Pour Anna Chicherova, championne olympique en titre à la hauteur, ou sa compatriote Elena Isinbayeva, la tsarine de la perche, la participation aux Jeux de Rio ne se joue pas sur les sautoirs, mais dans les bureaux des fédérations russe et internationale d'athlétisme.

Couronnée à Londres en 2012, Chicherova, 33 ans, s'entraîne à Sotchi, «sans penser à ce qui peut se profiler à l'avenir», explique-t-elle à l'AFP. Mais à trois mois de l'événement sportif de l'année (5-21 août), son horizon ne s'inscrit pas au pied du Corcovado, encore bien caché derrière les scandales de dopage qui éclaboussent la Russie depuis des mois.

Dans un rapport-choc, une commission indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA) avait dévoilé en novembre un «système généralisé» de dopage en Russie, poussant la fédération internationale d'athlétisme (IAAF) à suspendre provisoirement ce géant de l'athlétisme de toutes compétitions internationales.

«Cette situation m'a fait passer par tous les états, du désespoir à l'incompréhension», admet Chicherova, qui a déjà gagné deux médailles olympiques (avec le bronze de Pékin en 2008) en trois participations. «Il y a des fois où on ne sait pas où on va, quand on perd de vue un objectif», philosophe-t-elle.

Mais ses doutes ne seront pas dissipés avant juin, quand l'IAAF décidera de maintenir ou lever cette suspension.

«Nous avons beaucoup à faire»

Privés de compétitions internationales, les athlètes russes n'ont plus que la concurrence nationale pour s'étalonner. Un casse-tête pour leurs entraîneurs, comme Sergueï Klevtsov, coach de Sergueï Shubenkov, champion du monde en titre du 110 m haies.

«C'est un professionnel», explique Klevtsov au sujet de son protégé de 21 ans, qui s'entraîne jusqu'à six heures par jour à Adler, au sud de Sotchi: «Il comprend ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons».

Seule une conformité totale aux règles antidopage de l'Agence mondiale antidopage (AMA) et de l'IAAF pourra permettre à la Russie d'être réhabilitée.

Pour atteindre cet objectif, un nouveau président a été nommé en janvier à la tête de la Fédération d'athlétisme, Dmitri Chliakhtine. Afin de rétablir la confiance avec les instances internationales et mettre en oeuvre les réformes demandées.

«Le processus a commencé, peut-être pas aussi vite qu'on aurait voulu. Bien sûr, nous avons beaucoup à faire, mais beaucoup a déjà été réalisé», voulait croire M. Chliakhtine auprès de l'AFP en mars.

Dans un rapport en mars, l'IAAF a certes reconnu que la Russie avait fait de «considérables progrès» depuis novembre. Mais elle avait encore souligné qu'il restait un «travail significatif» à accomplir «pour remplir les critères permettant une réhabilitation.»

Le ministère russe des Sports s'est également engagé dans ce contre-la-montre pour aller au Brésil, en promettant d'aider les deux experts internationaux attendus fin avril pour accompagner l'avancée des réformes antidopage.

Pour prouver leur bonne volonté, les autorités ont aussi promis de soumettre à des tests antidopage supplémentaires tous les athlètes russes souhaitant se rendre à Rio.

«Nous ne pouvons qu'attendre, et voir comment la Fédération va répondre aux critères qu'elle doit remplir», explique Chicherova, fataliste: «J'ai accepté cette situation, parce que je comprends qu'elle ne dépend pas entièrement de moi».

Le meldonium, intrus gênant

Si en début d'année la tendance était plutôt à l'optimisme quant à la réintroduction de l'athlétisme russe dans le giron sportif, de nouvelles affaires de dopage sont venues polluer encore son image depuis.

Début mars, le meldonium, ajouté à la liste des produits dopants par l'AMA le 1er janvier, est ainsi devenu une célébrité à lui tout seul quand l'ancienne N.1 mondiale de tennis, la Russe Maria Sharapova, a révélé avoir été contrôlée positive à cette substance durant l'Open d'Australie 2016.

Mis au point dans les années 1970 dans l'ex-URSS, le meldonium était à la base un médicament protecteur des cellules cardiaques vendu dans les seuls pays de l'Est et largement détourné ces dernières années à des fins de dopage.

Depuis le 1er janvier, l'AMA a recensé 123 contrôles positifs au meldonium. Pas uniquement des Russes, certes, mais suffisamment de ressortissants de ce pays pour que l'opprobre soit encore jeté sur la Russie.

Le ministre des Sports Vitali Moutko a ainsi reconnu en avril que près de 40 sportifs russes, dont des tennismen et des nageurs, avaient été contrôlés positifs depuis le début de l'année.

Méthode Coué? Dimitri Chliakhtine estime en tout cas que ces nouvelles affaires n'auront pas d'influence sur les chances russes de réintégrer l'athlétisme mondial.