Au Québec, 2022 restera comme l’année où deux héros sportifs nous ont quittés : Guy Lafleur et Mike Bossy. Mais si vous faites un sondage à l’échelle mondiale, après le légendaire Pelé, il y a de bonnes chances que ce soit l’Australien Shane Warne qui vienne en tête de liste des grands disparus de la scène sportive.

Le nom ne vous revient pas ou alors il n’évoque qu’un souvenir assez vague ?

Pas étonnant. Warne a brillé au cricket, un sport méconnu chez nous, mais qui compte des millions d’amateurs et de joueurs, particulièrement en Asie et en Océanie. C’est d’ailleurs un ami néo-zélandais qui m’a expliqué à quel point Warne occupait une place à part, à la fois légende de sport et véritable rock star.

Mort d’une crise cardiaque à 52 ans, au début du mois de mars en Thaïlande, il a eu droit à des funérailles nationales en Australie et des cérémonies ont eu lieu un peu partout dans le monde lors des grands évènements de cricket.

Warne a bâti sa légende en maîtrisant parfaitement le leg spin bowling, une manière de lancer la balle avec énormément d’effet, ce qui lui a permis de comptabiliser pas moins de 708 wickets en 145 tests internationaux au cours d’une carrière de 15 ans au plus haut niveau. Il n’est devancé à ce chapitre que par Muttiah Muralitharan, du Sri Lanka (800 wickets), mais sa renommée reste sans égale.

À ses débuts en équipe nationale, en 1992, le cricket était dominé par les lanceurs de balle rapide (pace bowling), qui terrorisaient littéralement les frappeurs. Warne a réintroduit l’art subtil du leg spin.

C’est d’ailleurs avec un lancer proprement hallucinant – connu depuis comme « The Ball of the Century » – qu’il a éclaté sur la scène internationale, le 4 juin 1993, à Manchester, en Grande-Bretagne.

Pour ses débuts dans « The Ashes », une prestigieuse série de matchs entre l’Australie et l’Angleterre, Warne s’est retrouvé devant le vétéran anglais Mike Gatting, un joueur réputé comme l’un des meilleurs pour bien maîtriser les balles à effet, qui entendait bien montrer à ce jeune « cocky » qui était le patron.

Les cheveux blonds décolorés au vent, le nez et la bouche enduits de crème protectrice contre le soleil – une image qu’il a tenté de garder tout au long de sa carrière –, Warne s’est élancé. La balle s’est d’abord dirigée vers la droite et Gatting s’est légèrement déplacé pour protéger le wicket. En touchant le sol, la balle a toutefois brusquement bifurqué vers la gauche pour éviter le frappeur et venir renverser le wicket. Incrédule, Gatting a longtemps fixé l’endroit où la balle avait bondi, puis le wicket derrière lui.

« Il n’a aucune idée de ce qui vient de se produire », a lancé Richie Benaud, la « voix » du cricket en Australie, qu’on peut entendre sur la vidéo du match.

Revoyez la « Ball of the Century »

En entrevue quelques années après sa retraite, Warne a expliqué : « Cette ball of the century était un coup de chance, vraiment. C’était aussi un coup du destin et je ne l’ai jamais refait par la suite. Un lanceur comme moi [leg spinner] rêve toujours de réussir ce lancer parfait ; je l’ai réussi du premier coup et cela a changé ma vie, aussi bien sur les terrains qu’à l’extérieur. »

Parfaits ou pas, des centaines d’autres joueurs ont eux aussi été victimes des lancers de Warne au cours des années suivantes et lors de sa dernière saison, en décembre 2006, c’est un lancer similaire qui lui a permis d’obtenir son 700e wicket, chez lui à Melbourne, devant le réputé frappeur anglais Andrew Strauss.

Revoyez le 700wicket de Shane Warne

En fait, le vrai génie de Warne tenait sans doute dans sa science du cricket, sa façon de constamment jongler avec les effets, les cibles, pour garder les frappeurs hors d’équilibre et les surprendre, au bon moment, avec ce qui était alors le « lancer parfait ».

Désigné comme l’un des cinq meilleurs joueurs du XXe siècle, il a aussi fait ses marques après sa retraite en tant que commentateur à la télévision, où ses analyses colorées éclairaient les matchs.

Et il n’a jamais hésité à transmettre ses connaissances aux jeunes joueurs, inspirant toute une génération de leg spinners qui contribue à son tour à faire du cricket un sport vivant.

Certains s’étonneront que Warne soit resté immensément populaire malgré de sérieux écarts de conduite, une suspension pour dopage notamment, des rapports louches avec des parieurs aussi. Et sa vie privée n’a pas été simple, avec sa relation très médiatisée avec l’actrice Liz Hurley d’une part, mais aussi de nombreux scandales d’autre part.

Mais il était un personnage « plus grand que nature », comme l’ont souligné plusieurs de ses anciens coéquipiers et adversaires après sa mort, qui a révolutionné son sport tout en le transcendant. C’est ainsi qu’il a pu incarner une certaine image que les Australiens ont d’eux-mêmes, un peu comme Guy Lafleur l’a fait pour bien des Québécois.