Ça ne va pas bien aux camps de base de l’Himalaya. Discussion avec l’alpiniste Gabriel Filippi.

« Le gouvernement népalais a décidé que c’était préférable de se remplir les poches que d’avoir à cœur la santé des gens. »

Le mois de mai est la fenêtre pour les ascensions vers le toit du monde, le mont Everest, à 8849 mètres d’altitude.

En raison de la pandémie de COVID-19, l’alpiniste québécois Gabriel Filippi a annulé dès décembre l’expédition qu’il devait organiser ce printemps. Et il vient de faire de même avec une autre, prévue en septembre prochain.

Mais les autorités népalaises, elles, ont préféré ne pas se priver de revenus que leur procure le lucratif tourisme vers la chaîne himalayenne. Les résultats sont catastrophiques.

« Toute cette situation-là, aux camps de base, comme au Népal, une bonne partie de ça aurait pu être évitée parce qu’on l’a vu, les chiffres ont monté à l’arrivée de la saison touristique des grimpeurs », indique Filippi, premier Canadien à avoir atteint trois fois le sommet de l’Everest et seul Québécois à avoir accompli l’exploit par les deux versants.

C’était écrit dans le ciel qu’il y aurait encore des problèmes au Népal. Pas nécessairement une éclosion majeure, mais qu’ils n’allaient pas être vaccinés.

Gabriel Filippi

Même si tous les visiteurs avaient reçu leur double dose de vaccin contre la COVID-19, ils seraient demeurés des vecteurs de transmission pour la population népalaise, dont moins de 10 % ont reçu une première dose. En soi, déjà une bonne raison de ne pas mettre les pieds au Népal en ce moment.

Mais en faisant le choix de ne pas reporter leur voyage, des dizaines de touristes aventuriers se sont en outre tiré dans le pied.

Une très vaste proportion d’entre eux, en provenance des quatre coins du monde, n’étaient pas vaccinés. Donc, tout le long du voyage et du trek, les étrangers ont non seulement infecté des habitants du pays, mais ils se sont également infectés les uns les autres.

Pour couronner le tout, le gouvernement a refusé que les médecins fassent des tests spéciaux pour la COVID-19 aux camps de base, fait savoir Gabriel Filippi.

PHOTO ÉTIENNE RANCOURT, FOURNIE PAR GABRIEL FILIPPI

Gabriel Filippi est le premier Canadien à avoir atteint trois fois le sommet de l’Everest.

Celui de l’Everest sur le versant népalais compte toujours trois médecins volontaires, tous résidants du pays cette année, une décision prudente de l’organisation, dictée par la pandémie.

« Tu as un grimpeur qui arrive, et là, le mal aigu des montagnes, l’œdème pulmonaire, il y a beaucoup de symptômes qui sont similaires. Donc, est-ce que la personne a la COVID-19 ou elle a un autre problème ? Les maux de tête. La toux du Khumbu, qui est sèche. Mais la toux sèche peut aussi faire partie des symptômes de la COVID-19 », compare le grimpeur originaire de Lac-Mégantic, en entrevue jeudi dernier.

« Alors, des gens se pointaient là et les médecins ne pouvaient pas diagnostiquer vraiment, alors ils les évacuaient. On ne sait pas combien ont été évacués parce que le gouvernement a demandé aux équipes de se fermer la trappe. Donc, on va le savoir quand les expéditions vont être terminées. Combien de gens vont avoir fait le sommet par rapport au nombre de permis ? Jusqu’à présent, les informations que j’ai, c’est quand même un bon nombre de gens qui ont été sortis. »

Il semble qu’une grande majorité de ces cas aient été bel et bien liés à la COVID-19. Des gens qui n’y sont pas retournés par la suite parce qu’ils avaient reçu un résultat positif.

Au Dhaulagiri, un autre sommet de plus de 8000 mètres de l’Himalaya, une trentaine de personnes ont été sorties. Avec 33 permis délivrés, il y avait donc environ 70 individus au total dans ce camp de base, indique Filippi.

À celui du versant népalais de l’Everest, ils devaient être environ 1500, dont un peu plus de 400 touristes grimpeurs, qui ont chacun payé 11 000 $ US pour leur permis.

C’est le camp qu’ont choisi les autorités locales.

L’âge n’est qu’un chiffre

Gabriel Filippi est conférencier en entreprise, il organise des expéditions et il a également écrit Instinct de survie – Tromper le destin sur les plus hauts sommets du monde, publié il y a cinq ans.

À 60 ans, on pourrait présumer que le sommet de l’Everest est chose du passé pour lui…

Ce n’est pas dans mes plans. Mais d’affirmer que c’est fini, que je n’y retournerai plus, ce serait peut-être un peu hypocrite. C’est une montagne que j’adore.

Gabriel Filippi

Le cas échéant, il y aurait des conditions précises. Entre autres, ce serait pour aider. Pour de la recherche ou afin de récolter des fonds pour une fondation, par exemple.

Mais, chose certaine, les années qui passent n’importent pas, souligne-t-il, en traçant un parallèle avec le hockey.

« La différence, c’est que pour nous, l’âge ne change pas grand-chose. Sur le Dhaulagiri, il y a Carlos Soria, à 82 ans. Il a 12 des 14 sommets de 8000 mètres de faits, sans oxygène. Il y en a qui lui diraient de lâcher, mais il a un plaisir d’être là. C’est une belle retraite ! »

Dans son livre, l’alpiniste aborde, entre autres, l’avalanche provoquée par le séisme de 2015 à laquelle il a survécu. Et l’attentat meurtrier de talibans auquel il a échappé grâce à une intuition, en 2013, au Pakistan. Mais il affirme n’avoir jamais compté le nombre de fois où il a frôlé la mort.

« C’est peut-être ça qui me ferait arrêter ! », lance le grimpeur.

En fait, il existe un certain rempart contre les dangers des hauteurs, relève-t-il. Il faut être guidé par la passion de l’alpinisme, et non par l’obsession du sommet.

Un état d’esprit qui se développe avec l’âge, la situation familiale et le fait de voir des amis grimpeurs mourir. Et qui lui a déjà fait rebrousser chemin au jour J, alors qu’il n’était qu’à 100 mètres du sommet.

Ou à 100 mètres de sa mort, observe-t-il.