Onzième du 3000 m steeple par une très chaude soirée d’été aux Jeux de Tokyo, Geneviève Lalonde suait et rayonnait dans un couloir sombre du Stade olympique. Elle avait amélioré son record canadien et obtenu le meilleur résultat de sa carrière dans cette finale relevée. Tout ça après un hiver pourri par une blessure à une hanche et une année et demie après une séparation traumatisante avec son entraîneur déchu.

« Paris, c’est bientôt, c’est juste dans trois ans », avait conclu la « fusée acadienne ». L’automne suivant, elle a donc fait ce qu’elle a toujours fait : courir. À la fin de novembre, à Ottawa, elle a décroché son troisième titre national consécutif en cross-country, une autre discipline dans laquelle elle excelle.

« La majorité des sportifs ont une saison morte. Pas en course à pied. On a la saison sur piste pendant l’été, puis le cross-country à l’automne. L’hiver, on a soit la piste intérieure, soit d’autres courses de cross-country. Au printemps, on recommence à se préparer pour la piste extérieure. »

Geneviève Lalonde fait ça depuis qu’elle a 16 ans, âge de sa première participation aux Championnats du monde jeunesse.

Ce printemps, elle poursuivait donc sa préparation en vue des Championnats du monde d’Eugene, en Oregon, pas très loin d’où elle s’entraîne depuis 2019, à Victoria, en Colombie-Britannique. Elle se sentait rapide, mais une certaine langueur avait commencé à s’installer.

J’ai encore la flamme qui brûle pour Paris, mais c’était comme devenu lourd sur mes épaules de penser à toutes les choses que je devais faire pour me rendre aux Championnats du monde dans quelques mois.

Geneviève Lalonde

Son entraîneuse, l’ex-coureuse olympique Hilary Stellingwerff, lui a proposé de prendre une pause de compétitions cette année. Sur le coup, l’idée lui a paru saugrenue. Quel athlète de son niveau prend ça, une pause ? « Ce n’est pas dans le manuscrit typique ! », rigole-t-elle au téléphone dans une entrevue réalisée en début de semaine.

Stellingwerff et son coentraîneur Joël Bourgeois, lui-même ancien spécialiste de steeple de niveau olympique, lui ont dit que s’ils avaient eu cette option durant leur carrière, ils l’auraient prise.

Un entourage réceptif

Mais que penseraient les dirigeants d’Athlétisme Canada, qui ne sont pas là pour faire de la charité, de cette suggestion ? Maintiendraient-ils son financement ? « C’est l’une des raisons pour lesquelles j’étais anxieuse de leur demander, admet la native de Moncton. C’est comme demander à ton patron : est-ce que je peux prendre un break ? »

L’accueil a été au-delà de ses espérances. « Ça m’a tellement fait du bien de savoir qu’ils me soutenaient dans ce plan-là et qu’il avait du sens pour eux aussi. J’ai été très surprise de voir que le monde du sport m’appuyait comme ça. On n’aurait pas vu ça il y a 10 ou 20 ans. »

La nageuse Maggie Mac Neil, championne olympique de papillon, a reçu le même genre d’encouragement de Natation Canada. Elle ne s’alignera donc que dans les relais aux Championnats du monde l’été prochain.

Geneviève Lalonde, qui a conservé son financement de Sport Canada, poursuit donc son entraînement, avec un fort accent sur le volume dans les sentiers. Elle retourne sur la piste à l’occasion pour des séances de vitesse. Elle est servie depuis que Gabriela DeBues-Stafford, cinquième du 1500 m aux Jeux de Tokyo, l’a rejointe à Victoria, il y a quelques semaines.

L’acceptation d’Athlétisme Canada était une chose, l’annoncer à son entourage en était une autre. Les réactions chaleureuses l’ont encouragée à dévoiler sa décision dans les réseaux sociaux la semaine dernière. L’étape suivante était d’en parler à un journaliste.

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Geneviève Lalonde

« La perception des gens est différente aujourd’hui. Ils connaissent les bienfaits d’une pause pour le bien-être et la santé mentale et physique. Que tous ces éléments sont importants dans la préparation d’une performance. On n’est pas toujours à 100 % et on a parfois besoin de prendre d’autres directions pour revenir sur le chemin tracé devant nous. Il n’y a pas qu’une façon de se rendre aux Jeux olympiques. »

« Le feu est encore allumé »

La route pour Tokyo a été parsemée d’obstacles, et pas seulement à cause de la pandémie.

À l’automne 2019, Geneviève Lalonde a appris que Dave Scott-Thomas, son entraîneur des 10 années précédentes à Guelph, était congédié par l’université et le Speed River Track Club, qu’il avait fondé.

Après une enquête menée par le journaliste indépendant Michael Doyle, elle a compris qu’il avait abusé sexuellement et émotionnellement d’une ancienne athlète qui était mineure au moment des faits allégués, au milieu des années 2000. Après enquête, Athlétisme Canada a suspendu Scott-Thomas à vie.

Avant même la publication de l’histoire qui a fait grand bruit – à une certaine époque, Scott-Thomas dirigeait une douzaine d’athlètes canadiens de niveau international –, Lalonde avait décidé qu’elle le quitterait après les Jeux de Tokyo. Sa suspension et son congédiement ont précipité les choses et forcé la spécialiste de steeple à trouver une nouvelle structure d’entraînement en plein processus de qualification pour Tokyo.

Ç’a été une période traumatisante psychologiquement. J’ai réalisé que je faisais partie d’un système qui était malsain.

Geneviève Lalonde

Personnellement, Lalonde n’avait rien à reprocher à Scott-Thomas sur le plan professionnel. Mais ils ne s’entendaient plus sur la suite de sa carrière et elle avait déjà pris la décision de le quitter.

« À la fin, j’ai eu la chance de lui dire que j’avais perdu confiance en lui. J’ai eu une bonne relation avec Dave en termes de travail. Ç’a toujours été très respectueux. Mais j’avais mis beaucoup d’énergie à bâtir cette relation. C’est difficile de réaliser que les choses n’étaient peut-être pas comme tu le pensais. […] Le système était bâti sur ça [le mensonge], mais personne ne connaissait la réalité. L’apprendre 10 ans plus tard a été difficile à digérer. »

Cet épisode tourmenté a donc été un autre facteur qui a incité l’athlète à prendre une pause de compétitions pour recharger ses batteries.

« Oui, j’ai fait deux finales olympiques, mais le feu est encore allumé. Je continue de progresser et d’apprendre. Je veux aller à Paris avec la volonté de performer et d’offrir la meilleure version de moi-même. Cette pause va me donner un boost pour les prochains Jeux. »

En attendant, Geneviève Lalonde continue à courir, « en short et en t-shirt », en observant les tulipes qui se déploient ces temps-ci à Victoria.