La nageuse américaine Lia Thomas est devenue la première athlète transgenre connue à remporter un titre national aux Championnats de la NCAA de division 1, la semaine dernière, à Atlanta. Sa simple présence à une compétition sportive de cette envergure a suscité des débats aux États-Unis. Les nageuses olympiques québécoises Katerine Savard et Mary-Sophie Harvey se mouillent.

Controverse autour de Lia Thomas

PHOTO BRETT DAVIS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Les athlètes transgenres devraient-elles concourir dans la catégorie des femmes ? C’est la question au cœur de laquelle se retrouve aujourd’hui la nageuse américaine Lia Thomas.

Situation hypothétique : Katerine Savard ou Mary-Sophie Harvey terminent troisièmes de leur épreuve aux Essais olympiques de 2024. Parmi les deux nageuses qui les devancent, il y a une personne transgenre de 22 ans qui était encore un homme deux ans plus tôt. Celle-ci ira à Paris, pas Savard ou Harvey. Comment réagiraient l’une et l’autre ?

« C’est une question difficile, a répondu Harvey plus tôt cette semaine. Je ne sais pas si, rendu là, [le contexte réglementaire] aura évolué. On pense tous à essayer de trouver des façons de les inclure et de ne pas discriminer non plus. Tout le monde s’entraîne. Que ce soit une fille, un garçon, ou peu importe. Je ne peux ignorer le fait que la personne va s’entraîner autant que moi pour réaliser ses objectifs. »

Même ambivalence pour Savard, partagée entre sa volonté d’inclusion et celle de protéger l’intégrité du sport féminin.

« Mon Dieu ! Je me dis que si ce n’est pas ça, ça peut aussi être du dopage, a-t-elle exposé. Il y a tellement de situations dans la vie qui sont à discuter. Je pourrais aussi bien arriver troisième derrière deux filles qui sont dopées. Dans cette situation-là, je ne sais pas si je prendrais plus une position ou une autre. Honnêtement, je ne le sais pas. »

Savard et Harvey, membres de l’équipe canadienne aux derniers JO de Tokyo, participaient la semaine dernière à la Coupe du Québec au PEPS de l’Université Laval. Parmi les sujets de discussion entre deux courses : la controverse entourant la médaille d’or de la nageuse transgenre américaine Lia Thomas au 500 verges des Championnats de la NCAA division 1, à Atlanta (voir onglet suivant).

Boudée par une partie du public, voire huée, pendant la cérémonie du podium, Thomas semblait avoir été ostracisée par ses rivales qui ont fini deuxième, troisième et quatrième. Dans une photo devenue virale, celles-ci s’étaient réunies sur la troisième marche, laissant Thomas, manifestement plus grande et costaude, seule sur la première. Comme si sa victoire n’était pas légitime.

Or, semble-t-il qu’il s’agirait d’une mauvaise interprétation de la photo. Erica Sullivan, l’une des trois athlètes, a expliqué qu’elles avaient simplement voulu se regrouper pour poser entre coéquipières des JO de Tokyo. Il ne s’agissait aucunement d’une condamnation de la participation d’une nageuse transgenre à la compétition.

En février, Sullivan a même signé une lettre ouverte appuyant la démarche de Lia Thomas. Elle l’a aussi félicitée à la fin de la course.

« Beaucoup de ceux qui s’opposent à ce que les athlètes transgenres comme Lia puissent participer à des sports prétendent “protéger les sports féminins”, a écrit Sullivan sur Instagram. En tant que femme dans le sport, je peux vous dire que je connais les véritables menaces qui pèsent sur le sport féminin : abus et harcèlement sexuels, inégalité de rémunération et de ressources et manque de femmes aux postes de direction. Les filles et les femmes transgenres ne figurent nulle part sur cette liste. Les sports féminins sont plus forts lorsque toutes les femmes, y compris les femmes transgenres, sont protégées contre la discrimination et libres d’être elles-mêmes. »

Chose certaine, la participation de Lia Thomas aux Championnats de la NCAA ouvre le débat, ce qui est salué par Savard et Harvey.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La nageuse Katerine Savard

Je respecte tellement les personnes transgenres, mais c’est difficile de prendre position comme ça dans le sport. C’est bon qu’il y en ait une première. Il y a des questions à se poser là-dessus. Il va y avoir des choses à faire. Est-ce qu’on crée une autre catégorie ? Je ne le sais vraiment pas.

Katerine Savard, nageuse olympique

Harvey s’attend à voir la réglementation évoluer au cours des prochaines années. « Présentement, je pense que je suis un peu comme la Suisse ! Je suis partagée entre les deux parce que je peux comprendre les deux points de vue. Au bout du compte, les règles vont être mises en place. Qu’on soit pour ou contre [l’inclusion], il va falloir faire avec. »

Savard n’aurait pas hésité à accompagner Lia Thomas sur le podium. Elle condamne l’ostracisme et les insultes auxquels elle a dû faire face au cours des derniers mois.

