Joan Roch et Anne Genest sont revenus du Mexique samedi dernier, après avoir pris part à l’Ultra Run Rarámuri. Suite et fin du récit d’une expérience où, au bout du compte, le sport n’aura été qu’un élément parmi bien d’autres.

Lu sur la page Facebook d’Anne Genest, une semaine avant la course, à propos des Barrancas del Cobre, lieu de l’évènement : « Repaire des autochtones rarámuris, repaire des trafiquants de drogues, aussi, repaire de serpents corail. »

« Et puis, vous avez vu des serpents corail ? Des narcotrafiquants ? » La question est mi-sérieuse. La réponse semble l’être davantage.

Une pause. Puis des rires, qu’on devine légèrement nerveux.

« La question est un peu chaude », souffle Joan Roch.

On est mercredi, ils sont toujours sur place, dans l’État de Chihuahua. Ce sujet sera abordé quatre jours plus tard, une fois que les athlètes seront rentrés au Québec, conviendra-t-on par écrit après avoir raccroché.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Un autre monde »

« Je pense qu’on doit d’abord mettre un avertissement. Vues de l’extérieur, les choses sont difficiles à comprendre », avise d’emblée Anne Genest, dimanche, de retour sur la Rive-Sud.

Le couple tient à transmettre ce qu’il a vu – et entendu – avec « tact ». Sans jugement. La mise en contexte pourrait être très longue, souligne Joan Roch. « On est dans un autre monde », dit-il.

PHOTO FOURNIE PAR ANNE GENEST ET JOAN ROCH

Anne Genest et Joan Roch avant le départ de l’Ultra Run Rarámuri

« Mais c’est sûr que quand, après, entre coureurs, on se racontait nos anecdotes, le mot “narcotrafiquants” ressortait régulièrement parce que, effectivement, on court dans une région en partie contrôlée par eux, commence Roch. C’est de notoriété publique même si, j’imagine, les autorités mexicaines n’aiment pas qu’on en parle. Mais c’est un fait. »

Dans les canyons, les coureurs traversaient des champs de pavot, relate l’ultramarathonien. Il n’a d’ailleurs pas été difficile de trouver en ligne cette affirmation de la part d’au moins un autre participant d’une édition passée de la course.

PHOTO FOURNIE PAR ANNE GENEST ET JOAN ROCH

Des Rarámuris dans les gorges de Barrancas del Cobre

Ce serait une bien mauvaise idée de débarquer à l’improviste dans ce coin du Mexique. Mais pendant la course, chacun est au courant de la présence de l’autre.

« Il n’y avait aucune cohabitation étrange entre des narcotrafiquants, des Rarámuris et les coureurs qui passent par là », affirme Joan Roch.

Comme le leur a expliqué l’organisateur de l’évènement, il faut simplement connaître « les règles du jeu ».

« Ça veut dire qu’il ne faut pas prendre de photos, on ne fait que passer et tout se déroule bien », indique le Québécois.

N’empêche que…

« Indépendamment de notre présence, la situation peut changer n’importe quand parce que les autorités mexicaines peuvent vouloir faire des opérations. Ou à l’inverse, les narcotrafiquants. »

La journée de notre premier entretien, mercredi dernier, des participants ont vu passer sur une route des dizaines de camions de la garde nationale.

« Et nous, en même temps, on s’est quasiment fait atterrir dessus par un hélicoptère Black Hawk de l’armée mexicaine. Apparemment, l’armée était là juste en exercice », précise-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR ANNE GENEST

L’hélicoptère de l’armée qu’ont vu de très près Joan Roch et Anne Genest

« Mais les deux dans la même journée, ça commence à faire pas mal. On était vraiment loin de Longueuil. »

Le barrage routier

Les règles du jeu, donc, l’organisateur de l’évènement les connaît mieux que quiconque. Et pourtant.

Pendant la première nuit, même s’il se trouvait très loin du fil d’arrivée, il a souhaité être présent pour accueillir le gagnant de l’épreuve.

« Alors, il s’est dépêché, il s’est dit : « Je prends le risque, je vais prendre mon véhicule et conduire la nuit » », raconte Anne Genest.

« L’arrangement avec les narcotrafiquants, c’est que les coureurs, il n’y a aucun problème, jour comme nuit, poursuit Joan Roch. Mais ce qu’ils n’aiment pas du tout, ce sont des déplacements en véhicule dans les villages la nuit. »

La suite était donc prévisible.

« Il a été arrêté par des trafiquants, enchaîne la coureuse et écrivaine. Il a dû descendre les vitres du véhicule et ils se sont mis à observer ce qu’il y avait à l’intérieur. Puis, ils ont laissé la voiture passer. »

Le véhicule était identifié aux couleurs de la course. S’en prendre à l’organisateur ou à des coureurs étrangers serait sans doute un mauvais calcul.

« Mais c’est une dose de stress quand même assez importante », fait valoir Anne Genest.

PHOTO FOURNIE PAR ANNE GENEST ET JOAN ROCH

Dans les gorges de Barrancas del Cobre

« Ils savent qu’on est là, mais les jeunes qui sont affectés à la garde d’on ne sait quoi, pour tenir le coup, sont sous la cocaïne. Donc, leur comportement peut devenir anormal n’importe quand. C’est cette dose d’imprévisibilité avec des hommes armés qui est stressante. Parce que pour ce qui est de la cohabitation avec les narcotrafiquants, tout le monde sait que l’autre existe. Ce n’est pas un souci en soi, affirme Joan Roch. Mais c’est imprévisible. »

Et les serpents corail ? Ce n’était pas la saison. Mais ils ont vu de petits scorpions noirs, qu’ils ont contournés. Ça leur suffisait largement.

Lisez « Courir avec les Rarámuris », le premier volet de la série