Lyne Bessette et Geneviève Jeanson ont laissé une marque indélébile sur l'épreuve de Coupe du monde présentée sur le mont Royal depuis 1998. Leurs batailles épiques ont attiré les foules sur Camilien-Houde et généré un intérêt sans précédent pour un sport jusque-là relativement marginal. La prochaine génération de cyclistes québécoises prendra-t-elle le relais ? Patience, prônent les observateurs.

Connaissez-vous Anne Samplonious? Depuis la quatrième victoire de Geneviève Jeanson, en 2005, elle est la cycliste québécoise qui a obtenu le meilleur résultat à la Coupe du monde disputée sur le mont Royal, se classant sixième l'an dernier. Âgée de 40 ans, la Montréalaise d'adoption, qui vit aux États-Unis, est en fin de carrière. Préférant se concentrer sur les championnats canadiens du mois prochain, elle ne participera pas à la 12e présentation de la course, dont le départ sera donné à midi, aujourd'hui, sur l'avenue du Parc.

 

Pour la couleur locale, il faudra se tourner vers Alex Wrubleski, Erinne Willock ou la jeune Julie Beveridge, trois Canadiennes qui ont déjà bien fait sur les rampes de la voie Camilien-Houde.

Du côté québécois, la patience est de rigueur. Audrey Lemieux, 24 ans, Joëlle Numainville, 21 ans, et Karol-Ann Canuel, 21 ans, seront les premières à l'admettre: elles n'ont pas encore le bagage pour espérer rivaliser avec des cyclistes aguerries comme Trixi Worrack, Claudia Hausler ou Amber Neben. Pour Numainville, obtenir une des 30 premières places serait déjà un bon résultat sur un parcours aussi exigeant.

Question de bagage... et de priorité. Numainville a suffisamment bien fait la saison dernière pour être sélectionnée pour les Championnats du monde de Varèse, en Italie. L'athlète lavalloise a cependant décliné l'invitation, préférant se concentrer sur sa première année d'études à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. «Mais cette année, je l'ai vraiment dans la tête», a-t-elle soutenu en entrevue, jeudi.

Numainville sait que ce ne sera pas facile, mais elle rêve d'une participation aux Jeux du Commonwealth et aux Jeux olympiques de 2012, à Londres. «Après, on verra», dit-elle.

Numainville ne veut pas imiter Lyne Bessette ou Geneviève Jeanson et s'expatrier à temps plein durant les mois d'hiver pour préparer la saison à venir. «Ma vie et mes études sont à Montréal», résume-t-elle.

Son modèle, dit Numainville, est plutôt Marie-Hélène Prémont. La cycliste de Château-Richer combine une brillante carrière en vélo de montagne et des études universitaires en pharmacie. Numainville a vu des exemples semblables dans le peloton lors d'un récent séjour en Europe.

«C'est en train de changer, soutient-elle. Les meilleures filles réussissent à concilier le vélo avec les études ou le travail. Juste le vélo, c'est trop difficile. Il y a souvent des filles qui ont souffert d'un burnout ou qui ont dû s'arrêter à cause de blessures.»

Lyne Bessette est bien placée pour comprendre Numainville. Il lui arrive encore de se demander si elle n'aurait pas mieux fait de poursuivre davantage ses études universitaires. Si une jeune coureuse lui demandait conseil, elle lui suggérerait de rester sur les bancs d'école.

En revanche, à un certain moment, la performance au plus haut niveau s'accompagne nécessairement d'un investissement total. «Geneviève (Jeanson) et moi, on était probablement des exceptions, estime Bessette. On était deux maniaques. Elle y allait à fond, et moi aussi. On a tout mis de ce côté.

«Le vélo, ce n'est pas facile, enchaîne-t-elle. Ça prend beaucoup d'expérience. T'as du talent, tu t'entraînes à bloc et tu as des résultats. Tu ne peux pas le faire à moitié et être de niveau mondial. Ça dépend des objectifs des filles.»

Mais les débouchés sont peu nombreux, surtout en ces temps de crise économique.

«Le vélo féminin est à mi-chemin entre la structure professionnelle que l'on voit chez les hommes et la structure désuète d'il y a 10 ou 15 ans», note le Québécois Martin Barras, nouveau patron du cyclisme féminin australien sur route, après de nombreuses années comme entraîneur-chef de l'équipe masculine sur piste.

Numainville et Lemieux ne reçoivent pas de salaire de leur équipe française ESGL93-GSD Gestion, l'une des 30 formations inscrites à l'Union cycliste internationale (UCI). Elles profitent cependant d'un encadrement supérieur et d'un meilleur accès aux épreuves plus relevées.

En Amérique du Nord, aucune équipe n'est inscrite à l'UCI. La formation Specialized-Mazda-Groupe Samson, qui aligne Canuel, pousse en ce sens, mais ce n'est pas simple. Les aveux de dopage de Jeanson ont refroidi des commanditaires potentiels, constate Richard Bradette, directeur sportif. «On est ciblés», dit-il.

L'Association cycliste canadienne (ACC) tente de pallier ce manque d'équipes en organisant des projets en Europe. Le cyclisme féminin sur route fait partie des sports ciblés par le programme Vers l'excellence en vue des Jeux olympiques de 2012, ce qui facilite le financement de telles initiatives. «On ne peut pas compter sur les équipes professionnelles pour le développement. Il n'y en a pas assez», souligne Vincent Jourdain, l'entraîneur national qui pilote ces projets.

La saison plus courte en Amérique du Nord retarde également le développement des coureuses, signale Louis Barbeau, directeur général de la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC). «Sur le plan de l'expérience, une Québécoise a généralement deux ans de retard sur une Européenne», évalue-t-il.

D'où l'importance de courses comme la Coupe du monde et les Tours du Grand Montréal et de l'Île-du-Prince-Édouard, fait valoir l'organisateur Daniel Manibal. Ce dernier doit d'ailleurs demander une dérogation à l'UCI pour pouvoir aligner des équipes comme Specialized ou Cascades-ABC Cycles sur le mont Royal.

«Ces coureuses n'auront pas nécessairement une incidence directe sur le déroulement de la course, mais je fais ça parce que je veux privilégier le développement des cyclistes de niveau québécois», dit Manibal.

Le délicat passage entre les catégories junior et senior est également un facteur considéré par la FQSC et l'ACC. À cet âge, les changements morphologiques, les études plus poussées et la vie amoureuse et sociale sont tous des éléments qui peuvent interférer avec la performance, dit Louis Barbeau. «C'est aussi un sport à maturité tardive, ajoute le patron de la FQSC, en faveur de la poursuite des études. Les meilleures athlètes ont souvent plus de 30 ans. Il faut leur donner le temps de se développer.»

En attendant, une bonne dose d'encouragement ne leur nuira pas.