Mary-Sophie Harvey se remet tant bien que mal du traumatisme qu’elle a subi après avoir été vraisemblablement droguée à son insu lors d’une soirée pour fêter la fin des Championnats du monde de natation de Budapest, le 25 juin.

« Ça va de mieux en mieux, j’y vais un jour à la fois », a-t-elle confié à La Presse, jeudi après-midi.

« Mentalement, ça va mieux cette semaine que la semaine dernière. La Mary de la semaine dernière n’aurait pas pu parler aux médias, n’aurait pas pu publier ce qui a été publié [mercredi]. Je pense qu’il y a du progrès. Le fait d’en parler m’aide un peu, d’une certaine façon. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE NATATION CANADA

Mary-Sophie Harvey

La veille, dans une longue publication sur Instagram, la nageuse de 22 ans a raconté qu’elle ne conservait aucun souvenir d’une période de « quatre à six heures » de la soirée qui s’est déroulée dans la capitale hongroise. L’évènement réunissait la majorité des participants aux Mondiaux, mais d’autres personnes se trouvaient aussi dans l’établissement, a précisé Harvey.

À l’issue de sa meilleure compétition à vie, elle n’a pas voulu commettre d’excès en raison de sa participation prochaine aux Jeux du Commonwealth à Birmingham, à la fin du mois.

« Au total, j’ai pris quatre verres durant toute la soirée, ce qui n’est pas énorme », a-t-elle expliqué. Des collègues ont cependant célébré plus fort. La Québécoise a pris soin de certains d’entre eux, comme c’est dans sa « nature ».

Pendant ce temps, elle a laissé ses verres à découvert sur une table. Elle croit que c’est à ce moment qu’une de ses consommations a pu être trafiquée.

C’est la possibilité que je vois. Quelque chose aurait pu être mis dans un de mes verres à ce moment-là, parce que ça a vraiment été le jour et la nuit en quelques minutes. Une de mes amies m’a dit que je m’occupais de certaines personnes, puis après, elle m’a trouvée dans la rue.

Mary-Sophie Harvey

Harvey a passé le gros de la soirée avec des membres de l’équipe de France, dont elle est proche. C’est une nageuse tricolore, qui la cherchait depuis de longues minutes, qui l’a découverte à l’extérieur.

« À ce qu’il paraît, je n’arrêtais pas de lui dire de ne pas me laisser toute seule, de rester avec moi. J’étais vraiment insistante là-dessus. »

La nageuse française est allée chercher deux personnes pour l’aider. À leur retour, Harvey était inconsciente. « Ils ont dû me ramener et me transporter dans ma chambre d’hôtel. »

À son réveil, Harvey était entourée de la gérante de l’équipe canadienne et du médecin du groupe d’eau libre.

« J’étais vraiment perdue. Je n’avais aucune idée de ce qui s’était passé. J’avais surtout honte. Je n’étais pas en contrôle de mon corps. J’avais de petits bouts d’histoire qu’ils me racontaient. C’est une histoire où j’étais le personnage principal, mais je n’avais aucun souvenir que j’étais dans l’histoire. C’est la partie qui me faisait et qui me fait encore le plus peur. »

Retour à Montréal

Le personnel de Natation Canada l’a jugée apte à retourner le jour même à Montréal comme prévu. « J’étais complètement lucide. Je ne me sentais pas comme dans un lendemain de veille ou quoi que ce soit. J’étais parfaitement correcte pour prendre l’avion. »

À son retour à son appartement, avant de sauter sous la douche, elle a découvert une douzaine d’ecchymoses importantes un peu partout sur son corps. « Je me suis demandé : “Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ?” Je ne savais pas. »

Elle a appelé Katerine Savard, sa grande amie et coéquipière au club CAMO, qui partageait sa chambre à Budapest. Elle souhaitait parler avec sa mère médecin.

À sa suggestion, Harvey a contacté un service d’aide pour victimes d’agression sexuelle de la région de Montréal. Elle a expliqué ce qui s’était passé du mieux qu’elle pouvait à la personne qui lui a répondu.

« Elle m’a dit qu’il y avait deux places à Montréal qui s’occupaient de ce genre de situation. Il y avait les urgences de l’hôpital Notre-Dame, mais elle ne me conseillait pas d’aller là parce que ça ne servait à rien. Je pouvais aussi appeler pour prendre rendez-vous dans une clinique spécialisée. »

Elle s’est exécutée après avoir raccroché, mais elle est tombée sur une boîte vocale. Elle s’est fait rappeler deux jours plus tard.

Le « manque de ressources » pour répondre aux victimes est d’ailleurs l’une des principales raisons qui l’ont incitée à rendre son histoire publique. « J’aimerais qu’il y ait du progrès dans ce domaine. »

Elle a finalement visité une autre clinique pour obtenir une évaluation médicale. En plus des ecchymoses, elle a reçu un diagnostic de commotion cérébrale légère et d’entorse costale du côté droit du thorax.

En parler

Pense-t-elle avoir été victime d’une agression sexuelle ? « J’ose espérer que non, a-t-elle répondu. D’après ce que j’ai entendu, j’ai quand même été avec des gens la plupart du temps. C’est sûr que la grande question reste comment il se fait que je me suis ramassée dans la rue. Malheureusement, je n’ai pas de réponses à ces questions-là. Je les aurai peut-être un jour. Pour l’instant, c’est ça. »

Harvey souhaite surtout que son témoignage sensibilise les gens à une situation de plus en plus fréquente, selon ce qu’elle a appris.

« Je n’ai pas publié ça dans l’intention d’être une victime et pour avoir de la sympathie. C’est vraiment plus pour éduquer les gens. C’est un sujet encore tabou dont on ne parle malheureusement pas assez. Je pense que tout le monde que je connais connaît quelqu’un qui est passé à travers ça. C’est triste d’entendre ça. »

Elle a également entendu dire que des gens à la même soirée auraient subi le même sort. En s’ouvrant, peut-être que d’autres suivront son exemple et apporteront un éclairage supplémentaire sur le déroulement des évènements, souhaite-t-elle.

L’impact de sa publication, largement repris dans les médias, l’a renversée. « Ayant reçu plusieurs messages de gens qui sont passés à travers ça, je vois que je ne suis pas toute seule. Eux non plus ne sont pas seuls. Je veux me servir de ça pour faire réaliser que c’est quelque chose dont on ne devrait pas avoir honte. »

Dans les circonstances, la native de Trois-Rivières a du mal à savourer sa première médaille au relais et sa première finale individuelle aux Championnats du monde.

« Je regardais la médaille et ça ne me faisait rien. Je me sentais présente, mais pas dans mon corps. Ou bien j’étais présente, mais dans un corps qui ne m’appartenait pas. »

Harvey reçoit le soutien de sa famille, des membres de son entourage et de Natation Canada, qui a lancé une enquête.

Elle a repris l’entraînement, mais a dû l’interrompre mercredi parce qu’elle avait contracté la COVID-19.

« L’entraînement a été assez thérapeutique. C’est un moyen pour moi de décrocher. Je suis à l’arrêt pour l’instant, mais mon objectif reste les Jeux du Commonwealth. Je compte y prendre part à la fin du mois. »