De bonnes habitudes et… un soupçon de chance
On entend la joie dans la voix de Morten Andersen au bout du fil. Pour cet ancien botteur, une entrevue avec un journaliste de Montréal, c’est une occasion de replonger dans ses souvenirs.
C’est qu’Andersen, en tant que Danois qui jouait dans la NFL, a séjourné quelques fois à Montréal en début de carrière. C’est ici que les Saints l’envoyaient afin qu’il obtienne son visa de travail pour les États-Unis.
« Avant que j’obtienne ma carte verte dans les années 1980, je venais ici de temps en temps, je demeurais dans le Vieux-Montréal et j’ai dû voir jouer le Canadien deux fois. Je me souviens bien des hot-dogs du Forum ! » En raccrochant, il nous laissera même sur quelques mots de français, parlant du vignoble de sa famille dans le Languedoc.
Derrière ses airs de bon vivant, Andersen prenait toutefois sa carrière au sérieux, et c’est ce qui lui a permis de devenir, en 2004, le joueur ayant disputé le plus de matchs dans l’histoire de la NFL. Et, surtout, de jouer jusqu’en 2007, à l’âge vénérable de 47 ans, avec 382 matchs au compteur.
Il l’a fait dans le rôle de botteur, assurément la position où il y a le moins de contacts physiques dans le football. La NFL ne comptabilise les plaqués que depuis 1994, donc impossible de savoir combien Andersen en a subi dans la première moitié de sa carrière.
« Peut-être moins de 20, croit-il. Je ne courais pas après les plaqués ! Tu dois rester en santé pour faire des points. Pas être sur le dos ! Les contacts ne m’attiraient pas. C’était le défi mental, arriver au moment où ça compte, comme un releveur au baseball. Il y a deux retraits en neuvième manche et tu dois retirer le dernier frappeur. »
Tout le contraire de Robert Parish, dont les 1611 matchs sont un sommet dans l’histoire de la NBA. Ce géant de 7 pi 1 po, gagnant de trois championnats à Boston dans les années 1980, ne s’en laissait pas imposer physiquement, à une époque où ça jouait dur.
Tu devais être robuste et avoir la bonne mentalité pour survivre. Si tu ne te disais pas que tu étais le plus dur, tu te faisais manger la laine sur le dos.
Robert Parish, ancien joueur de la NBA
« Tu peux t’en tirer sans cette mentalité aujourd’hui, mais pas dans mon temps, avant qu’ils changent les règles », ajoute Parish, en vacances dans sa Louisiane natale.
Les bonnes habitudes
Ils l’ont fait de façon bien différente, mais Andersen et Parish ont chacun marqué leur sport, comme s’apprête à le faire Patrick Marleau dans la LNH.
(La Presse a envoyé un courriel à l’agent de Pete Rose, détenteur du record du baseball majeur, mais il n’y a jamais répondu.)
Sans surprise, les deux insistent sur l’importance de l’entraînement et des bonnes habitudes de vie. Parish, dont la carrière a commencé en 1976, a connu une époque où les joueurs ne se tenaient pas nécessairement en forme 12 mois sur 12. Il plaide même coupable !
« En 1980, quand j’ai été échangé aux Celtics, j’ai pris l’été de congé. J’ai appris à la dure, car ç’a été l’un des camps les plus éprouvants de ma carrière. J’avais repris l’entraînement deux semaines avant le camp. Ce n’était pas assez ! »
Parish est peu à peu passé d’un extrême à l’autre, prenant un soin jaloux de son corps. Exit le vin et la viande rouge. La caféine aussi, « parce que ça déshydrate le corps ». « Je buvais du whisky ou du bourbon de temps en temps, mais très peu », assure-t-il.
Parish est allé là où les athlètes de sa génération n’allaient pas, incorporant le yoga à son entraînement. Sous la recommandation de Kareem Abdul-Jabbar, il s’est même tourné vers les arts martiaux.
En vieillissant, tu deviens plus tendu, tu perds ta flexibilité à force de lever des poids. Je conseillerais à tous les athlètes, même à toute personne : faites des étirements tous les jours. Dans mes cours d’arts martiaux, on s’étirait pendant une heure. À mes premiers cours, j’avais les larmes aux yeux. Ça faisait tellement mal, et le prof n’avait aucune compassion !
