Il y avait un drapeau unifolié attaché à bâton de hockey sur le podium du Giro, dimanche après-midi, à Milan. Ryder Hesjedal, les larmes aux yeux, est celui qui le déployait. Il venait de réaliser ce qu'aucun cycliste canadien n'avait réussi avant lui: gagner un grand tour.

Le cycliste de Victoria a répondu à la commande et aux énormes attentes placées en lui, dépossédant l'Espagnol Joaquim Rodriguez du maillot rose de meneur lors de la 21e et dernière étape, un contre-la-montre individuel de 28,5 kilomètres.

Sans surprise, Hesjedal a été supérieur à l'Espagnol, qui détenait une priorité de 30 secondes avant de s'élancer pour ce test ultime. Mais Rodriguez a rendu l'issue de l'épreuve beaucoup plus serrée que prévu, ne cédant que 47 secondes à son poursuivant de l'équipe Garmin-Barracuda.

Hesjedal a donc remporté le 95e Giro par 16 secondes, la deuxième plus petite marge victorieuse de l'histoire, après plus de 91 heures en selle.

«Ce fut une expérience irréelle depuis le premier jour», a déclaré Hesjedal à la télévision peu après l'arrivée. «Ce que l'équipe a réussi à faire est incroyable. Je n'aurais pu le faire sans eux. Je savais que ma forme était bonne en arrivant au début de la course et je suis resté concentré chaque jour. Aujourd'hui, ça m'a tout pris.»

Au palmarès du Giro, la deuxième course en importance après le Tour de France, Hesjedal succède à des légendes telles Fausto Coppi, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Marco Pantani. «Voir mon nom dans cette liste est assez fantastique. C'est une sensation que je ne peux pas décrire. Je crois que ça prendra du temps avant que je le réalise», a commenté l'athlète de 31 ans, en soirée, lors d'une téléconférence avec les médias nord-américains.

À la manière du pilote Jacques Villeneuve, champion du monde de Formule 1 en 1997, ou du golfeur Mike Weir, gagnant du tournoi des Maîtres en 2003, Hesjedal propulse le sport canadien dans une autre dimension.

Aucun cycliste canadien n'était monté avant lui sur le podium d'un grand tour (France, Italie, Espagne). L'Ontarien Steve Bauer a fini quatrième du Tour de France en 1988 après avoir porté le maillot jaune de leader pendant cinq jours. Avant même la confirmation de la victoire de son compatriote, vendredi, Bauer affirmait qu'il fallait le considérer comme le plus grand cycliste canadien de l'histoire.

«Je ne dirais pas que la victoire de Ryder est une surprise complète, a dit Bauer. C'est plutôt une confirmation éclatante de ses habiletés. Son succès est une combinaison de talent, de développement, de concentration et de dévouement. Ça n'arrive pas du jour au lendemain. C'est un processus de 10 ans.»

Parcours sinueux

Hesjedal est arrivé au cyclisme sur route par la montagne, discipline dans laquelle il a connu beaucoup de succès, comme en témoigne sa médaille d'argent aux Championnats du monde de 2003. Après un abandon au cross-country des Jeux olympiques de Pékin, il s'est consacré à la route à temps complet, portant notamment les couleurs de l'US Postal et Discovery, les équipes de Lance Armstrong.

À ses débuts chez Garmin, en 2008, il a contribué à la victoire de sa formation au contre-la-montre par équipe au Giro. L'année suivante, il a gagné une grande étape de montagne au Tour d'Espagne. Deuxième de l'Amstel Gold Race au printemps 2010, il a révélé son potentiel dans une course de trois semaines en prenant le septième rang au Tour de France (1).

Surpris et honoré de se voir offrir le rôle de leader pour le Giro 2012, Hesjedal n'a pas déçu ses patrons. Coureur complet, le Britanno-Colombien a bâti son succès aux contre-la-montre individuels et par équipe, en moyenne montagne, où il a enfilé le rose une première fois, et à l'issue de trois prestations d'anthologie sur les sommets enneigés des Dolomites dans la dernière semaine, moment où il a l'habitude de monter en régime.

«Effort monumental»

À l'attaque vendredi dans l'Alpe di Pampeago, il a été livré à lui-même sur le mythique Stelvio, là où le Belge Thomas De Gendt, finalement troisième à Milan, menaçait de tout mettre sens dessus dessous.

«Aucun de mes rivaux ne voulait travailler pour conserver sa position, a rappelé le gaillard de 6'2 et 159 livres. Ils sentaient que c'était moi qui avais tout à perdre. C'était de la pure tactique de course. J'ai dû sauver mon Giro en faisant un effort assez monumental dans les cinq derniers kilomètres. Ça a rendu ma victoire encore plus savoureuse.»

Hesjedal ne sait pas s'il disputera le prochain Tour de France, qui s'élancera le 30 juin de Liège, en Belgique. Sa participation à la course sur route des Jeux olympiques de Londres, le 28 juillet, est le cadet de ses soucis, même s'il est volontaire et serait «honoré» d'obtenir le seul dossard disponible pour le Canada. «Je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas être à Londres, mais la décision ne m'appartient pas», a-t-il rappelé.

En dépit de son nouveau statut dans le peloton, Hesjedal jure qu'il ne changera pas. «Je suis le même gars. Je suis là depuis longtemps. Je fais juste mon travail, je suis constant et c'est ce que je dois faire. Ça démontre qu'il n'y a pas de chemin rapide vers le sommet. Tu dois adorer ce que tu fais, continuer à y mettre les efforts et à la fin tu es récompensé.»

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(1) Il a été crédité de la sixième place après la disqualification d'Alberto Contador pour dopage.