Joannie Rochette a retrouvé le «goût du sang». Celui qui envahit le fond de sa gorge à la fin d'une routine complète de 4 min 10 s à l'entraînement, où elle enchaîne six triples sauts et deux doubles axels. Comme à l'époque de ses médailles aux Championnats du monde et aux Jeux olympiques.

Samedi, à Tokyo, Joannie Rochette mettra à l'épreuve ce tout nouveau programme libre, conçu par l'ex-championne mondiale Yuka Sato, dans le cadre du Japan Open, une compétition sanctionnée par la fédération internationale (ISU).

«Je suis vraiment stressée rien que d'y penser», confie la patineuse de 27 ans, anticipant la réaction du public japonais, réputé fin connaisseur.

Elle se demande comment elle figurera par rapport à des concurrentes comme la Japonaise Mao Asada, vice-championne olympique et médaillée de bronze aux derniers Mondiaux, et la championne américaine Ashley Wagner. Après deux mois d'entraînement, elle vise 110 points, un score qui lui aurait permis de se glisser parmi les 12 premières aux derniers Championnats du monde. «En août, je n'étais pas en grande forme, j'ai donc été conservatrice», explique l'athlète originaire de l'île Dupas. «Là, ça va bien. Je suis déçue: j'aurais dû mettre sept triples sauts dans le programme.»

L'esprit de compétition l'habite toujours. «L'an passé, pendant les Mondiaux, je trouvais ça déchirant de regarder les compétitions, admet la médaillée de bronze des JO de Vancouver. J'avais le goût d'être là.»

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En février, Joannie Rochette sera à Sotchi pour toute la durée des Jeux olympiques. Avec patins et costumes dans ses valises. Mais ils y resteront, non sans «un gros pincement au coeur». La patineuse sera en Russie à l'invitation d'un commanditaire et fera partie de l'équipe de Radio-Canada. «Je ferai quelques interventions. Rien de gros, juste pour apprendre», tempère celle qui entreprendra ce mois-ci une formation privée dans une école de radio et de télévision.

Sans surprise, elle ne patinera donc pas à Sotchi. «Ce n'est pas dans les plans», m'a-t-elle corrigé plus d'une fois lors d'un entretien la semaine dernière dans un café montréalais.

Autrement dit, elle ne se laisserait pas tirer l'oreille. Si Patinage Canada avait pris contact avec elle l'an dernier pour lui proposer un encadrement clés en main en vue des JO, elle aurait été «facile à convaincre».

Ce n'est pas arrivé et Rochette n'en prend pas ombrage. Depuis quatre ans, une nouvelle génération de patineuses a émergé. La nouvelle championne canadienne, Kaetlyn Osmond, 17 ans, a fini huitième à ses premiers Mondiaux seniors. Les règlements ont aussi beaucoup évolué.

Techniquement, elle est toujours admissible à toutes les épreuves internationales. Rochette a conservé son statut amateur, une formalité qui l'a néanmoins obligée à refuser une invitation pour une prestation à Battle of the Blades, la populaire émission qui vient de reprendre l'antenne à CBC.

Son podium olympique de 2010 lui donne aussi une place d'office pour Sotchi; elle n'aurait qu'à participer aux championnats canadiens, en janvier, et y terminer parmi les deux premières pour décrocher une sélection. Avec de l'entraînement, ce serait possible d'y parvenir, évalue-t-elle.

Après son drame de Vancouver, Joannie Rochette aurait ainsi l'occasion de vivre une expérience olympique «plus positive». La liste des «contre» est cependant trop longue.

D'abord, elle a perdu ses deux piliers: sa mère, qui était l'organisatrice en chef et une agente redoutable, et son entraîneuse Manon Perron, qui oeuvre maintenant au développement à la fédération québécoise. Le duo a récemment renoué, le temps d'une séance sur glace: «J'avais oublié à quel point elle pouvait être tough

Ensuite, elle aurait beau se qualifier, elle reste réaliste: ses chances d'améliorer sa troisième place de Vancouver seraient minces, surtout en considérant le retour de la Coréenne Yuna Kim, tenante du titre. «On veut toujours faire mieux. Aller aux Olympiques pour finir septième, huitième ou neuvième, ça ne me tente pas.»

Représenter le Canada est aussi une responsabilité. «Aux Jeux olympiques, tu portes le pays sur tes épaules, signale-t-elle. Tu as été financée, les gens s'identifient à toi. C'est lourd à porter.»

Et il y a sa carrière professionnelle, florissante, surtout en Asie (le sport a perdu beaucoup de popularité aux États-Unis). Après chaque saison, elle pense qu'elle sera oubliée. Son agenda finit toujours par se remplir. Après Sotchi, elle se rendra directement en Suisse, en Finlande et en Suède pour une série de spectacles, d'où les patins dans ses valises.

Elle se voit faire ça encore quatre ou cinq ans. Elle se plaît dans ce métier de saltimbanque sur glace. Mais elle sent presque le besoin de se justifier, soulignant qu'Erik Guay ou Alexandre Bilodeau gagnent eux aussi de l'argent en remportant des Coupes du monde.

«Après 2010, je voulais rentabiliser toute ma carrière, rappelle Rochette. Il y a eu tellement d'investissement de la part de mes parents. Le patin, ça coûte 30 000, 40 000, 60 000 $ par année. Comme m'a dit mon père: "Prends tout ce qui passe, parce que ça n'arrive pas deux fois dans une vie".»

Donc, Joannie Rochette ne sera pas sur la glace à Sotchi. Mais n'allez surtout pas lui dire qu'elle prend sa retraite: «Je patine encore!» Qu'on se le tienne pour dit.

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JOANNIE ROCHETTE

Âge: 27 ans

Ville de résidence: Montréal

Ville d'origine: La Visitation de l'Île-Dupas

> Championne canadienne six années de suite (2005 à 2010), record post-1945

> 2 participations aux Jeux olympiques: 5e à Turin en 2006, bronze à Vancouver en 2010

> 7 participations aux Championnats du monde: argent à Los Angeles en 2009

131,28 points: record personnel au programme libre (JO de Vancouver)

110 points: cible pour son programme libre au Japan Open demain