Tous les mardis jusqu'à la mi-août, La Presse vous propose des portraits de passionnés du vélo. Aujourd'hui : Denise Belzil, l'une des rares femmes à exercer le métier de mécanicienne du vélo.

Au Grand Défi Pierre Lavoie, en juin dernier, le mécano en avait plein les bras. Tous les cyclistes allaient instinctivement vers lui pour réparer ou ajuster leur bolide. Denise Belzil, qui compte plus de 30 ans d'expérience en mécanique du vélo, était pourtant disponible, juste à côté.

«Instinctivement, on ne fait pas confiance à une femme mécanicienne, dit-elle, en pianotant sur une pince avec ses fortes mains. Il y a encore plein de préjugés parce qu'on n'entend jamais parler de celles qui font ce métier.»

Denise Belzil a démonté son premier vélo à l'âge de 10 ans. Elle dirige maintenant l'école de mécanique Techno Cycle, seule du genre au Québec.

Dans une ancienne manufacture de matelas sur le bord du canal de Lachine dans le quartier Saint-Henri, elle enseigne l'art de réparer les bicyclettes à des centaines d'apprentis depuis 10 ans. Les grandes fenêtres donnent directement sur la piste cyclable. Quatre supports trônent au centre de la pièce, sur un plancher de bois franc qui craque sous les pieds. Partout sur les murs, des centaines d'outils, tous conçus pour une tâche précise, sont prêts à être empoignés.

La femme aux cheveux grisonnants a vu le milieu évoluer au cours des dernières décennies. Elle peut ajuster une vieille transmission Campagnolo, autant que le système de suspension hydraulique d'un vélo de montagne dernier cri.

Durant sa carrière, Mme Belzil a travaillé pour une dizaine de boutiques à Montréal. Elle a joint l'Association cycliste canadienne grâce à sa formation en réadaptation physique. L'année suivante, en 1989, elle ajustait des vélos au Tour de France pour l'équipe canadienne féminine.

Mécaniciens, unissez-vous!

La mécanique ne demande pas une force herculéenne. «J'admets que je suis plus forte que la moyenne des femmes. Mais les façons de travailler se sont raffinées. On ne redresse plus de cadres avec de grosses barres de fer.» Une chose n'a pourtant pas changé: la graisse est toujours aussi salissante.

Le copropriétaire de la boutique de vélo Momentum dans le quartier Villeray, Pierre Grouiller, fait partie de ces mécaniciens qui ont appris leur métier avec Denise Belzil. Il est devenu professeur chez Techno Cycle, avant de se lancer en affaires. «Une saison d'enseignement avec Denise, c'est cinq ans de mécanique dans une boutique tellement elle a d'expérience, dit le passionné de vélo. C'est LA référence à Montréal.»

Denise Belzil se déplace aussi dans les magasins du Québec pour transmettre son savoir et aider les mécaniciens à offrir un meilleur service. «Il ne manque pas de travail dans l'industrie. Les gens s'achètent tellement de vélos. Il en existe quasiment deux par personne. Les saisons sont aussi bien plus longues qu'avant.»

Mme Belzil rêve de fonder une association de mécaniciens qui régirait les conditions de travail dans le milieu. Elle a même commencé à donner des certifications avec des examens écrits et pratiques.

Elle dénonce les conditions de travail de nombreux mécanos, considérés comme des employés remplaçables qu'on embauche seulement pour la saison. «On fait peu d'argent en vendant des vélos, mais on peut en faire en les réparant. Un mauvais mécanicien peut faire fermer une boutique. En revanche, s'il fait attention, un bon mécano peut lui donner bonne réputation.»

Livres et mécaniques

Après des décennies à ajuster des vélos, la femme de 52 ans éprouve toujours le même plaisir à les démonter et à jouer avec les pièces. «Ma plus grande satisfaction est de voir un coureur se lancer en sachant qu'il ne se soucie pas de la mécanique. À 80 km/h, ce n'est pas le temps de se demander si les pièces sont bien serrées!»

Denise Belzil écrit aussi des livres sur la mécanique de vélo. Elle est d'ailleurs sur le point de publier son deuxième ouvrage, qui s'adresse autant aux mécaniciens qu'au grand public. «Les fabricants publient beaucoup de documents techniques, mais personne ne vulgarise. Il y a de la matière pour écrire un livre par année.»

En plus de démocratiser la mécanique du bicycle, Mme Belzil déboulonne les préjugés. «Avant, quand je donnais des cours, je devais donner mon CV aux élèves en commençant. Ça impressionnait les élèves et ils m'écoutaient. Maintenant, je n'en ai plus besoin, on sait qui je suis et le boulot ne manque pas!»