Après une édition consacrée aux gestes répréhensibles, on lève notre chapeau aux plus beaux gestes d’esprit sportif dont nous ayons été témoins (en personne ou en vidéo).

Simon-Olivier Lorange

Le 2 juin dernier, une scène terrible a assombri la victoire du Canadien contre les Jets de Winnipeg, en lever de rideau de leur série de deuxième tour. On s’en souvient (trop) bien : immédiatement après avoir marqué dans un filet désert, Jake Evans a été assailli par Mark Scheifele, qui avait traversé la patinoire à pleine vitesse pour l’atteindre. La mêlée a éclaté sur la glace dans la seconde, mais Nikolaj Ehlers, des Jets, a eu la présence d’esprit de se placer entre Evans et le groupe de joueurs en furie. Sur la reprise, on voit même le numéro 27 en bleu pousser de toutes ses forces sur le troupeau afin que le juge de ligne et un thérapeute du sport puissent porter secours au patineur du CH inanimé. J’étais à Winnipeg ce soir-là, et l’agression de Scheifele demeure à ce jour l’une des plus violentes que j’aie vues. Toutes les personnes dans l’aréna étaient sous le choc. L’intervention d’Ehlers aura au moins ramené un peu d’humanité sur la patinoire. Le lendemain, alors que la suspension à Scheifele n’avait pas encore été annoncée, l’entraîneur-chef du Tricolore, Dominique Ducharme, a pris la peine de souligner le geste du Danois, qu’il avait dirigé pendant deux ans chez les Mooseheads de Halifax, dans la LHJMQ. « Il faisait tout pour protéger Jake. J’apprécie ce qu’il a fait », a dit le Québécois.

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Nicholas Richard

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Compétition de ski de fond à Sotchi, en février 2014

Aux Jeux olympiques de 2014, à Sotchi, où on apprendra plus tard que la Russie avait orchestré le plus grand scandale de dopage de l’histoire du sport, un Canadien était venu à la rescousse d’un fondeur russe. Alors qu’il était l’un des favoris de ces Jeux, Anton Gafarov avait trébuché au début de l’une des courses. Son ski gauche s’était brisé sur la séquence. Plus la course progressait, plus l’état de son ski se détériorait. Gafarov ne pouvait rien faire. Il était bon dernier, puisqu’il skiait sur un ski et demi. Dans l’une des dernières descentes du parcours, son ski était brisé, courbé et mou. Il est de nouveau tombé. Après que le fondeur s’est relevé péniblement, Justin Wadsworth, l’un des entraîneurs de l’équipe canadienne, est arrivé à la course avec un ski à la main. Il a arrêté Gafarov, lui a retiré son ski brisé et l’a remplacé par un nouveau ski. Le Russe a pu terminer sa course dignement. L’esprit olympique, c’est ça. Wadsworth l’a bien prouvé lors de cette journée, en y allant d’un geste d’esprit sportif qui va bien au-delà de la compétition.

Guillaume LeFrançois

PHOTO RICK OSENTOSKI, USA TODAY SPORTS

Le Comerica Park, domicile des Tigers de Detroit

L’esprit sportif, ça englobe aussi l’attitude envers les arbitres. À cet égard, l’ancien lanceur des Tigers Armando Galarraga mérite notre admiration pour sa réaction envers Jim Joyce. Le 2 juin 2010, Galarraga était parfait après huit manches et deux tiers quand Jason Donald a frappé un roulant entre le premier et le deuxième but. Donald a été déclaré sauf au premier but, même si les reprises démontraient qu’il était retiré par une demi-enjambée. Galarraga, un lanceur de 28 ans qui vivotait dans les majeures, était ainsi privé de son moment de gloire. Imaginez : il aurait seulement été le 21lanceur de l’histoire du baseball majeur à réussir un match parfait. Il aurait facilement pu s’emporter contre l’arbitre ; de nombreux joueurs et gérants l’ont fait pour beaucoup moins. Le Vénézuélien a plutôt levé les bras en l’air, n’a rien dit, et a même trouvé le moyen de sourire. Galarraga a retiré le frappeur suivant pour confirmer la victoire des Tigers. Le lendemain, c’est Galarraga qui représentait les Tigers pour la remise des formations partantes, opération qu’un Joyce ému présidait puisqu’il était l’arbitre derrière le marbre. Un moment touchant et d’une grande classe.