« Je ne suis pas nécessairement assez à l’aise pour prendre une position haut et fort, a précisé la médaillée olympique de 28 ans. On dirait que je ne trouve pas que cette décision-là m’appartient. Moi, je suis plus pour le respect de la personne dans cette situation. Ça m’a fait de la peine de la voir comme ça. De voir les autres ne pas respecter sa personne. »

Harvey renchérit : « Ça doit être tellement difficile pour elle en tant que nageuse. C’est la première. C’est toujours comme ça avant qu’il y ait du changement. Tu vas être sous les projecteurs. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

La nageuse Mary-Sophie Harvey

Personnellement, je la trouve bonne de faire ça. Ça ne doit pas être facile de sortir de sa course et de se faire huer et sortir dehors et voir des mères qui manifestent. Par contre, je peux comprendre les deux points de vue. Mais non, ça ne doit vraiment pas être facile pour elle en tant que nageuse.

Mary-Sophie Harvey, nageuse olympique

Quant à l’avantage physique dont bénéficierait Lia Thomas, Harvey, 22 ans, balaie l’argument d’un revers de main.

« Personnellement, ça ne me dérange pas du tout. On peut dire la même chose pour une Penny [Oleksiak] qui mesure 6 pi 2 po et une Kat Savard qui mesure 5 pi 6 po. »

Des demandes d’entrevue à John Atkinson, directeur de la haute performance à Natation Canada, et à Taylor Ruck, nageuse canadienne qui a battu Lia Thomas au 200 verges aux Championnats de la NCAA, n’ont pas abouti.

« Nous n’organisons généralement pas d’interviews pour parler d’autres concurrents, a expliqué le gestionnaire supérieur des communications, Nathan White. Nous nous concentrons sur nos propres athlètes et nos performances. »

Pour l’heure, les nageurs canadiens peuvent participer à des compétitions dans la catégorie de leur genre déclaré. Pour ce qui est du niveau dit élite, la question demeure ouverte.

« USA Swimming a récemment adopté une politique à ce sujet, la FINA et Natation Canada examinent des politiques similaires », a précisé M. White.

Aux États-Unis, depuis le 1er février, un comité de trois experts médicaux indépendants est chargé de déterminer que « le développement physique antérieur de l’athlète en tant qu’homme, atténué par toute intervention médicale, ne donne pas à l’athlète un avantage concurrentiel sur les compétitrices cisgenres ».

Le niveau de testostérone de l’athlète ne doit pas excéder 5 nanomoles par litre de sang – plutôt que 10, selon les règles olympiques récentes – en continu pendant une période d’au moins 36 mois (contrairement à 12 dans le passé).

Interrogé par CNN en janvier, Michael Phelps a exprimé un certain inconfort par rapport à l’inclusion de Lia Thomas dans la catégorie féminine, se demandant où tout cela se dirigeait.

« Je crois que nous devrions tous nous sentir à l’aise avec qui nous sommes dans notre propre peau, a précisé le meilleur nageur de tous les temps. Mais je pense que le sport devrait être pratiqué sur un pied d’égalité. Je ne sais pas à quoi cela ressemblera à l’avenir, mais c’est [un sujet] difficile. »

« Je ne suis qu’une simple nageuse »

PHOTO BRETT DAVIS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Lia Thomas a gagné l’or au 500 verges, aux Championnats de la NCAA, à Atlanta, le 17 mars.

Avant de changer de sexe et de prénom, Lia Thomas était un membre anonyme de l’équipe masculine de natation de l’Université de la Pennsylvanie. Son souhait était de se qualifier pour les très relevés Championnats de la NCAA de division 1. À ses trois premières saisons, celle qui s’appelait alors Will n’y est pas parvenue.

Plus fondamentalement, elle était malheureuse. Son désir était de devenir une femme, un processus auquel elle réfléchissait depuis la fin du secondaire. Avant le début de sa troisième saison universitaire, elle a commencé une hormonothérapie féminisante. Elle a ressenti des bienfaits psychologiques presque sur-le-champ.

« J’ai fait l’hormonothérapie sachant et acceptant que je pourrais ne plus nager de nouveau », a-t-elle expliqué dans un long portrait que lui a consacré Sports Illustrated au début du mois et intitulé : « Je suis Lia ». « J’essayais seulement de vivre ma vie. »

Avec son entraîneur à ses côtés, elle s’est ouverte à ses coéquipiers des groupes masculin et féminin lors de deux rencontres distinctes. Le coach a dit aux nageuses que Lia se joindrait éventuellement à elles. « Vous ne pourriez rêver d’une meilleure coéquipière », leur a-t-il dit, tel que l’a rapporté le Sports Illustrated.

Après une troisième année difficile à s’entraîner et à compétitionner avec les hommes – les bloqueurs d’hormones masculines faisaient effet – dans un maillot de femme, Lia Thomas a émergé la saison dernière sur la scène féminine.

