Georges St-Pierre a réussi comme nul autre dans l'octogone. Il veut maintenant reproduire ce succès à l'extérieur. Le champion des arts martiaux mixtes s'est entouré récemment de gérants ambitieux et de jeunes publicitaires décidés à faire de lui une marque mondiale, l'athlète 2.0, celui qui dépasse son sport. Pensez à David Beckham et à Michael Jordan. Voici comment ils comptent y arriver.

Deux oeufs et un bol de musli. Voilà ce que contient le plateau devant Georges St-Pierre. Il est 11h et l'athlète prend son petit-déjeuner. St-Pierre mange toujours vers cette heure; il se couche tard et se lève tard, c'est sa routine.

Il est attablé dans un petit local de la Cité du multimédia. Autour de lui se trouve le bataillon chargé d'ériger la marque Georges St-Pierre. Il y a ses deux gérants, mais aussi des stratèges de la boîte qui mène l'opération, l'agence de publicité Sid Lee.

Le champion de l'Ultimate Fighting Championship (UFC) avale ses oeufs pendant que les autres discutent de son horaire. On parle de son retour à l'entraînement après une blessure qui l'a forcé à remettre à l'hiver un combat prévu en octobre. On parle de ses dernières semaines, passées entre Las Vegas, Los Angeles et Paris - où il a rencontré Justin Timberlake par un de ces hasards bien connus de ceux qui fréquentent les plus grands restaurants et les bars les plus sélects.

La discussion est relâchée, presque familière, même si en trame de fond se dessine un thème: les affaires. Il est question de ses obligations contractuelles, d'une publicité, d'une rencontre avec un possible commanditaire. On discute aussi d'un message commandité par une entreprise américaine et qu'il doit diffuser sur Twitter. Il est payé jusqu'à 5000$ pour un seul de ces tweets promotionnels. Si le message aboutit sur Facebook, la note grimpe à 10 000$. L'athlète envoie une soixantaine de ces messages commandités chaque année.

Puis les experts le conseillent sur son utilisation des médias sociaux. Georges St-Pierre a 310 000 fans sur Twitter et près de 2,4 millions sur Facebook. Un tel réseau est un capital important pour une célébrité, mais il s'agit aussi d'une arme à double tranchant: un seul mot déplacé, une seule remarque de travers peut avoir d'importantes conséquences.

C'est un employé de Sid Lee qui rédige les statuts Facebook et les tweets de l'athlète, presque tous en anglais, mais c'est St-Pierre qui en donne le ton. «Ce n'est pas Georges qui écrit le message, mais c'est lui qui le dicte, expliquera après la rencontre Martin Gauthier, l'un des fondateurs de Sid Lee, dont il est aujourd'hui premier vice-président. On n'essaye pas de faire semblant. De toute façon, Georges n'accepterait pas que ce soit faux.»

Une heure plus tard, St-Pierre commence à regarder sa montre. Son horaire est réglé au quart de tour. Il doit maintenant filer à l'entraînement. Il serre la main des publicitaires, sans façon, avec le sourire, comme s'il s'agissait de vieux amis, enfile sa veste de cuir et s'en va.

L'athlète reviendra dans les bureaux de Sid Lee la semaine prochaine, puis celle d'après; la rencontre est hebdomadaire depuis que Sid Lee a obtenu au printemps dernier le mandat de gérer l'image de marque de Georges St-Pierre.

Des revenus annuels de plus de 10 millions

L'association avec l'agence de publicité montréalaise s'est faite sans tambour ni trompette. Elle marque néanmoins un virage dans la carrière du Québécois: le moment où lui et son équipe ont réalisé que Georges St-Pierre n'était plus seulement un athlète, mais bien une marque capable de dépasser l'UFC, le monde du sport même, et de devenir un objet de culture populaire. Le pari est d'arriver à ce que nous pourrions appeler GSP 2.0.

«Dans cinq, six ans, la carrière sportive de Georges sera finie, mais la marque va continuer», explique l'un de ses gérants, Rodolphe Beaulieu.

Beaulieu a été gestionnaire de fonds à la Caisse de dépôt et placement du Québec pendant 10 ans. Il a plaqué sa carrière en finances pour devenir gérant de St-Pierre en janvier dernier. Son associé, Philippe Lepage, est quant à lui un avocat spécialisé en fiscalité internationale qui a quitté un emploi dans une grande firme comptable pour se lancer dans l'aventure.