Robert Parish, ancien joueur de la NBA
« Je faisais rire de moi dans le vestiaire, poursuit-il. Mes coéquipiers disaient que je n’allais pas avoir d’enfants, que j’allais me casser quelque chose, que le yoga, c’était pour les femmes. Et je leur répondais : “Au moins, je suis capable de toucher mes orteils. Pas vous !” »
Andersen a lui aussi adapté son régime de vie. Des choses qu’il ne pouvait plus faire avec le temps ? « Sortir jusqu’à 3 h du matin ! répond-il. Tu apprends à récupérer. Mais je ne sortais jamais la veille d’un match. Du jeudi au dimanche, je ne touchais pas à l’alcool, j’étais assez discipliné pendant la saison. Mais la saison morte était différente ! »
Il a aussi ajusté son entraînement. « Quand j’étais plus jeune, j’ai peut-être fait du surentraînement, je bottais trop de ballons. Plus tard, je comptais mes bottés, je comprenais ce que mon corps pouvait faire. »
Gérer la fin de carrière
Nos deux joueurs estiment donc que leur régime de vie leur a permis d’éviter les blessures. Parish ajoute que la génétique et la chance y sont aussi pour quelque chose. « Au basketball, un simple faux pas et tu te déchires le tendon d’Achille », rappelle-t-il.
Mais il faut bien parler des performances. Andersen n’a pas obtenu de contrat en 2005, mais est revenu en 2006 et 2007. Lors de ces deux saisons, il a réussi 88 % de ses tentatives de placement. Et les contrats ne sont pas garantis dans la NFL, ne l’oublions pas…
Parish a été partant jusqu’à 40 ans, et a conclu sa carrière comme réserviste pendant trois saisons.
Marleau, lui, n’est évidemment plus aussi productif qu’à ses belles années. Mais encore a-t-il fallu que les Sharks lui accordent un contrat l’automne dernier.
« Chaque saison, c’est à recommencer. Personne ne te doit rien, tu dois toujours te prouver et quelqu’un veut voler ton emploi », plaide Andersen.
Il espérait jouer jusqu’à 50 ans, « par défi personnel ». « J’ai essayé de revenir pour une 26e saison, mais physiquement, je n’étais plus capable. »
Le voici détenteur du record depuis 17 ans, sans aucune réelle menace en vue pour le dépasser. Robert Parish détient le record depuis 25 ans et l’aura pendant au moins quatre autres années (voir autre onglet). Et Patrick Marleau battra lundi un record établi sous la présidence de John F. Kennedy.
Avec les salaires d’aujourd’hui, les joueurs ne sont pas prêts à jouer 25 ans. J’ai 30 ou 40 millions de dollars en banque, pourquoi continuer ? Moi, je ne le faisais pas par besoin. Je jouais parce que j’aimais ça, et j’étais capable de le faire.
Morten Andersen, ancien botteur de la NFL
« Rester en forme, se préparer pour une saison, ça demande beaucoup de travail et c’est souvent pour ça que des joueurs prennent leur retraite plus tôt. Je ne me suis jamais permis de perdre ma forme, surtout à mes quatre dernières saisons, ajoute Parish.
« Mais ça revient à l’amour du sport. C’est pourquoi Vince Carter et Tom Brady ont joué aussi longtemps ; ils adorent leur sport. »
Qui sont-ils ?
Morten Andersen
Né au Danemark, le botteur a d’abord fait sa marque chez les Saints de La Nouvelle-Orléans de 1982 à 1994. Il a aussi porté les couleurs des Falcons, des Giants, des Chiefs et des Vikings. Il a joué jusqu’en 2007 et a été admis au Temple de la renommée 10 ans plus tard. L’homme de 60 ans s’entraîne encore cinq fois par semaine, et il coanime le balado de football Great Dane Nation en compagnie de Tom Carroll.
Robert Parish
Huitième choix au repêchage en 1976, Parish a passé les quatre premières saisons de sa carrière avec les Warriors de Golden State avant d’être échangé aux Celtics de Boston, où il s’est établi comme un des meilleurs centres de la NBA. Il a joué à Boston de 1980 à 1994, a ensuite disputé deux saisons chez les Hornets de Charlotte, et une dernière chez les Bulls de Chicago. Parish écoule sa retraite en Caroline du Nord et participe à des évènements promotionnels pour la NBA.
Un record établi… avec les Expos !