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Alexandre Pratt

PHOTO DICK FUNG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le Stade olympique de Séoul en 1988

Aux Jeux de Séoul, en 1988, le Canadien Lawrence Lemieux occupait la deuxième place d’une épreuve de voile lorsqu’un coup de vent a balayé la baie. Deux compétiteurs d’une autre course sont tombés à l’eau. Lemieux les a aperçus au loin. Il a quitté le parcours des Jeux pour aller les secourir. Après avoir sauvé les deux marins, il les a raccompagnés jusqu’au quai, puis il a repris son épreuve. Résultat : une 22place. La Fédération internationale, émue par son geste, lui a redonné sa deuxième place. Il l’a toutefois reperdue lors des courses subséquentes, pour finalement terminer 11e. N’empêche, Lemieux a quand même reçu une médaille olympique, celle de Pierre de Coubertin, pour son sacrifice, son esprit sportif et son courage.

Mathias Brunet

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Andy Roddick à la Coupe Rogers en août 2005, à Montréal

Andy Roddick, troisième tennisman au monde, est sur le point de passer en quarts de finale à l’Open d’Italie en ce 5 mai 2005. L’Américain mène 7-5 et 5-3 aux dépens de l’Espagnol Carlos Verdasco, 53e mondial. Celui-ci tire de l’arrière 0-40 au service lorsqu’il frappe une deuxième balle de service appelée à l’extérieur par le juge de ligne. En avançant vers le filet pour serrer la main de l’Espagnol après sa (prétendue) victoire, Roddick réalise, avec la trace laissée par la balle sur la terre battue rouge italienne, que la balle de service de Verdasco avait touché à la ligne et le signale à l’arbitre. La rencontre se poursuit. Verdasco remporte les quatre autres points, la partie et les suivantes. Il finit par l’emporter 6-7, 7-6 et 6-4 ! Roddick, numéro un au monde en 2003 et champion de l’US Open, aurait-il été aussi généreux à 40-40 ? Peut-être. On ne le saura jamais. Mais son geste reste dans les annales du tennis comme l’une des grandes preuves d’esprit sportif.

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Simon Drouin

PHOTO HAKON MOSVOLD LARSEN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Néerlandais Kai Verbij aux Jeux olympiques de Pékin

Aux Jeux olympiques de Pékin, Kai Verbij s’est relevé au croisement du 1000 m pour éviter de nuire à son vis-à-vis Laurent Dubreuil, qui filait vers la médaille d’argent. Le règlement est clair : le Québécois, qui sortait du couloir intérieur, avait priorité. Mais le Néerlandais, champion mondial en titre sur la distance, aurait pu tenter le coup. S’il passait, il se serait assurément battu pour le podium. En cas de contact, il aurait été disqualifié et Dubreuil aurait eu droit à une reprise de course. Mais avec l’effort qu’il venait de produire, ses chances étaient nulles. « J’ai décidé de céder le passage parce que je ne voulais pas gâcher la performance olympique de quelqu’un d’autre », a simplement indiqué Verbij devant la dizaine de journalistes qui l’attendaient. Dubreuil a chaudement remercié son rival... avouant qu’il n’aurait probablement pas été aussi magnanime dans les mêmes circonstances.

