(Montréal) Se faire menacer d’être raccompagné dans un coffre d’auto, se retrouver encerclé au centre d’un terrain de soccer par des parents et être victime d’insultes au point d’avoir envie de pleurer, ça ne représente peut-être pas le quotidien de tous les arbitres du Québec. Mais ce type de comportements demeure bien réel sur nos terrains et dans nos arénas.

Une équipe de l’Université Laval a donc décidé de documenter le phénomène pour faire changer les choses.

Le projet s’intitule « Expériences des jeunes officiels du Québec ». Comme son nom l’indique, il vise à documenter les expériences vécues sur le terrain par les arbitres et autres officiels – juges, juges de lignes – de la province, afin de proposer des interventions ciblées pour éliminer la violence dont les officiels sont victimes.

Dans le but de mieux circonscrire son projet, l’équipe de l’Université Laval, menée par la professeure au Département d’éducation physique Sylvie Parent, a décidé de se concentrer sur les jeunes officiels, qui seraient encore plus susceptibles d’être victimes de violence que leurs collègues plus expérimentés.

« Il était venu à nos oreilles qu’il y avait un niveau d’abandon important chez les jeunes officiels, et que cela pourrait être causé par du manque de respect ou de la violence », souligne Mme Parent, qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche sur la sécurité et l’intégrité en milieu sportif.

Dans la première phase du projet, l’équipe de recherche a rencontré 27 jeunes âgés de 14 à 20 ans pour mieux comprendre leur réalité en tant qu’officiels débutants. Dans un rapport d’une cinquantaine de pages qui a été commandé par le ministère de l’Éducation, l’équipe relate les témoignages des jeunes, en plus de proposer certains axes d’intervention.

Différents niveaux de violence

Selon les témoignages des officiels, la violence verbale serait la plus fréquente sur les différents plateaux sportifs du Québec. Environ « une partie sur deux », les jeunes seraient la cible d’insultes — ou du moins, de « chialage » — provenant surtout des parents et des entraîneurs.

Cependant, ce type de violence affecterait plus ou moins les officiels rencontrés selon Mme Parent, puisqu’ils auraient développé une « carapace » en raison de la nature de leur travail.

Il y a une normalisation de la violence qui s’installe chez les officiels. Ils nous disaient que cela fait partie de leur travail, qu’ils sont la personne sur le terrain ou sur la glace que tout le monde doit haïr.

Sylvie Parent, professeure à l’Université Laval

Certains participants ont toutefois rapporté des incidents beaucoup plus graves, qui pouvaient parfois nécessiter l’intervention de la police.

Antoine St-Amant-Bertrand, qui a choisi de raconter son histoire à La Presse Canadienne, a vécu une telle expérience il y a quelques années, alors qu’il était âgé de 17 ans.

Lors d’une partie de hockey qui impliquait des participants plus âgés que lui, un joueur qui venait d’être expulsé lui a donné un coup de bâton sur le casque, avant d’en ajouter un second dans son ventre.

« Je n’en revenais pas, laisse tomber l’arbitre. Ce jour-là, j’étais le seul officiel sur la glace puisque mon collègue ne s’est pas présenté à la partie. Après l’incident, j’ai quitté la patinoire pour une dizaine de minutes, mais les autres joueurs m’ont demandé de revenir. C’était assez incroyable. »

Comme l’indique l’équipe de l’Université Laval dans son rapport, ce type d’incidents ne survient pas seulement au hockey — souvent sous le feu des projecteurs au Québec —, mais bien dans tous les sports.

Jonathan — le prénom a été changé par souci d’anonymat — s’est notamment fait frapper par un parent il y a quelques années lors d’un match de soccer.

« Le pire c’est que ce n’est même pas contre moi que le parent était fâché, c’était contre mon collègue, explique l’officiel. J’ai tenté de résoudre le conflit, mais il a fini par me donner un coup de poing au visage après la partie. »

Le jeune arbitre, qui était encore mineur au moment des évènements, a subi une commotion cérébrale sur le coup, ce qui l’a empêché d’entreprendre ses études collégiales l’automne suivant.