Dans les autres ligues aussi, les records de longévité datent de longtemps
Pete Rose
Record : 3562 matchs
Ancienne marque : 3308 matchs (Carl Yastrzemski)
Détenteur du record depuis le 29 juin 1984
Meneur chez les joueurs actifs : Albert Pujols
Nombre de matchs : 2872 (au 16 avril 2021)
Âge : 41 ans
La Presse — en la personne de Richard Hétu — était sur place quand Pete Rose a disputé le 3309e match de sa carrière, pour battre le tout jeune record de Carl Yastrzemski, qui avait pris sa retraite quelques mois plus tôt. La raison : Rose jouait alors pour les Expos ! Heureux hasard, les Expos étaient à Cincinnati, là où Rose a joué 2722 de ses 3562 matchs dans les majeures. On ne pourra pas dire qu’il n’a rien accompli pendant son passage éclair de 95 matchs avec les Expos !
NFL : Morten Andersen
Record : 382 matchs
Ancienne marque : 340 matchs (George Blanda)
Détenteur du record depuis le 26 septembre 2004
Meneur chez les joueurs actifs : Adam Vinatieri
Nombre de matchs : 365
Âge : 48 ans
Vinatieri n’a pas joué en 2020, mais n’exclut pas un retour en 2021 et n’a jamais annoncé sa retraite. Cela dit, même s’il devait jouer les 17 matchs de son éventuelle équipe en 2021, Vinatieri finirait la saison à égalité avec Andersen, et devrait revenir en 2022 pour au moins un match. Tom Brady est quant à lui à 301 matchs, et donc à 5 saisons de pouvoir établir le record. Bref, la marque d’Andersen semble en sécurité ! Reste à voir s’il la gardera aussi longtemps que son prédécesseur, George Blanda, qui a pris sa retraite en 1975.
NBA : Robert Parish
Record : 1611 matchs
Ancienne marque : 1560 matchs (Kareem Abdul-Jabbar)
Détenteur du record depuis le 6 avril 1996
Meneur chez les joueurs actifs : LeBron James
Nombre de matchs : 1306
Âge : 36 ans
Kareem Abdul-Jabbar a détenu le record pendant sept saisons, mais Parish, lui, semble bien en selle. LeBron James peut toujours le rattraper dans quelques années, mais il a subi cette saison une deuxième blessure importante en trois ans. James aura besoin d’encore quatre saisons complètes pour rattraper la légende des Celtics.
Ils ont menacé le record de Gordie Howe
Une pandémie, une saison annulée en raison d’un lock-out, une autre écourtée pour les mêmes raisons… Patrick Marleau a peut-être évité les blessures majeures, mais il a eu sa part d’obstacles dans sa quête du record de longévité de la Ligue nationale. De tels obstacles ont d’ailleurs privé d’autres joueurs du même record.
Mark Messier, 1756 matchs
En septembre 2005, à 11 matchs du record de Gordie Howe, Messier annonce sa retraite. La saison 2004-2005 a été perdue en raison d’un arrêt de travail, mais déjà, son dernier match de la campagne 2003-2004 ressemblait à des adieux, les partisans des Rangers lui ayant réservé une ovation au terme de la rencontre. Messier est arrivé dans la LNH à 18 ans, et si on exclut cette saison perdue, il a connu un seul arrêt de travail, soit celui de 1994-1995, qui a mené à une saison de 48 matchs. Il a aussi subi quelques blessures, dont une à une épaule en 2001-2002, qui lui a fait rater la moitié de la saison.
Jaromir Jagr, 1733 matchs
Le pauvre a tout vécu : les saisons écourtées de 1995 et 2013, ainsi que la saison annulée de 2004-2005. À cela s’ajoute son exil de trois saisons en Russie, de 2008 à 2011. Il est revenu dans la LNH à 39 ans et avait 460 autres matchs dans le corps. Un véritable phénomène !
Ron Francis, 1731 matchs
Francis a vécu le conflit de travail de 1994-1995. Et comme Messier, le lock-out de 2004-2005 a marqué la fin de sa carrière. Il aurait vraisemblablement pu continuer à la suite de ses performances en 2003-2004, saison qu’il a conclue avec 40 points en 80 matchs. Après avoir été limité à 53 matchs lors de sa cinquième saison, il jouera 69 matchs ou plus dans 17 de ses 18 dernières saisons, la seule exception étant la saison 1995 écourtée.
Et Thornton ?
Le vieux complice de Marleau, Joe Thornton, est le joueur actif le plus près, mais il demeure à une centaine de matchs de retard. C’est donc dire que Thornton devra jouer deux autres saisons après la retraite de Marleau afin d’espérer le dépasser. Thornton aura 42 ans cet été. Suivent ensuite, parmi les joueurs actifs, Zdeno Chara et… Eric Staal !