Un moteur électrique hyper discret, une vidéo bien ficelée vue et revue sur YouTube, et un grand champion qui doit se défendre. Le terreau était fertile pour un beau gros scandale. Trop gros pour être vrai?

«J'ai pas mal de misère à croire à ça. Je me demande si ce n'est pas une espèce de poisson d'avril.»

Sceptique, le coureur François Parisien a réagi comme bien du monde dans la communauté cycliste québécoise. D'un côté, il se retenait pour ne pas éclater de rire. De l'autre, il demeurait intrigué par ce petit moteur électrique qui, peut-on penser en visionnant une vidéo sur YouTube, aurait propulsé le Suisse Fabian Cancellera vers de spectaculaires victoires dans le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, deux grandes classiques printanières.

«Si ça existe vraiment, j'aimerais l'essayer à l'entraînement pour voir ce que ça donne!» a dit Parisien, champion canadien sur route en 2005, en entrevue téléphonique.

Le dispositif en question n'a rien à voir avec les gros moteurs à pile que l'on peut croiser sur les pistes cyclables du Québec. Il s'agit d'un discret moteur électrique de 22 centimètres. Inséré dans le tube vertical du cadre, il s'attacherait à l'axe du pédalier. Alimenté par une pile, il serait actionné par un petit bouton qui pourrait être camouflé dans le dispositif de changement de vitesses. Il ferait carrément tourner les pédales, préservant ainsi les forces du cycliste ou décuplant sa puissance. Surtout, il serait invisible.

La rumeur de l'existence d'un tel moteur a pris du galon le mois dernier durant le Giro, le Tour cycliste d'Italie. Sur les ondes de la Rai, l'ancien coureur et commentateur Davide Cassani a présenté un vélo de course équipé d'un tel moteur. Âgé de 50 ans, Cassani dit qu'il pourrait gagner une étape du Giro sur un tel vélo. La personne qui le lui a fourni prétend que des coureurs professionnels auraient déjà utilisé ce type de vélo en course.

Puis, samedi dernier, une vidéo mise en ligne sur YouTube a enflammé les discussions. Dans un habile montage, on y voit les explications de Cassani sur la Rai, une vidéo aux allures un peu fumeuses sur ledit moteur, et des reprises des accélérations fulgurantes de Cancellera au Tour des Flandres et à Paris-Roubaix, où il dépose ses rivaux de la plus spectaculaire des façons. La vidéo s'attarde particulièrement aux mouvements des doigts de Cancellera autour de ses manettes de frein, laissant croire qu'il aurait pu actionner le bouton d'un moteur.

Dans une note écrite au début de la vidéo, les auteurs précisent qu'il ne s'agit pas d'une accusation, mais plutôt d'une invitation à réfléchir sur la possibilité du «dopage mécanique».

Ça aurait pu en rester là, mais au moment d'écrire ces lignes, la vidéo a été visionnée près d'un demi-million de fois. Cancellara a été forcé de réagir, qualifiant ces prétentions d'«histoire idiote».

«C'est tellement fou que je n'ai pas de mots. Je n'ai jamais eu de batteries sur mon vélo», a assuré Cancellera aux médias belges, déclarations relayées par l'AFP. «C'est assez drôle mais ça prend une ampleur telle que ce n'est plus le cas, c'est une histoire triste et vraiment scandaleuse. Rassurez-vous, mes réalisations sont le fruit d'un travail de dur labeur.»

L'Union cycliste internationale a indiqué qu'aucune enquête ne serait ouverte sur Cancellara, mais que les vélos seraient contrôlés dès le Tour de France, le mois prochain.

À l'instar de François Parisien, David Veilleux fait remarquer que le moteur semble faire du bruit. Son utilisation serait donc rapidement remarquée par les autres coureurs. «Le bruit du moteur étant une source de vibration importante, on pourrait aussi penser que ce bruit serait amplifié par le cadre de carbone», fait remarquer Veilleux, multiple champion canadien chez les moins de 23 ans. Au surplus, selon Parisien, un tel mécanisme ne tiendrait pas la route sur les pavés de Paris-Roubaix, où il n'irait même pas avec sa «propre auto». Il ajoute qu'il ne voit pas comment un fabricant prendrait le risque de participer à une telle fraude.

Martin Gilbert, l'un des meilleurs coureurs canadiens, est pour sa part partagé entre l'amusement et l'incrédulité. «Quand je vois ça, ma première réaction est de dire que c'est ridicule, a-t-il dit. En même temps, il y a tellement de monde qui essaie de tricher pour gagner des courses. Si ça fonctionne vraiment, je ne serais pas surpris que du monde l'essaie. S'il y a en qui sont prêts à se doper, c'est sûr qu'il y en a qui sont prêts à mettre un moteur dans le boîtier de pédalier.»

Aux yeux de l'entraîneur Pierre Hutsebault, qui conseille entre autres David Veilleux, les performances passées de Cancellara et les circonstances de course discréditent l'hypothèse de la triche. Et lui aussi rigole. «J'espère que ce n'est pas vrai», a-t-il dit en pouffant au Saguenay, où il représente l'UCI à la Coupe des nations, course réservée aux meilleurs cyclistes de moins de 23 ans de la planète. «C'est une avancée technologique intéressante pour monsieur et madame Tout-le-Monde, mais j'espère que ce n'est pas dans le peloton!» Sinon, ça prendra quelqu'un au début de la course pour demander: Gentlemen, start your engines...