Le financier et le fiscaliste ont fondé la firme de management sportif LB3i Sport et sont tous deux derrière le projet GSP 2.0. Quand ils ont repris la gérance de St-Pierre des mains d'une Américaine au début 2011, ils ont vite constaté que la marque de l'athlète stagnait. Ils ont fait passer le centre de gravité de sa carrière des États-Unis au Québec. C'est eux qui ont approché Sid Lee.

«Tout le monde aux États-Unis court après Georges, les plus grandes agences veulent brasser des affaires avec lui mais nous, on a choisi de ramener ça à Montréal, explique Philippe Lepage. Georges vit à 10 km d'ici, c'est pas vrai que c'est du monde de Los Angeles qui vont gérer sa carrière. Ils ne le connaissent pas, ils ne vivent pas avec lui. Il y a du talent à Montréal et il n'y a aucune raison que ça ne se passe pas ici.»

Si St-Pierre fait saliver bien des agents américains, c'est qu'il est la coqueluche de son sport. Le Québécois est considéré comme l'athlète canadien le plus connu de la planète. Il empoche entre 4 et 5 millions de dollars par combat, selon ses propres dires. On estime que St-Pierre - qui a beaucoup de dépenses, précisent ses gérants - va générer cette année, avec les commandites et la pub, entre 10 et 15 millions.

Dans les pas de Messi

Le mandat de Sid Lee n'a rien d'évident. D'abord parce que Georges St-Pierre n'est pas un athlète comme les autres. Il pratique un sport émergent dont il est la première véritable icône. Ensuite parce que les agences sont surtout habituées de gérer la marque d'une équipe, d'un jean, d'une voiture, mais plus rarement d'un humain.

«La vérité, c'est qu'au début, quand Georges est arrivé ici, moi je n'avais jamais vu quelque chose comme ça. La question c'était: comment est-ce qu'on va procéder?» se rappelle Justin Kingsley, le stratège principal sur le dossier GSP à Sid Lee.

«Georges pratique un sport qui n'est pas traditionnel, donc on n'a pas d'historique ou de comparables, note Philippe Lepage. C'était ça notre gros problème. Si on avait un joueur de hockey, ce ne serait pas bien compliqué. On aurait CCM, on aurait Reebok, on aurait Bauer, etc. On aurait des commanditaires assez standards.»

L'agence montréalaise gérait toutefois déjà l'image d'un autre athlète à partir de son bureau d'Amsterdam, un certain Lionel Messi. «On a rencontré Philippe et on lui a expliqué ce qu'on faisait avec Messi. Ça l'intéressait qu'on fasse la même chose avec Georges, raconte Martin Gauthier, de Sid Lee. On pense que les athlètes qui réussissent le mieux sur la planète s'entourent de gérants et de gens qui s'occupent d'eux comme si c'était une business. Parce que c'est une marque et que la marque, pour la mettre de l'avant, il faut la polir, il faut la penser et avoir une vision.»

Sid Lee a commencé par définir la marque, cerner ses attributs: l'authenticité, l'honnêteté, le courage, etc. Les rencontres hebdomadaires servent donc à «polir» l'image. Sid Lee s'interroge sur l'impact qu'auront sur elle de possibles commanditaires, de futures publicités. De lucratives ententes ont ainsi été repoussées parce qu'elles ne servaient pas l'image de marque de St-Pierre.

La prochaine étape de la boîte de pub est de faire de St-Pierre une icône populaire, de le faire transcender le monde du sport. «On veut l'emmener dans des films, on veut l'emmener dans des jeux vidéo», lance Martin Gauthier.

«Il a un potentiel incroyable, juge Justin Kingsley. C'est un athlète plus grand que son sport, c'est comme ça qu'on l'explique.»

L'expérience GSP 2.0 est une première au pays pour un athlète, selon Jean Gosselin, un consultant en marketing sportif qui a notamment travaillé avec Alexandre Despatie. Il note qu'au Canada, les sportifs se contentent d'avoir un agent et collaborent parfois de manière sporadique avec des agences de publicité ou de communication.

«Mais une relation aussi suivie, à ma connaissance, c'est la première fois au Canada. Je n'ai jamais vu un athlète avec un tel soutien pour le développement de sa propre marque, note Jean Gosselin. Le branding personnel de GSP dépasse de beaucoup ce que l'on voit habituellement.»

Ils seront beaucoup dans les milieux de la publicité et du marketing à suivre l'expérience. Si Georges St-Pierre a réussi dans l'octogone, pourquoi ne le ferait-il pas à l'extérieur?