Forfait pour les Championnats du monde de juin après une blessure subie à la fin mars, le judoka Antoine Valois-Fortier se prépare à aborder ses troisièmes Jeux olympiques à Tokyo dans un contexte inhabituel.

D’une main, Antoine Valois-Fortier soulevait l’haltère de 50 lb comme s’il s’agissait d’une vulgaire boîte de tomates.

« Antoine, c’est une machine », avise Fayez Abdulrahman, son thérapeute du sport. « Une vieille machine », corrige le judoka de 31 ans en se levant pour récupérer une charge un peu plus lourde.

Vendredi matin, dans un studio d’entraînement à peu près vide (et fermé) à Saint-Henri. Masque au visage, vêtu d’un short et d’un t-shirt, Valois-Fortier enchaîne les exercices avec le rythme du gars qui n’a pas de temps à perdre et qui sait ce qu’il à faire.

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Fayez Abdulrahman et Antoine Valois-Fortier, à l'entraînement

Abdulrahman lui demande s’il faut le préparer pour les Championnats du monde de Budapest, du 6 au 13 juin. Valois-Fortier lui annonce qu’il n’y va plus.

« À cause de la blessure ?

— Non, mais ça ne sert à rien de prendre des risques. »

Valois-Fortier a fait son choix : sa prochaine véritable compétition sera les Jeux olympiques de Tokyo, le 27 juillet. En fait, son corps a décidé pour lui.

Le 27 mars, il s’est étiré du cartilage attaché à ses côtes droites lors d’un combat quart de finale au Grand Chelem de Tbilissi, en Géorgie. Il a tenu bon pour remporter cet affrontement contre le Moldave Gorin Gotonoaga. En demi-finale, 50 minutes plus tard, il s’est effondré sur le tatami, pris d’une violente douleur. Même son adversaire, l’Autrichien Shamil Borchashvili, s’est appliqué à le déposer sur le tapis tout en douceur.

Dans les jours suivants, Valois-Fortier s’est accroché à l’espoir de participer aux Championnats panaméricains de Cordoba, où il aurait pu consolider son classement mondial. Il a donc accompagné l’équipe canadienne au Grand Prix de Turquie, d’où elle devait se rendre directement en Argentine après un stage d’entraînement.

Le cas positif à la COVID-19 de son coéquipier Arthur Margelidon a écarté cette possibilité. De toute façon, il n’aurait pas été prêt pour les continentaux.

« Ç’aurait été trop risqué pour les avantages que ça aurait pu me donner », a-t-il précisé avant sa séance avec le thérapeute, avec qui il renouait en personne après la fin de sa quarantaine.

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Antoine Valois-Fortier suit les conseils de son thérapeute.

Les premiers signaux sont favorables. Le triple médaillé aux Championnats du monde a recommencé le judo à l’Institut national du sport du Québec, mercredi. Deux jours plus tard, il a repris les poids pour la première fois depuis sa blessure.

Sent-il que son corps lui envoie des signaux ? « Ça fait une couple d’années que je me trouve magané ! », a répondu du tac au tac celui qui s’était soumis à une opération au dos à l’été 2018. « Il s’agit de modifier un peu la manière dont tu t’entraînes, d’accorder plus d’importance à la récupération. »

À 21 ans, il appelait la physio une fois par mois, quand il avait « mal quelque part ». Dix ans plus tard, il calcule avoir systématiquement trois ou quatre rendez-vous médicaux hebdomadaires. « Ostéo, masso, physio une à deux fois. Pour soigner des bobos ou agir de façon préventive. »

Sa dernière blessure l’a également incité à augmenter la fréquence de ses entretiens avec son préparateur mental. Jean François Ménard lui offre « une perspective extérieure au monde du judo ». « Il m’apporte une vision différente, plus calme, plus réfléchie. »

La dernière année a néanmoins été un énorme défi « entre les deux oreilles ». Les conseils sont une chose, leur mise en pratique en est une autre.