Malgré cet évènement marquant, Jonathan a choisi de reprendre son rôle d’arbitre une fois rétabli.

« J’aimais vraiment ça arbitrer, résume-t-il. Juste le fait de pouvoir permettre à des jeunes de jouer, c’était assez pour moi. Quand j’étais jeune, il y avait des matchs annulés parce qu’il manquait d’arbitres, donc j’ai commencé avec mon club local et j’ai gravi les échelons.

« Et en plus, c’est un métier qui est exigeant, parce que tout le monde — les joueurs, les parents et les entraîneurs — est souvent contre toi, mais cela te permet d’apprendre à travailler sous pression. »

Pas seulement chez les jeunes

Bien que la recherche de l’Université Laval se concentre uniquement sur les jeunes officiels, il serait faux de croire que ce type d’évènements touche seulement les officiels débutants, croit Rémi Forget, qui arbitre au baseball depuis « 29 ou 30 ans ».

Selon lui, les officiels plus expérimentés parviennent certes à faire fi de certains cris et insultes, mais ils sont toujours à risque d’être affectés par d’autres comportements.

« Si un partisan dans les estrades commence à t’insulter personnellement en parlant de ta conjointe alors que ta conjointe est juste à côté, c’est certain que cela va te déranger, peu importe le nombre d’années d’expérience que tu possèdes », mentionne l’officiel dont la carrière l’a mené à arbitrer des matchs jusqu’en Europe.

M. Forget a lui-même vécu une situation embarrassante pendant un match d’un calibre élevé au Québec, alors qu’un receveur l’a menacé en raison d’une décision sur un lancer.

« Il m’a dit : “ je vais te tuer, je vais tuer ta femme, je vais brûler ta maison et ton auto aussi. ” Je m’en souviendrai toujours. »

L’arbitre note malgré tout que ces comportements extrêmes demeurent peu fréquents, et que dans la majorité du temps, « un officiel finit par comprendre ce qu’il faut faire et dire pour garder le contrôle de son match ».

M. Forget reconnaît qu’il est vrai que des officiels quittent l’arbitrage « en raison du climat », mais il nuance que ces officiels n’avaient peut-être pas le profil de l’emploi dès le départ.

« Comme arbitre, tu dois toujours prendre des décisions. Et souvent, c’est tellement serré que peu importe ce que tu vas faire, il y a l’une des deux équipes qui va crier [son mécontentement]. Il faut donc que tu acceptes ça si tu veux continuer. »

Recommandations

Pour la première phase du projet, l’équipe de l’Université Laval a effectué 10 recommandations qui pourraient réduire l’intimidation envers les jeunes officiels. Si certaines d’entre elles concernent la structure interne des programmes d’arbitrages — de l’aide pour la rédaction de rapports, des cours pour mieux communiquer avec les différents intervenants — d’autres pourraient avoir des impacts sur le public.

« On a fait un amalgame entre ce qui existait déjà dans la littérature et ce que les jeunes nous ont dit », explique Mme Parent, dont la production du rapport de recherche n’était que la première étape du projet.

La chercheuse souhaite lancer une deuxième phase dans les prochains mois, qui consistera à suivre une cohorte de jeunes officiels dans le temps. Elle pourra alors quantifier le taux d’abandon au sein du groupe et documenter les raisons qui poussent les jeunes à quitter le monde de l’arbitrage.

Quelques recommandations en vrac

• Mettre en place des mesures spécifiques pour soutenir les officiels durant leurs deux premières saisons ;
• Augmenter la sévérité des sanctions émises envers les entraîneurs ;
• Instaurer une forme de sanctions pour le public, même s’il pourrait être plus difficile de le faire ;
• Augmenter le soutien par le biais de lignes d’écoute ;
• Augmenter la visibilité et l’information concernant la santé mentale et le bien-être ;
• Mettre en place des campagnes faisant la promotion de l’importance des officiels ;
• Équiper les officiels des niveaux élites avec des microphones.