C’était en 1992. En l’espace de quelques jours, Sylvie Fréchette découvrait le corps inanimé de son fiancé puis remportait sa première médaille olympique. Trente ans presque jour pour jour plus tard, l’ex-olympienne ne se souvient de « presque rien » de cette période de sa vie. Mais elle est sereine. Et, surtout, heureuse.

Au moment de répondre à l’appel de La Presse, jeudi en début de soirée, Sylvie Fréchette est installée dans sa cour arrière. Les jappements de son chien jouent en trame de fond.

Samedi marquera le 30e anniversaire de la médaille d’or remportée par Fréchette en nage synchronisée aux Jeux olympiques de Barcelone, en 1992.

La femme qui a aujourd’hui 55 ans voulait souligner l’occasion à sa façon, sans trop de fla-fla. Elle a d’abord envisagé de retourner à Barcelone avec ses deux filles. Mais au vu de tout ce qui se passe dans le monde actuellement, elle a décidé de remettre le voyage. En faisant défiler son fil d’actualité sur Facebook, elle est tombée sur une annonce de la Traversée du lac Tremblant, qui aura lieu ce week-end.

« La première chose que je vois : [le 1 km a lieu] le 6 août. C’est la journée où j’ai nagé à Barcelone. Je regarde l’heure : 8 h le matin, remise des médailles à 10 h. Ce sont les heures où j’ai nagé à Barcelone. J’ai eu la chair de poule. »

Sylvie Fréchette a commencé à s’entraîner en septembre dernier. Elle a lancé un petit club des maîtres au sein de son club, Natation Neptune, à Saint-Jérôme. Cinq des 20 femmes qui en font partie vont prendre part à la Traversée, ensemble.

« Samedi, sans que les gens le sachent, je vais être entourée de gens qui tripent sur l’eau, qui ont envie d’être dans l’eau, de nager, de se surpasser », laisse entendre celle pour qui il s’agira de la première expérience en eau libre.

Sa mère et son beau-père, qui étaient présents aux Jeux olympiques il y a 30 ans, seront là pour l’accueillir à l’arrivée.

« On s’entend, on parle de 1 km ! s’exclame-t-elle. Mais j’ai décidé que c’était un moment dans ma vie. Et j’ai décidé de le savourer à ma façon, en toute simplicité. Mais je te parle et j’ai le sourire qui me fait le tour de la tête ! »

« Il y a un trou dans ma vie »

La vie de Sylvie Fréchette est complètement chamboulée le 18 juillet 1992, à seulement quelques jours de son départ pour Barcelone. En revenant d’un entraînement, elle découvre le corps de son fiancé, Sylvain Lake, qui s’est donné la mort.

La jeune athlète de 25 ans rencontre les médias dans les jours qui suivent, malgré la peine qui l’accable. Et elle part pour les Jeux olympiques.

À ce jour, Fréchette n’a que très peu de souvenirs de ce qui s’est passé.

« À partir du 18 juillet 1992, j’ai un blanc, raconte-t-elle. Il y a un trou dans ma vie. C’est un autre travail personnel que je vais devoir faire : plonger dans ce moment-là pour essayer de réaliser jusqu’à quand le trou commence. 

« La seule façon de survivre pour moi, du haut de mes 25 ans, c’était d’entrer en état de choc, explique-t-elle. J’ai des flashs, des moments dont je pense me souvenir. Mais très honnêtement, parfois, je ne suis pas certaine si je m’en souviens ou si ce n’est pas l’image que je m’en suis faite par les gens qui me l’ont raconté. »

« C’est vraiment frustrant, mais en même temps, mon grand-père m’aurait dit : “Ti-fille, il n’y a rien qui n’arrive pour rien.” C’est peut-être mieux comme ça, plutôt que de me souvenir de la douleur, du désarroi. Je ne peux même pas dire de la colère, parce que je n’en ai jamais eu. »

Ce n’est qu’il y a quelques années qu’elle a compris pourquoi elle avait décidé, à l’époque, de prendre part aux Jeux malgré tout.

« Il te reste quoi, quand ton fiancé se suicide, que tu as 25 ans et que tu pensais te marier et avoir des enfants avec cet homme-là ? Il fallait que moi, je me sente vivante. C’est un peu triste, mais la seule façon que j’avais d’y arriver, c’était de nager. »

L’épopée de la médaille

À Barcelone, Fréchette offre la meilleure performance de sa vie, mais une juge brésilienne fait une erreur et lui accorde une note de 8,7 plutôt que de 9,7. La juge admet son erreur, mais les organisateurs refusent de changer la note. La Québécoise doit donc ultimement se contenter de la médaille d’argent, tandis que l’or va à l’Américaine Kristen Babb-Sprague.

Encore une fois, les souvenirs de Fréchette sont flous, presque inexistants. Elle se rappelle s’être tenue debout avant de prendre sa position de départ, le moment où elle a levé le bras dans les airs à la fin de sa prestation. « J’imagine qu’un jour, la boucle va se boucler. Il y a peut-être des choses dont je vais me souvenir », dit-elle.

Plusieurs semaines après son retour, Dick Pound, alors membre du Comité international olympique, joint l’athlète au téléphone et lui explique avoir un dossier « assez solide pour aller chercher [sa] médaille d’or ». Fréchette, qui n’avait jusque-là « aucune intention de mener un combat légal », accepte et laisse le dossier suivre son cours, sans poser de questions.

« Je trouvais extrêmement touchant, mais en même temps très difficile, tous les gens qui m’arrêtaient tous les jours pour me dire : “Sylvie, tu t’es fait voler ta médaille, tu aurais dû avoir l’or.” Ça me touchait tellement, cette vague d’amour, mais en même temps, j’avais l’impression que je n’étais pas capable d’aller de l’avant. »

Ce n’est qu’en décembre 1993 que le Comité international olympique décide de lui accorder sa médaille d’or, à égalité avec l’Américaine. « Ça a été 16 mois et 9 jours extrêmement longs, mais disons qu’ils en ont valu la peine ! »

Un beau souvenir

Trente ans plus tard, l’année 1992 est maintenant un « beau souvenir » pour Sylvie Fréchette.

« Le choix de Sylvain, ça demeure que ça ne m’appartient pas, laisse-t-elle tomber. Ça a des conséquences sur ma vie, mais son choix à lui, je suis qui pour le juger ? J’ai appris, après 30 ans, à retrouver mon bonheur. La vie est comme ça. Elle est faite de hauts, de bas, de claques sur la gueule. »

« J’ai 55 ans, j’ai deux magnifiques jeunes femmes et je suis nouvellement en amour par-dessus la tête comme je ne pensais pas que ça se pouvait. Ma mère est en santé, Papi aussi. »

« J’ai une vie tellement simple, mais je l’aime, ma vie. »

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