De l'alcool de force, des jeux sexuels et un jeune étudiant inconscient qui s'endort dans ses vomissures. Dix ans après qu'une initiation eut causé un scandale à l'Université McGill, l'établissement montréalais a dû intervenir pour une autre séance de bizutage impliquant cette fois son équipe de basketball.

McGill explique avoir mené une enquête sur l'incident de septembre 2015, révélée hier par The Globe and Mail. L'université dit avoir sanctionné les équipes masculine et féminine de basketball - laquelle vient d'ailleurs de remporter le titre universitaire canadien en battant le Rouge et Or de Laval.

«L'équipe de basketball des filles est en probation jusqu'à la fin de cette année. Pour les garçons, jusqu'à la fin de l'année prochaine, explique Ollivier Dyens, premier vice-recteur exécutif adjoint à l'Université McGill. Ce que signifie la probation, c'est que s'ils brisent le code de conduite des étudiants, la prochaine sanction pourrait aller jusqu'à la suspension de l'équipe ou la perte des bourses d'études.»

Mais des voix s'élèvent pour remettre en question le sérieux avec lequel l'Université s'est saisie de l'affaire. C'est notamment le cas de la mère du jeune joueur de football qui a subi des attouchements sexuels avec un manche à balai en 2005. L'histoire de D'Arcy McKeown avait soulevé un tollé au pays. Elle avait poussé McGill à se doter d'une politique de tolérance zéro envers les initiations.

«Je trouve ça révoltant. En octobre 2015, la famille a commencé à exiger des comptes et des sanctions. Ç'a pris jusqu'en octobre 2016 avant que McGill leur dise avoir mis en place un comité d'enquête comme le stipulent ses règles», dit Sheilagh McGee, mère de McKeown.

Mme McGee a été mêlée à la nouvelle affaire, qui arrive 10 ans après le bizutage de son fils, par la famille de la nouvelle victime. C'est sa mère, explique Mme McGee, qui l'a contactée pour lui parler de ce qui s'était passé ce jour de septembre 2015.

Une soirée arrosée

La Presse a obtenu le récit de la soirée écrit par la victime, qui préfère ne pas dévoiler son nom. Le jeune homme alors âgé de 19 ans dit s'être senti obligé de se présenter à l'initiation. Un joueur plus âgé lui aurait dit que dans le cas contraire, «la saison allait être très longue» pour lui.

Ce soir-là, des joueurs lui ont couvert la tête d'une taie d'oreiller, l'ont installé dans une voiture et amené dans l'appartement d'un coéquipier. Là, raconte-t-il, il a été forcé de boire des quantités importantes d'alcool, jusqu'à en être malade.

«J'ai vu un autre joueur recrue tellement soûl qu'il est tombé en pleine figure sans faire le moindre mouvement pour amortir sa chute. J'ai entendu son crâne craquer. Il avait l'air inconscient, et une mousse blanchâtre sortait de sa bouche.»

Des jeux de nature sexuelle ont aussi été organisés avec des joueuses de l'équipe féminine peu vêtues, raconte-t-il.

À la fin de la soirée, le jeune homme a regagné sa résidence sans ses souliers, «totalement intoxiqué», avec le sentiment qu'il allait perdre connaissance. Un ami l'a retrouvé couché dans ses propres vomissures.

«Si un ami ne l'avait pas trouvé, ne l'avait pas retourné et n'avait pas passé la nuit avec lui, que serait-il arrivé? On a tous entendu parler d'histoires de gens qui s'étouffent avec leur vomi», lâche Mme McGee.

McGill a-t-elle réagi correctement?

La suite de l'histoire diffère selon les versions. L'Université admet avoir été avertie dès octobre 2015 de l'incident par la mère de la victime. Mais McGill a soutenu en entrevue à CBC que la mère avait demandé «de ne parler à personne» pour protéger son fils, ce qui aurait empêché toute enquête.

Sheilagh McGee, qui a parlé à la mère, assure que celle-ci a demandé à l'Université de protéger l'identité de son fils, mais n'a jamais exigé de ne parler de l'incident à personne. «Des gens ont dénoncé une initiation violente et ils n'ont rien fait. C'est révoltant. Et là, ils se retournent et blâment la victime», dit-elle.

La Presse n'a pas pu parler à la mère de la victime hier pour corroborer ses dires.

La victime a depuis quitté l'équipe de basketball. «Je ne parle pas de mon histoire pour obtenir vengeance contre McGill ou quiconque à McGill», écrit le jeune homme dans son témoignage. «Je suis inquiet à l'idée que quelque chose de tragique puisse se produire un jour, et je ne veux pas ça sur ma conscience.»

L'Université McGill espère que cet incident servira à sensibiliser l'ensemble de ses équipes sportives. «Il faut que les étudiants-athlètes adhèrent à l'idée que ces choses-là ne se reproduiront plus du tout», dit Ollivier Dyens. Il rappelle que l'Université a mis en place un système de dénonciation anonyme pour les lanceurs d'alerte.

«Ce que les gens ne réalisent pas - et je le sais, car j'ai vu mon fils, à 18 ans, le vivre -, c'est que de passer par là est très difficile, note Sheilagh McGee. Il y a l'initiation, l'intimidation et la peur. Mais il y a aussi ce qui vient avec le fait d'être le lanceur d'alerte. Des coéquipiers se retournent contre vous. Ces jeunes joueurs doivent être soutenus et félicités.»