Comme tout le monde, Bruny Surin a été soufflé par le 9,58 réalisé par Usain Bolt, dimanche, aux Championnats du monde de Berlin. Mais la situation abyssale du sprint canadien, qu'il anticipe depuis plusieurs années, n'a pas manqué de le choquer. Si on ne fait rien,. prévoit-il, la glissade ne sera pas terminée aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. Analyse d'un champion olympique désabusé.

Le sprint canadien ne va pas fort. Problèmes d'attitude, d'entraînement et de recrutement. La frustration gagne le milieu et les anciens champions. Voilà la froide analyse faite par le champion olympique Bruny Surin.

«Je ne dirais pas que le sprint canadien est mort, mais il est bien malade», a constaté Surin avec dépit, hier, lors d'une interview téléphonique.

Au lendemain de la performance historique du Jamaïcain Usain Bolt, à Berlin, Surin a contacté La Presse pour se vider le coeur.

Déjà effacé aux derniers Jeux olympiques de Pékin, le sprint canadien a touché le fond aux Mondiaux. Seul Canadien inscrit au 100 mètres, l'Albertain Bryan Barnett a été éliminé en séries avec un chrono famélique de 10,42.

Rien pour surprendre Surin. Depuis quelques années, il constate un problème d'attitude chez les sprinters canadiens quand arrivent les grands championnats. «Souvent, les gars ne sont pas assez agressifs, croit celui qui reste toujours le détenteur du cinquième temps de l'histoire avec un chrono de 9,84. Ils n'ont pas le killer instinct. Il ne suffit pas de faire l'équipe nationale et d'avoir le Canada écrit sur le dos de l'uniforme pour dire mission accomplie. Oui, c'est une première étape, mais l'étape la plus importante est de produire aux Jeux olympiques et aux Championnats du monde. Il faut que les gens comprennent ça.»

Surin s'interroge ensuite sur la qualité de l'entraînement. «Je parle de sacrifices, d'entraînement intensif, très dur, précise-t-il. Il faut être prêt à le faire. Ça ne se fait pas, c'est aussi simple que ça. Il y a quand même des bémols: je ne connais pas toute la gang. Mais de ce que je vois, il y a beaucoup de travail à faire.»

Enfin, Surin constate de sérieuses déficiences au chapitre du recrutement. «Ça fait au moins 10 ans que je le répète et rien n'a changé, c'est ça qui est le pire. La fédération n'en fait pas assez pour développer ça. On ne fait pas de recrutement dans les écoles. Il faut faire de la promotion, inciter les jeunes dans les cours d'école. Quand il n'y en a pas, ça devient automatiquement comme mort. C'est ce qu'on voit aujourd'hui.»

À ce sujet, Surin loue l'ouverture de la ministre québécoise de l'Immigration, Yolande James, qui a mis sur pied le programme Valorisation Jeunesse. Dans ce cadre, Surin a visité une vingtaine d'écoles secondaires de la métropole au cours de l'été. À son grand étonnement, les jeunes préféraient courir quand il leur laissait le choix de jouer au soccer. «Ce n'est pas que la motivation n'est pas là. C'est qu'on ne les incite pas», croit-il.

À l'époque où Donovan Bailey et Surin achevaient leur carrière, il y a sept ou huit ans, les co-recordmen canadiens du 100 m prévoyaient déjà la chute du sprint canadien. Ils ont fait même le même constat lorsqu'ils se sont rencontrés à Pékin, l'été dernier.

«J'ai peut-être un remède, Donovan aussi, mais personne ne nous le demande. C'est ça qui est encore plus frustrant», a affirmé Surin, médaillé d'or avec Bailey au relais 4x100 m aux Jeux d'Atlanta, en 1996.

Surin dit avoir offert ses services à des dirigeants à divers niveaux de la pyramide, sans qu'il soit écouté. Il obtiendra finalement un entretien avec Joanne Mortimore, directrice générale d'Athlétisme Canada, lorsque cette dernière reviendra de Berlin. «J'aurais peut-être dû aller voir la big boss en premier, dit-il. Elle est bien ouverte à ce qu'on se rencontre.»

Surin prévoit se faire le porte-parole de plusieurs gens du milieu, qui se sentent délaissés par le programme d'excellence À nous le podium. «Beaucoup de gens m'ont appelé pour me dire qu'ils sont très frustrés, indique l'ancien vice-champion du monde. On va chercher beaucoup d'entraîneurs à l'extérieur du pays alors qu'il y a beaucoup de talent ici et qu'on les met de côté.»

Les sprinters canadiens auront une autre occasion de se faire valoir à Berlin. Le relais 4x100 m, dont le Montréalais Hank Palmer fait partie, participera aux séries, vendredi. Une sixième place, comme à Pékin, serait déjà un bel accomplissement, juge Surin.

Hommes d'affaires, conférencier, agent, Surin, 42 ans, est à peaufiner les derniers détails de sa biographie, dont le lancement est prévu avant la fin du mois. Il souhaite que son message soit entendu.

«C'est un peu triste à voir, conclut-il. S'il n'y pas de mesures qui sont prises, on parlera de la même chose l'an prochain, l'année suivante et encore aux Jeux olympiques de 2012.»