Je suis une femme, comme n’importe qui d’autre dans l’équipe.

Lia Thomas, interviewée par le Sports Illustrated

« Je me suis toujours considérée comme une simple nageuse. C’est ce que j’ai fait pendant si longtemps ; c’est ce que j’aime », a précisé Thomas au magazine spécialisé américain.

Sa domination sur le circuit de l’Ivy League a cependant soulevé l’indignation de parents de nageuses de sa propre équipe, qui ont demandé à la NCAA de la rendre non admissible aux compétitions. L’enjeu, selon une lettre anonyme rendue publique : « l’intégrité du sport féminin ».

PHOTO BRETT DAVIS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

La nageuse répond aux questions d’une journaliste après sa victoire au 500 verges, lors des Championnats de la NCAA à l'université Georgia Tech, à Atlanta, le 17 mars.

Une campagne a été menée par la championne olympique Nancy Hogshead-Makar, qui dirige Champion Women, un groupe de pression sur l’équité et la sécurité dans le sport féminin, notamment. D’autres voix se sont fait entendre pour applaudir l’inclusion des athlètes transgenres dans la catégorie de leur choix.

Selon les règlements de la NCAA, une athlète transgenre qui a suivi une thérapie de suppression de testostérone pendant un minimum d’un an est autorisée à concourir dans la catégorie des femmes. En janvier, l’organisme a cependant relayé la question à chaque fédération nationale de sport.

Le 1er février, USA Swimming a resserré ses règles pour les nageuses transgenres. Un comité médical doit déterminer si elles détiennent un avantage compétitif par rapport aux athlètes féminines cisgenres. Celles qui ont fait la transition et désirent compétitionner doivent respecter un plafond de 5 nanomoles de testostérone par litre – soit la moitié du seuil applicable aux Jeux olympiques récents – de façon continue sur une période de 36 mois.

Théoriquement, Lia Thomas, qui avait amorcé le processus 34 mois plus tôt, ne pouvait donc pas participer aux Championnats de la NCAA, disputés la semaine dernière. Citant des « effets injustes et potentiellement préjudiciables » d’un changement de règlement de dernière minute, un sous-comité de la NCAA a décidé de reporter la mise en application de la nouvelle mesure de USA Swimming.

Lia Thomas a donc été autorisée à concourir à Atlanta. La native du Texas n’a pas battu de records de la championne olympique Katie Ledecky, comme certains observateurs s’y attendaient. Mais elle a gagné l’or au 500 verges avec une priorité de 1,75 seconde sur trois nageuses olympiques américaines.

Au 200 verges libre, elle a terminé cinquième d’une course remportée par la Canadienne Taylor Ruck. Au 100 verges libre, elle a pris le huitième et dernier rang de la finale.

PHOTO BRETT DAVIS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Lia Thomas a pris le dernier rang lors de la finale du 100 verges libre, à Atlanta, le 17 mars.

Après sa victoire, des huées ont été entendues dans les gradins. À l’extérieur du centre sportif, quelques manifestants ont également exprimé leur désaccord. Certains ont brandi une pancarte sur laquelle était inscrit : « Sauvez le sport féminin ».

PHOTO JOHN BAZEMORE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une manifestante s'opposant à la participation de Lia Thomas aux compétitions brandit une pancarte où l'on peut lire : 
« Les sports féminins sont uniquement pour les filles », 
à Atlanta, le 17 mars.

Dans ce contexte difficile, Thomas ne s’est pas présentée à la conférence de presse après la course. « Je veux juste montrer aux enfants trans et aux jeunes athlètes trans qu’ils ne sont pas seuls », avait-elle dit à Sports Illustrated, l’un des rares médias à avoir pu l’interviewer cette année. « Ils n’ont pas à choisir entre qui ils sont et le sport qu’ils aiment. »

Après la compétition, une nageuse de Virginia Tech, qui avait terminé 17e au 500 verges, a écrit à la NCAA pour se plaindre d’avoir perdu sa place dans l’une des finales à huit à cause de cette concurrente transgenre.

Elle fait ce qui la passionne et mérite ce droit. D’un autre côté, je voudrais critiquer les règles de la NCAA qui lui permettent de rivaliser avec nous, qui sommes biologiquement des femmes.

Reka Gyorgy, membre de l’équipe olympique hongroise

L’automne dernier, le Comité international olympique (CIO), qui édictait des règles depuis 2003, a demandé aux fédérations internationales de sport d’établir leurs propres règlements sur l’inclusion des athlètes transgenres.

« Il doit être du ressort » de chacune « de déterminer comment un athlète peut être avantagé de manière disproportionnée par rapport à ses pairs, en tenant compte de la nature de chaque sport », avait énoncé le CIO dans un communiqué.

Le CIO n’a publié qu’un « cadre » qui s’appuie sur 10 principes, dont « l’inclusion » et l’absence d’« avantage compétitif injuste et disproportionné ». Leur conciliation s’annonce complexe.