Quand ils ne sont pas en course ou en camp à l'extérieur du pays, les journées de Martin Gilbert et Keven Lacombe se ressemblent souvent. Les deux cyclistes se lèvent dans le logement du Plateau qu'ils partagent avec leurs blondes, jettent un oeil aux prévisions météo sur un site spécialisé pour pilotes d'avion, et s'entendent pour une sortie d'entraînement.

Une journée sur deux, ils partent de Châteauguay, ville natale de Gilbert où il s'est acheté une maison en bordure du lac Saint-Louis, il y a trois ans. C'est là qu'on a rendez-vous en ce mercredi matin venteux du début juin. Les moutons commencent à se former sur le lac. Gilbert trépigne en passant à la belle sortie de kitesurf qu'il va rater. Pas de risques à prendre, une importante course à Philadelphie l'attend dans quelques jours.

Lacombe est un peu en retard. Il finit d'installer le support à vélo maison qu'il a fabriqué pour sa... moto. Ça fait son effet quand il se pointe dans l'entrée, sa monture perchée derrière lui.

L'endroit est devenu le terrain de jeu des comparses cyclistes. Le Westfalia de Martin et le bateau de pêche de Keven traînent dans la cour. Un peu plus loin, un petit voilier abîmé lors d'une escapade qui a mal tourné l'été précédent. Dans le garage, des motocross et un attirail pour souder. Au sous-sol, des habits de plongée, de l'équipement de kitesurfing, des harpons pour la pêche.

La veille, ils ont mangé du doré, pêché dans le fleuve et apprêté par Keven. Celui-ci a aussi initié Martin à la chasse au caribou lors d'un voyage dans son Abitibi natale, l'an dernier. «Il commence à apprécier la chasse, dit Lacombe, natif d'Amos. C'est un peu comme le vélo: il y a une façon de faire pour que ce soit le fun.»

Lacombe chasse depuis toujours. Jeune, il partait en cyclocross s'entraîner sur les routes forestières, carabine au dos, s'arrêtant pour le petit gibier.

Gilbert et Lacombe sont conscients que leur mode de vie est singulier. Ils parlent simplement d'un «beau pattern». «Oui, on s'entraîne, c'est la priorité, et on sait qu'on doit se reposer dans nos temps libres. Mais on est deux "gosseux" et on n'aime pas ça rester en place à ne rien faire», explique Gilbert, 28 ans, en préparant les expressos.

Pour la sortie, Gilbert nous entraîne sur des routes qu'il a connaît par coeur. Direction Léry, crochet vers la rivière Châteauguay qu'on longera sur plusieurs kilomètres. Les routes de campagne sont presque désertes. Une voiture aux 10 minutes, un tracteur. Dépaysement quand on aperçoit une pancarte annonçant le village d'Howick.

À quelques reprises, on croise un chantier de l'autoroute 30, dont le prolongement fait parler depuis 30 ans dans la région. «Le père de Martin, qui nous accompagne parfois, a presque la larme à l'oeil quand il voit ça!», lâche Keven, mi-blagueur.

Gilbert et Lacombe se sont connus en 2003 lorsqu'ils couraient pour l'équipe Volkswagen-Trek de Josée Robitaille. Ils ne se sont pratiquement pas lâchés depuis, évoluant aux États-Unis avant de s'engager chez SpiderTech, formation canadienne pro continentale que Steve Bauer rêve de mener au Tour de France d'ici quelques années.

Les deux ont abouti au vélo par la bande. Gilbert faisait du triathlon comme son père quand il a intégré un nouveau programme sport-études à Bromont. Il a été remarqué par l'équipe canadienne, qui l'a enrôlé pour le Tour de l'Abitibi et un stage en Europe. Il a appris à la dure: «Je côtoyais des coureurs beaucoup plus aguerris comme François Parisien et Dominique Rollin. J'en ai mangé des volées...»

Ancien défenseur pour les Voltigeurs de Drummondville, Lacombe a définitivement opté pour le vélo après deux saisons dans la LHJMQ. «J'avais plus de talent en cyclisme qu'au hockey et c'était peut-être un peu mieux pour l'école», explique l'athlète de 25 ans, qui s'apprête à compléter son baccalauréat en administration aux HEC.

Complices dans la vie, ils le sont autant en course. Pas besoin de se parler. Un jour, Martin est le coureur désigné pour le sprint final. Le lendemain, c'est Keven. Ce qu'ils préfèrent par-dessus tout, ce sont ces 10 derniers kilomètres, où l'adrénaline atteint son paroxysme. Lacombe parle d'un bon moment béni où ils vont «à la guerre». «Plus ça brasse, plus ça joue du coude, plus ça nous pompe», acquiesce Gilbert.

Ils adorent leur vie de coureur, même si elle comporte son lot de moments difficiles qui font parfois dire à Keven: «Pourquoi je fais ça?»

«Quand tu es en Europe, enchaîne Gilbert, que tu t'es râpé la moitié du corps en tombant, que t'as pas dormi de la nuit, pas vu ta blonde depuis deux mois, qu'il fait six degrés et pleut de côté...T'es content en maudit de revenir à la maison.»

Un virage à droite nous met aux prises avec un vent de côté tenace. Les deux coéquipiers de l'équipe SpiderTech en profitent pour m'expliquer les subtilités des «coups de bordure». «Veux-tu l'essayer? On va te mettre dans la gravelle», suggère Lacombe.

Arrivés à un croisement, on doit choisir entre une boucle dans les terres autour de Sainte-Martine ou un retour vers le fleuve par Beauharnois. La deuxième option l'emporte, l'attrait de Patate Mallette faisant pencher la balance.

Il est un peu passé midi et il y a cohue au casse-croute de la rue Saint-Laurent. Salade aux endives pour Keven et Martin, frites et hot-dogs pour les représentants de La Presse.

Impressionné par les rutilants vélos Argon posés sur le support, un cuisinier vient piquer un brin de jasette aux deux coureurs professionnels: «Sont-tu full carbone?» Il ne saura jamais qu'il vient d'échanger avec deux des meilleurs cyclistes au Canada.