Surplombant une rampe ou une méga-rampe, Pierre-Luc Gagnon fait le tri dans sa tête avant de démarrer chaque routine. Vêtu d'un bermuda et d'un t-shirt, le planchiste québécois visualise les 30 prochaines secondes et soupèse l'idée de changer ses trucs en fonction, notamment, de la prestation de ses concurrents.

«À ce moment-là, j'essaie d'être relax et d'avoir du plaisir. C'est difficile de performer si tu n'es pas content d'être là et si l'esprit est ailleurs. Je me mets une bonne dose de pression, mais pas trop. Juste assez pour être capable de bien réussir», explique-t-il en entrevue avec La Presse.

Il faut dire que PLG connaît bien les rouages du milieu et de la compétition. Le Bouchervillois a écumé les rampes verticales des cinq continents et enchaîné les victoires depuis une décennie. Aux X-Games, équivalent des Jeux olympiques des sports extrêmes, il est, depuis longtemps, l'un des athlètes les plus attendus avec 18 médailles, dont huit en or. Ses batailles épiques avec Shaun White ou Bucky Lasek ont notamment contribué à accroître la popularité de la discipline.

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Les deux pieds sur sa planche qui surplombe en grande partie le vide, Gagnon sent maintenant le regard des spectateurs se poser sur lui. Ont-ils une vague idée des efforts et des sacrifices que l'athlète de 32 ans s'impose chaque jour? Bien sûr, il y a les voyages et le plaisir d'avoir transformé son éternelle passion en métier lucratif mais, en contrepartie, Gagnon n'a pas droit à l'oisiveté. À sa manière, il est un travailleur autonome... de la planche.

«Nous n'avons pas d'entraîneur ou quelqu'un qui nous dit quoi faire. Il faut donc que j'aie une bonne discipline personnelle et que je sois capable de me présenter à la rampe quand je dois être là. Je ne peux pas dire: «Oh non, je ne vais pas m'entraîner aujourd'hui» parce que personne ne va me pousser. Un bon planchiste doit être en mesure de bien gérer son temps.»

Un bon planchiste doit également être à l'écoute de son corps, ajoute-t-il. Au cours de sa carrière, PLG a connu son lot de blessures, dont une fracture du genou droit subie sur la rampe du légendaire Tony Hawk. Les convalescences font donc partie d'une carrière. Mais son plus grand bouleversement médical, il l'a vécu en 2004 quand il a banni le gluten de son alimentation. Bien plus qu'une simple anecdote, ce changement, motivé par une intolérance, a marqué une rupture dans sa carrière.

«J'avais mal partout, je souffrais d'allergie et je manquais d'énergie. Aussitôt que j'ai coupé le gluten, j'ai ressenti une hausse d'énergie et j'étais capable de mieux penser. Cela a vraiment fait une grosse différence», estime-t-il.

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Ça y est, Gagnon s'élance et affronte maintenant une rampe verticale de 14 pieds. Il enchaîne les trucs: un kickflip ici, un 720 là, puis un switch heel, avant de conclure par un nollie heelflip. Voilà quelques-uns des ingrédients qui ont épicé sa routine gagnante lors des X-Games, le 30 juin dernier. Une douce revanche pour celui qui s'était contenté de l'argent, en 2011, après avoir remporté les trois compétitions précédentes. Il est le seul à avoir accompli cet exploit en rampe verticale...

«En 2011, Shaun (White) m'a battu lors de sa dernière routine alors que j'avais mené toute la compétition jusque-là. J'étais assez frustré par cette situation et j'ai travaillé fort toute l'année pour revenir et reprendre ma place.»

Cette victoire à Los Angeles a marqué le début d'un été victorieux pour Gagnon, qui a remporté son quatrième Dew Tour lors de l'unique épreuve d'Ocean City, dans le Maryland (le 18 août). Avec un score de 88,50, il a de nouveau devancé Lasek, de près de trois points. Cette fois-ci, il a aussi été à la merci des conditions météorologiques avec un cocktail de chaleur, de vent et d'un peu de pluie qui empêchait de bien apprivoiser la rampe avant le jour J.

«Dans les qualifications, j'ai joué la sécurité pour me garantir une position en finale. Ensuite, en finale, je me suis dit que j'avais fais ça un million de fois aux entraînements et que c'était le temps de le réussir quand ça comptait. Il faut être capable de garder sa concentration et son sang-froid durant toute la routine.»

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PLG range sa planche et peut se permettre de penser (un peu) aux vacances. Comme l'an dernier, il est engagé dans l'Empire Backyard Party, cette fois à titre de porte-parole. «L'événement me donne une bonne occasion de revenir à Montréal pour voir ma famille et mes amis. C'est dommage que je ne fasse pas la compétition de mini-rampe ici, mais ce n'est vraiment pas ma spécialité. Ce serait comme comparer un coureur de 100 mètres à un marathonien», dit-il.

Entre deux entrevues et deux séances de photos, le trentenaire passe du bon temps avec sa famille, dont son père qui a joué un rôle crucial dans sa carrière. Sa planche n'est cependant jamais très loin et reste au coeur de son existence même s'il s'est découvert d'autres passe-temps comme la boxe ou la photographie.

Dans les prochaines semaines, il s'envolera d'ailleurs vers l'Afrique du Sud pour participer à Maloof Money Cup avant de retourner en Californie, son lieu de résidence. L'attend alors une activité caritative aux côtés de Tony Hawk, son idole de jeunesse.

Les roues ont décidément bien tourné pour Pierre-Luc Gagnon. Et à le voir, elles ne sont pas près de s'arrêter.

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Au jour le jour


Une citation dit qu'il est plus facile d'atteindre le sommet que d'y rester.

Âgé de 32 ans, Pierre-Luc Gagnon compte bien rester encore quelques années sur le toit du monde, même si la relève est de plus en plus forte. Exemple : TomSchaar, 12 ans seulement, a épaté la galerie en se faufilant en finale des derniers X-Games. «Il va aller loin et est capable de faire des trucs que nous ne pouvons pas faire car il est petit et compact. Il va encore apprendre ; à 12 ans, je n'étais pas aux X-Games », a-t-il souligné.

Pour l'instant, PLG vit au jour le jour. Une chose est certaine, son après-carrière se fera dans le monde de la planche. «Quand je sentirai que ma carrière va ralentir, je vais sans doute démarrer une affaire dans l'industrie grâce à mes contacts. En ce moment, je ne veux pas qu'une business me prenne du temps et me ralentisse comme planchiste.»