur le côté.»

Autre élément d'entraînement: des parties de pêche sur glace, aller-retour en ski de fond, des randonnées d'une trentaine de kilomètres. C'est Marie-Ève qui ramenait le sac de 30 Lb de truites sur son dos.

En avril, la glace a fondu et la préparation à la Rocky s'est transportée au fin fond du nord de l'Alberta, à High Level, où Marie-Ève et Corey ont planté des arbres tout l'été. À la fois moyen de financement et entraînement. «On était dans un marécage sur un terrain très accidenté avec des sacs de 35-40 livres. C'était un entraînement dur, un défi à la fois physique et mental.»

Malgré une longue absence de six ans, Drolet était donc fin prête quand elle a réintégré la structure de l'équipe canadienne à Calgary à l'automne 2008. En un mois, elle avait retrouvé le niveau de 2002, dit-elle.

Mais le sport avait fait des bonds de géant. Et les autres filles sont devenues beaucoup plus agressives. En août 2009, Drolet n'a pas été en mesure de se qualifier pour les Jeux olympiques de Vancouver. Elle est passée proche, se classant sixième au total et deuxième au 1000 m.

Contrairement à ce que plusieurs ont cru, ce n'était pas l'occasion de la dernière chance pour l'ancienne Comète de Laterrière.

De retour au centre national de Montréal depuis mai dernier, Drolet cible maintenant les Jeux de Sotchi, en 2014. Elle s'est qualifiée troisième aux dernières sélections nationales pour les Coupes du monde de Montréal (vendredi à dimanche) et Québec (29 au 31 octobre), où elle visera des finales.

À 28 ans, elle réalise sa chance. Avec une pensée pour les parents et travailleurs qui peinent pour intégrer le sport à leur horaire. «J'aime le fait d'être athlète, dit Drolet à la fin de l'entrevue. Avant, ce n'était pas vraiment un choix. C'était ma vie et c'était comme ça. Là, j'ai vraiment fait le choix de revenir et d'être athlète. (...) Je suis payée pour m'entraîner, être en forme et en santé. On ne peut pas avoir mieux que ça.»