Jean-François Téotonio

PHOTO MOLLY DARLINGTON, ACTION IMAGES FOURNIE PAR REUTERS

Marcelo Bielsa, ancien entraîneur de Leeds

Le geste – sacrifice ultime s’il en est un – est beau. Ce qui a mené à ce geste, un peu moins. On est à la fin d’avril 2019. Leeds United et Aston Villa s’affrontent dans un match de deuxième division anglaise. Les deux équipes visent la promotion vers la Premier League. L’enjeu est crucial. C’est peut-être pour cette raison que lorsqu’un joueur de Villa est étendu au sol, à la 72e minute, Leeds en profite pour aller marquer le but du 1-0. Un manque flagrant d’esprit sportif. Une mêlée sur le terrain s’en suit. Les partisans de Leeds célèbrent dans les gradins. Au diable le fair-play, la promotion en Premier League est plus importante. Mais la suite est beaucoup plus réjouissante pour l’amateur neutre de sport. Moins pour les partisans de Leeds. Marcelo Bielsa, ancien entraîneur de Leeds, ordonne à ses joueurs de laisser Aston Villa égaliser. Certains récriminent. Ne comprennent pas. On le voit sur les lignes de côté répéter son message de laisser l’adversaire jouer. Mais ils y adhèrent, non sans broncher. La scène est particulière. Dès la reprise du jeu, deux joueurs de Villa foncent avec le ballon vers le filet des locaux. Un défenseur de Leeds leur tient tête. Sans succès. Le match se terminait 1-1. Un résultat qui empêchait Leeds de se battre pour la promotion en Premier League. Mais si on gagne sans esprit sportif, on gagne avec quoi ?

Richard Labbé

PHOTO HYOSUB SHIN, ASSOCIATED PRESS

Herschel Walker poursuit une carrière en politique.

En acceptant de passer des Cowboys de Dallas aux Vikings du Minnesota en octobre 1989, Herschel Walker a fait l’un des plus beaux gestes sportifs de tous les temps : il a créé une dynastie à lui seul. Car en acceptant de déménager ses talents de demi surévalué, il a directement contribué à faire des Cowboys des années 1990 le plus grand club de l’histoire de l’humanité. C’est qu’en retour de Walker, les Cowboys ont obtenu environ 55 joueurs et choix au repêchage (j’exagère, mais à peine), et parmi tous ces noms, il y a eu un certain Emmitt Smith, qui est devenu le plus grand porteur de ballon de l’histoire, rien que ça. Alors Herschel Walker, encore à ce jour, et après toutes ces années, des millions de partisans des Cowboys te disent merci. Tu aurais pu refuser l’échange ou prendre ta retraite, mais non. Tu as vaillamment choisi de déguerpir pour permettre aux Cowboys de s’enrichir sur ton dos. Bra-vo ! Et maintenant, tu pourrais aussi choisir de déguerpir de l’arène politique.

Jean-François Tremblay

IMAGE TIRÉE DE YOUTUBE

Le Britannique Derek Redmond est aidé par son père, Tim.

En 1992, le Britannique Derek Redmond visait une médaille au 400 m. Il avait raté son rendez-vous en 1988 en se retirant pour blessure 10 minutes avant sa course. Quatre ans plus tard, c’était son moment de rédemption. Il avait inscrit le meilleur temps de sa vague de qualifications pour les demi-finales. La médaille était à sa portée. Puis, en demi-finale, après 250 m, l’horreur. Blessure au muscle ischiojambier. Redmond tombe à genoux, en pleurs. Son rêve olympique est terminé. Mais il s’était promis, et avait promis à son père, qu’il ne laisserait pas encore une blessure lui voler son moment. Donc il s’est relevé et a commencé à courir sur une jambe, la douleur tordant ses traits. Un officiel a bien essayé de l’arrêter, mais il l’a repoussé. Il lui restait 150 m à parcourir. C’est à ce moment que son père, Tim, est descendu des gradins pour rejoindre son fils sur la piste. Il a été intercepté par la sécurité, mais a poursuivi son chemin jusqu’à Derek pour l’aider à courir. Un autre officiel a tenté de nouveau de les convaincre d’arrêter quand la douleur semblait intolérable, mais cette fois, c’est Tim qui l’a repoussé. Les deux hommes ont terminé les 400 m bras dessus, bras dessous, en pleurs, en marchant, sous les cris des 65 000 spectateurs. Qui se rappelle le gagnant ? Les Jeux olympiques, ce n’est pas qu’une affaire de médailles.

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