Persona non grata: accusée d'avoir organisé un dopage d'État, la Russie a été suspendue des Jeux olympiques de 2018 à PyeongChang, le Comité international olympique (CIO) proposant néanmoins aux athlètes russes «propres» de participer sous drapeau olympique.

«Il s'agit d'une attaque sans précédent contre l'intégrité des Jeux olympiques et du sport», a commenté le président du CIO Thomas Bach, à propos du système de dopage mis en place en Russie. «La commission exécutive du CIO, a pris des sanctions proportionnées au regard de la manipulation systémique, tout en protégeant les athlètes propres», a ajouté le dirigeant allemand.

Le Comité olympique américain a salué une décision «forte et de principe» tandis que le Comité d'organisation des JO de PyeongChang «accepte et respecte les décisions du CIO».

Le CIO qui a pris sa décision «par consensus», a précisé M. Bach, suit ainsi, deux ans plus tard, la voie tracée par la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF), qui avait suspendu la Fédération russe le 13 novembre 2015 après les révélations d'un dopage systématique couvert par les autorités russes dans la première discipline olympique, et offert la possibilité aux athlètes russes pouvant montrer patte blanche de participer sous la bannière olympique aux JO de 2016 de Rio.

Cette décision fera date dans l'histoire de l'olympisme: la commission exécutive du CIO, réunie au siège de l'instance, a décidé pour la première fois de sanctionner tout un pays pour dopage, et de lui interdire l'accès à sa compétition de référence.

Joukov «a présenté ses excuses»

À l'issue d'une ultime réunion de crise où le Comité olympique russe a pu prendre la parole et où son président Alexander Joukov «a présenté ses excuses», a insisté M. Bach, l'instance olympique a aussi personnalisé la faute, en bannissant à vie Vitali Moutko, vice-premier ministre russe et longtemps figure du sport russe en tant que ministre, organisateur en chef de Sotchi-2014 ou encore grand ordonnateur de la prochaine Coupe du monde de soccer de 2018.

L'hymne russe, qui avait été le tube de l'hiver 2014 à Sotchi avec 13 titres remportés, ne retentira donc pas en Corée du Sud, et le drapeau aux bandes blanche, bleue et rouge, hissé à 33 reprises sur les podiums aux bords de la Mer Noire, restera dans les cartons.

Toutefois, afin de préserver la possibilité pour les athlètes russes propres de prendre part aux JO de 2018, le CIO leur propose, sous de strictes conditions, de se rendre en Corée du Sud sous drapeau neutre olympique.

Cette porte est ouverte «aux athlètes propres dans les sports individuels et collectifs», lesquels prendront part sous la bannière «Athlète olympique de Russie» (OAR), a encore souligné la patron du mouvement olympique.

Pour Poutine, l'humiliation ou le boycott

Près de 17 mois après les révélations en juillet 2016 du rapport McLaren, établissant un dopage institutionnalisé dans le sport russe entre 2011 et 2015, avec l'implication de Moscou et des services secrets (FSB), le CIO a donc décidé de prendre ses responsabilités et de sanctionner la Russie.

Avant les JO de 2016 à Rio, l'instance suprême de l'olympisme avait renoncé à suspendre la superpuissance sportive, renvoyant aux fédérations internationales le rôle de faire le tri au sein des sportifs russes, un procédé qui avait été vivement critiqué à l'époque. Au final, seul l'athlétisme avait durement sanctionné la Russie, et le pays avait présenté une délégation de 276 athlètes à Rio, contre 387 envisagés initialement.

Mais après un an et demi d'enquête de deux commissions, mises sur pied par le CIO et présidées par les Suisses Denis Oswald et Samuel Schmid, les preuves amassées étaient bien trop importantes pour se décharger une nouvelle fois.

Les conclusions présentées mardi après-midi à Lausanne devant les 14 membres de la commission exécutive et le président Bach sont accablantes pour la Russie.

Les premiers signaux d'un durcissement du ton du CIO avaient été envoyés tout au long du mois de novembre par la Commission Schmid, qui a disqualifié 25 athlètes russes des JO de 2014, retirant ainsi un tiers des médailles russes remportées sur les bords de la Mer Noire à Sotchi, dont quatre titres sur treize.

Cette décision met le président russe Vladimir Poutine devant ses responsabilités, avec le choix à un peu plus de trois mois de l'élection présidentielle, de l'humiliation ou du boycott.

«Un boycott olympique n'a jamais rien résolu», a d'ores et déjà déminé Thomas Bach, mardi soir, qui a assuré qu'il n'avait «pas discuté» avec M. Poutine de la question de l'éventuelle suspension de son pays.

Le 19 octobre, Poutine avait pourtant prévenu: obliger les athlètes russes à évoluer sous bannière neutre constituerait une «humiliation pour la Russie», estimant qu'une telle décision «ferait du mal au mouvement olympique».

Avec la décision historique du CIO, le voilà obligé de choisir, soit d'accepter la proposition du CIO, soit d'aller à l'épreuve de force et de boycotter l'édition sud-coréenne des Jeux d'hiver.

Le président du Comité olympique russe Alexander Joukov - également suspendu mardi - avait clairement expliqué qu'aucun sportif russe ne se rendrait sous drapeau neutre à Pyeongchang.

Mais si la Russie participe aux JO, ses athlètes auront été particulièrement contrôlés: sur les 7000 contrôles antidopage réalisés depuis plusieurs mois concernant 4000 athlètes, les Russes ont été «de loin les athlètes les plus contrôlés», a souligné jeudi Richard Budgett, le directeur médical du CIO.