La pression est toujours sur Sebastian Coe, le patron de l'athlétisme mondial: «La corruption était partie intégrante de l'IAAF» dont les dirigeants «ne pouvaient ignorer l'ampleur du dopage», a asséné jeudi la commission d'enquête indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA).

Mais Dick Pound, président de cette commission, a cependant pris soin de préciser lors de la conférence de presse organisée à Munich (Allemagne) qu'il n'imaginait «personne qui pourrait mieux que Coe» mener les réformes à l'IAAF. De quoi réjouir le double champion olympique du 1500 m (1980 et 1984), présent dans la salle à Munich, au milieu de journalistes venus du monde entier.

Si Lord Coe n'est pas nommément visé dans le rapport de la commission, la pression reste donc sur lui pour réformer l'athlétisme mondial, à la tête duquel il a accédé en août, après 15 ans de règne du Sénégalais Lamine Diack.

Fragilisé par le départ fin décembre de son bras droit, Nick Davies, soupçonné d'avoir tenté de retarder la révélation de cas de dopage russes, le patron des JO de Londres avait été aussi mis en cause récemment pour ses liens avec Nike, dont il avait été l'ambassadeur pendant 38 ans.

Fin novembre, Sebastian Coe avait même été contraint de sacrifier ses 142 000 euros (220 000 $ CAN) de salaire annuel avec la marque à la virgule face aux accusations de «conflit d'intérêt», notamment suite à l'attribution des Mondiaux 2021 à la ville américaine de Eugene (Oregon), siège de Nike.

Mais l'accusation de Dick Pound et de ses assesseurs reste cinglante, car selon lui la corruption était structurelle à l'IAAF: «La corruption ne peut être attribuée seulement à quelques brebis galeuses agissant de façon isolée», a accusé la commission en dévoilant jeudi le second volet de 89 pages de son rapport explosif autour du dopage dans l'athlétisme russe.

Les 25 millions russes

Au chapitre de la corruption, la commission d'enquête de l'AMA, présidée par le Canadien Dick Pound, met l'accent sur la curieuse augmentation de 6 à 25 millions de dollars des droits de diffusion des championnats du monde 2013 de Moscou par les télévisions russes.

Selon le rapport, une réunion aurait ainsi eu lieu dans un hôtel moscovite, en 2012, entre un conseiller de la télévision russe, Papa Massata Diack, le fils de Lamine Diack, Habib Cissé, alors conseiller juridique de Lamine Diack, Valentin Balakhnichev, alors trésorier de l'IAAF et président de la Fédération russe d'athlétisme, et Essar Gabriel, nouvellement nommé secrétaire général de l'organisation.

À l'issue de cette réunion, organisée pour régler le «problème» du tarif de 6 millions de dollars, estimé trop bas par l'IAAF, Papa Massata Diack aurait obtenu un arrangement avec une grande banque russe, permettant de porter le montant finalement payé à 25 millions de dollars.

«Il semble bien y avoir une connection entre l'attribution des droits de diffusion télévisée à certains groupes en échange de la dissimulation des contrôles antidopage positifs d'athlètes russes», explique la commission d'enquête,

Le «népotisme» du clan Diack

Cette réunion est présentée comme un exemple frappant du système mis en place par le clan Diack, autour du patriarche, Lamine, à la tête de l'IAAF pendant 15 ans, avant de céder le flambeau à Lord Coe.

«Le Conseil de l'IAAF (NDLR: son gouvernement) ne pouvait pas ne pas être au courant du niveau de népotisme» en son sein, insiste le rapport, en pointant du doigt Papa Massata, déjà suspendu à vie par l'IAAF, et Khalil, deux des 15 enfants de Lamine Diack, qui étaient employés par la Fédération basée à Monaco, mais en marge de son organigramme officiel.

«Lorsque le président de l'IAAF, son conseiller personnel (NDLR: Habib Cissé), deux de ses fils, le directeur du département médical et antidopage (NDLR: Gabriel Dollé, lui aussi mis en examen) et le secrétaire général adjoint sont tous impliqués dans des agissements douteux ou criminels, c'est la réputation de l'IAAF toute entière qui est mise en doute, et cette réputation doit être restaurée», insiste la commission présidée par Dick Pound.

Lamine Diack, 82 ans, est doublement mis en examen par la justice française, pour corruption passive et pour blanchiment aggravé et pour corruption. Habib Cissé et Gabriel Dollé sont mis en examen eux aussi. Juste après la conférence de presse de l'AMA, Eliane Houlette, patronne du parquet national financier français, doit prendre la parole à Munich pour faire le point sur l'avancée de l'enquête française.

Lamine Diack est soupçonné d'avoir reçu un million d'euros dans le cadre d'un système de chantage organisé où des athlètes, russes et autres, étaient rançonnés en échange de la non révélation de leurs contrôles antidopage positifs.

Deux mois après le premier volet de son rapport, qui parlait au long de ses 330 pages d'«une culture profondément enracinée de la tricherie» dans l'athlétisme russe, Dick Pound avait promis, par presse interposée, de nouvelles révélations «sidérantes» jeudi.

Rien pourtant sur le Kenya jeudi, alors que le 7 janvier encore le Canadien avait encore répété qu'«il est clair qu'il y un problème» avec ce pays africain, pour la première fois arrivé en tête au tableau des médailles aux Mondiaux de 2015, en août dernier, dans le Nid d'Oiseaux de Pékin.

En filigrane, la commission d'enquête a cependant esquissé le fait que d'autres pays sont en cause, en affirmant que l'IAAF n'a pas été «assez ferme avec un certain nombre de pays, dont la Russie».

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Dick Pound doute de la présence des athlètes russes à Rio

Dick Pound, président de la commission d'enquête indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA), a semblé douter jeudi de la présence des athlètes russes aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, même si «la balle est dans leur camp».

«Cela dépend de la Russie, mais cela dépend aussi des autorités de tutelle, l'AMA et l'IAAF (NDLR: la Fédération internationale d'athlétisme), la balle est dans leur camp», a insisté M. Pound jeudi à Munich, lors de la publication du second volet du rapport de sa commission d'enquête sur le dopage dans l'athlétisme russe.

«J'avais confiance en novembre, mais je ne sais pas s'ils seront en mesure de le faire, on ne m'a pas donné d'informations», a ajouté l'ancien patron de l'AMA.

La Fédération russe d'athlétisme est suspendue depuis le 13 novembre par l'IAAF, quatre jours après la publication par la commission d'enquête de l'AMA du premier volet de son rapport sur l'athlétisme russe. Et pour espérer aller à Rio, elle devra obtenir la levée de cette suspension par le Conseil de l'IAAF, le gouvernement de l'institution, dont la prochaine réunion aura lieu en mars, à Cardiff, au pays de Galles.