Ce sont de petites affaires tellement simples, mais tellement dures à appliquer. Se concentrer sur tes affaires, y aller une étape à la fois… Tout le monde le sait, mais est-ce que tout le monde peut bien l’appliquer ? C’est là qu’on va voir qui est en mesure de bien le faire aux Jeux.

Antoine Valois-Fortier

Son absence aux Mondiaux a un coût : il pourrait être délogé de sa huitième place au classement des moins de 81 kg, ce qui l’empêcherait de faire partie des têtes de série au tournoi olympique. Théoriquement, il se priverait donc d’un premier adversaire plus prenable.

S’il est exclu du top 8 comme il l’anticipe, son coéquipier Étienne Briand pourrait également s’inviter dans la danse.

Aujourd’hui 26e au classement, le judoka originaire de Sept-Îles doit remonter jusqu’au 18rang pour obtenir le privilège de se mesurer à Valois-Fortier dans un barrage, au meilleur de trois combats, à la fin de juin.

Le médaillé de bronze des JO de 2012 n’est jamais passé par un barrage. « C’est clair que c’est une grosse dose de stress. Si je pouvais m’en passer, je m’en passerais. »

Préférant se concentrer sur sa préparation, le natif de Beauport ne prévoit pas suivre le déroulement des Mondiaux en direct. « Le lendemain, je vais voir [les résultats]. J’aurai alors l’état des lieux ; il y a un fight-off, il n’y en a pas. Qu’est-ce qu’on fait ? Comment je me prépare ? »

De la même façon, Valois-Fortier ne redoute pas d’aborder ses troisièmes JO à Tokyo à froid, quatre mois après son dernier combat contre un rival étranger.

« Ça va être le temps de laisser parler mon expérience. On dit que c’est un peu inhabituel, mais la dernière année au complet a été inhabituelle. Ce n’est même plus nouveau, l’inhabituel ! »

« Des compétitions, j’en ai fait, je sais comment m’y préparer, a-t-il ajouté. Ça fait plus de 10 ans que je suis sur le circuit. Je n’ai pas nécessairement besoin de ces compétitions pour arriver prêt. Mais une chose est certaine, ce qu’il me faut pour performer, c’est une côte et un corps en santé. »

Comme Roseline Filion

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Fayez Abdulrahman et Antoine Valois-Fortier

« Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi fort aussi rapidement, mais ça démontre le travail qu’il a fait en amont », se félicite Fayez Abdulrahman. Le thérapeute du sport et préparateur physique d’Antoine Valois-Fortier a pris le relais de Scott Livingston après l’opération au dos du judoka, à l’été 2018. « Quand quelqu’un est bien préparé, si une blessure arrive, il peut retourner plus vite [à l’entraînement]. Ça fait trois semaines et il est déjà capable de mettre de la charge, ce qu’une personne moins bien préparée n’arrivera pas à faire. » La rencontre médiatique de Valois-Fortier était organisée par la Corporation des thérapeutes du sport du Québec, qui souhaite faire connaître le travail de ses 400 membres. Abdulrahman se voit un peu comme un pont entre la physiothérapie, axée sur le traitement et la rééducation après une blessure, et la préparation physique à proprement parler. « Il y a parfois une mauvaise communication entre les deux. Les blessures reviennent et il faut retourner en physio. » Il compare son défi actuel avec Valois-Fortier à la course contre la montre dans laquelle la plongeuse Roseline Filion était engagée en 2016. « C’est le même principe. » Victime d’une fracture à une cheville, elle n’avait que huit semaines pour se remettre en prévision de la Coupe du monde qualificative pour les JO de Rio, où elle avait gagné le bronze en synchro. Valois-Fortier dispose quant à lui de « 12 à 15 semaines » d’ici son prochain combat. Son horaire est déjà taillé au couteau.