Tous les mardis jusqu'à la mi-août, La Presse vous propose des portraits de passionnés du vélo. Aujourd'hui : l'artisan Tony Alfonso, qui construit à la main des bicyclettes dans son atelier de Saint-Henri.

Tony Alfonso fait partie d'une catégorie d'artisans en voie de disparition. Il construit des vélos de ses propres mains. Dans une ancienne usine de textile, rue du Collège à Saint-Henri, il transforme de simples tuyaux d'acier en de magnifiques bolides.

LMNO, sa petite entreprise, est l'une des dernières à souder des vélos à la main à Montréal. «C'est un métier qui se perd, croit-il. Ceux qui le font encore sont à l'aube de la retraite.»

L'anglophone montréalais porte deux immenses boucles d'oreilles blanches et a les bras couverts de tatouages. Sur le droit, on reconnaît l'île de Cuba, où sont nés ses parents, et à gauche, des personnages de bandes dessinées.

Le jeune homme de 27 ans originaire de Port St. Lucie, en Floride, est complètement autodidacte. Le vélociste a appris son métier dans les livres et sur l'internet. «Ma voiture a brisé et je ne l'ai jamais remplacée, dit le petit homme au teint basané. J'avais un vélo de plage que j'ai démonté pour ensuite réassembler les pièces. Depuis, je roule à bicyclette 365 jours par année.»

Tony a construit son premier cadre de vélo lorsqu'il est arrivé à Montréal, il y a huit ans, pour étudier la littérature anglaise à l'Université Concordia. «Je me suis procuré l'essentiel pour souder, pour 100$. Je travaillais alors dans le garage d'un ami sur le Plateau. Je faisais la finition dans le garde-robe de ma chambre.»

Un passe-temps

Tranquillement, il s'est équipé en récupérant de vieilles machines en fer qui semblent provenir d'une autre époque. Maintenant, son atelier est complètement fonctionnel. Il construit des vélos de ville, de piste, de route et même des vélos de montagne. Il les vend partout en Amérique, de Vancouver à Philadelphie.

«Ça me permet de rencontrer des gens formidables. Je prépare actuellement un cadre pour un ingénieur qui travaille dans une mine d'or au Mali et un autre pour un PDG dans l'Ouest-de-l'Île. Ils n'ont qu'une chose en commun: le vélo.»

Tout se fait par bouche à oreille. Ses cadres se vendent de 950 à 2500$. Le soudeur ne fait pas de publicité et il n'a pas l'intention d'en faire. «Au début, je donnais mes vélos à des amis. Ensuite, j'ai commencé à demander de l'argent. Ça ne dérougit pas depuis huit ans.»

Mais pas question de travailler à temps plein pour cet adepte de la simplicité volontaire. Sa production se limite à environ 14 cadres par année. «C'est un passe-temps et je veux que ça le reste. Mon salaire est dérisoire, mais je perdrais le plaisir de faire des vélos si je passais tout mon temps dans l'atelier.»

Les vélos de LMNO sont faits exclusivement d'acier. «C'est un métal qui pardonne, explique Tony Alfonso. Ça se répare plus facilement et c'est durable.»

L'alliage est idéal pour s'initier à l'art de construire son propre vélo. Tony Alfonso offre d'ailleurs des ateliers de neuf heures à des apprentis. «Les participants commencent avec une boîte en carton pleine de tubes en métal, et ils reviennent à la maison avec une bicyclette.»

Mais bâtir un cadre n'est pas si simple. Les formules mathématiques sont parfois complexes. Un mal nécessaire pour le diplômé en littérature. «J'ai toujours détesté ça. Je comprends maintenant pourquoi on me faisait apprendre l'algèbre à l'école. Qui aurait cru que j'utiliserais un jour la trigonométrie!»

Un artisan

Construire une bicyclette est un art, et celles de Tony Alfonso sont particulièrement originales. À l'endroit où l'on installe des freins, il met sa touche personnelle sur le cadre. Il y soude des pièces de métal comme des éclairs, un coeur ou un coucher de soleil. «Je suis un artisan. Je mets ma personnalité dans mes vélos. Je sais qu'ils sont différents.»

L'artisan aimerait pouvoir tout faire de ses mains. Il admet qu'il compte peut-être se mettre à la couture un de ces quatre. «La seule chose dont je me souviens du film Batman, c'est que le Joker n'avait pas d'étiquette sur ses vêtements puisqu'ils étaient tous faits sur mesure. Les gens qui font ça me fascinent!»

Tony Alfonso s'envolera pour Londres au mois d'août, le temps que sa femme termine son doctorat. Il n'apportera pas ses outils. Les machines sont un peu encombrantes si l'on veut voyager léger. Mais son savoir l'accompagnera. Pour le parfaire, il compte rencontrer des artisans qui comme lui, mettent des vélos au monde.