À 24 ans, Karine Belleau-Béliveau ne s'était jamais entraînée sérieusement et ne savait pas que le 800 mètres est une épreuve en athlétisme. Aujourd'hui âgée de 27 ans, cette employée de l'hôpital Notre-Dame fait partie de l'élite canadienne et commence à se frotter aux meilleures du monde. Elle rêve maintenant de Championnats du monde et de Jeux olympiques. Portrait d'une convertie tardive.

Ça a commencé par une course sous terre. À l'hiver 2008, Karine Belleau-Béliveau s'est inscrite au 5 km du Montréal souterrain, une épreuve populaire disputée dans les couloirs de boutiques et de comptoirs alimentaires au centre-ville. Elle a fini deuxième et surtout, elle a eu la piqûre. Elle se voyait déjà courir un marathon.

Jusque-là, son expérience de course se limitait à quelques cross-country au début du secondaire. Elle avait aussi joué au basket. Elle se tenait en forme en faisant de l'aérobie et en visitant les salles de gym. Elle voulait un plus grand défi.

Elle croyait l'athlétisme réservé à une certaine élite jusqu'à ce qu'une collègue de travail à l'hôpital Notre-Dame lui raconte que sa fille faisait partie d'un club. Comme par hasard, Jean-Yves Cloutier, une sommité dans les cercles québécois de la course à pied, travaillait au même hôpital.

Karine l'a rencontré à peu près au même moment où elle a participé à la course du Montréal souterrain. Cloutier, entraîneur du club Vainqueurs, lui a découvert du talent. Plutôt que la route, il l'a dirigée vers la piste et les plus courtes distances.

Belleau-Béliveau se souvient très bien de son premier 800 mètres. C'était à la piste Ben-Leduc à Saint-Laurent. «C'est la première fois que je mettais des spikes de ma vie! Je me les étais achetés la veille de la compétition...»

Elle a franchi les deux tours de piste en 2 min15. Cinq mois plus tard, elle courait en 2 min08 lors d'une compétition en Ontario. En voyant le chrono, son entraîneur et elle n'en sont pas revenus. «On s'est sautés dans les bras en se disant: "C'est fou ce qui arrive!", raconte la coureuse originaire de Mille-Isles, près de Saint-Jérôme. C'est là que je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose.»

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Belleau-Béliveau fait maintenant partie de l'élite canadienne de la discipline. Cette année, elle est passée trois fois sous les 2 min03. Son meilleur temps de 2 min02,23, réalisé en septembre sous la pluie en Italie, lui vaut le quatrième rang national.

En fin de saison, elle a senti que quelque chose s'était «débloqué». Elle croit avoir de bien meilleures courses dans les jambes. Le standard olympique A est de 1 min59,90. La marche est haute, mais avec sa courbe de progression, il ne lui est pas interdit de rêver. «Ça fait seulement trois ans que je m'entraîne, rappelle-t-elle. Les filles qui font ces temps-là ont entre 8 et 10 ans d'expérience.»

Elle a fait ça en continuant de travailler à l'hôpital et en terminant son diplôme collégial à distance. «Je suis très chanceuse d'avoir pu performer comme ça. En travaillant 35 heures par semaine, on ne peut pas s'entraîner deux fois par jour.»

Prudente, Belleau-Béliveau ne s'impose pas de pression. Elle sait qu'elle ne peut pas sauter d'étapes dans sa progression à l'entraînement sans risquer de blessures.

Elle n'ignore pas les risques de plafonnement, rappelant l'expérience d'Alex Genest, qui a mis deux ans avant de débloquer et de se qualifier pour le 3000 m steeple aux derniers Mondiaux de Daegu. Son inexpérience dans les courses tactiques lui cause aussi des ennuis, comme en témoigne sa cinquième place aux derniers championnats nationaux.

Le plus compliqué est de financer sa prochaine saison. Belleau-Béliveau calcule avoir besoin de 20 000 à 30 000$. Pour le moment, ses performances ne la rendent pas admissible à une aide financière de la fédération canadienne.

Elle ne s'en formalise pas, se jugeant «vraiment choyée» de pouvoir pratiquer son sport. Équipée par Asics, elle compte sur l'aide de quelques petits donateurs, dont la Fondation Philippe-Laheurte, la boutique Lions déco-meubles-électros et le tournoi de golf Fernand Lalande.

Actuellement en recherche de financement, elle espère pouvoir s'offrir des périodes d'entraînement au chaud dans le sud des États-Unis cet hiver.

Belleau-Béliveau se donne deux ans pour passer sous les 2 minutes et atteindre le top 50 mondial. Elle vise les Mondiaux de 2013 et les Jeux olympiques de Rio en 2016. Et Londres en 2012? «J'ai peut-être 25% de chances de faire les standards», calcule-t-elle avec l'enthousiasme d'une recrue. C'est déjà beaucoup.