Le rêve de tous les lutteurs de la planète, c’est de se retrouver sur le ring en même temps que Hulk Hogan. C’est le plus grand de notre sport. Une icône.

Seulement de se retrouver au même gala que lui, c’était un privilège.

Les lutteurs, en arrivant à l’aréna le soir, vont tous un par un prendre connaissance de la carte pour savoir si Hulk est en ville en même temps qu’eux. S’il n’était pas là, c’était des foules entre 5000 et 10 000 personnes qui nous attendaient. S’il était là, on savait que ce serait plein, et que l’ambiance serait électrique.

Après l’avoir côtoyé pendant 10 ans dans les vestiaires, j’ai enfin eu la chance de me battre contre lui, le 11 avril 1997. J’ai été quatre fois champion du monde, c’est pourtant, et de loin, la soirée la plus trippante de ma carrière.

Imaginez : je l’ai même battu !

Revoyez le combat

Les planètes s’alignent

Comment ce scénario invraisemblable a-t-il pu se produire ? Pour créer un moment aussi magique, disons qu’il faut que les planètes s’alignent.

À cette époque, mon association avec la WWF était terminée. Il y avait de nouveaux patrons au sein de la Fédération, avec des idées nouvelles et surtout, des amis à mettre en vedette. Logiquement, il y en a qui ont écopé. Pierre-Carl Ouellette et moi, on a fait partie de ce groupe. Pendant six mois, soir après soir, on se faisait battre par toutes les équipes. Même celles sans aucune notoriété. C’était dur sur le moral, mais on s’était fait dire que ça faisait partie du plan de nous faire revenir en force à WrestleMania 10. Il faut croire que le plan a changé, car on a finalement été à nouveau battus ce soir-là, une très grande déception pour nous (The Quebecers ont toutefois gardé leurs ceintures, car la défaite était par décompte hors du ring).

Ça m’a brisé le cœur. J’ai lâché.

Pierre-Carl a continué, lui, en solo, mais ce fut de courte durée.

On s’est reparlé quelques mois plus tard. Il y avait une occasion de se joindre à la WCW, dont la tête d’affiche était devenue Hulk. Il y avait possibilité de monter un gala à Montréal, avec un avocat montréalais qui était un de mes grands amis, Morden Cookie Lazarus.

On a donc tenté l’aventure de la WCW, mais là encore, on a été déçus du rôle que nous confiait Eric Bischoff, le metteur en scène de l’organisation. Disons que le courant ne passait pas entre nous. J’avais aussi entendu dire que c’était un peu la même chose avec Hulk.

J’en ai profité pour l’approcher. Je lui ai parlé de notre projet de gala à Montréal, qu’on pouvait attirer un réseau de télévision. Puis je lui ai demandé de m’affronter en finale.

« OK. Let’s do this, brother ! »

Je n’en revenais pas. Je capotais. On a préparé les papiers, on a monté le show. Un gros show. Ric Flair était sur la carte. Dans l’autre finale, Pierre-Carl affrontait The Giant. On a préparé un clip promo à Orlando où Hulk me donnait une solide claque sur la gueule pendant une entrevue à la télé. Il ne m’avait pas manqué, croyez-moi. Mais j’étais content, le clip était réussi !

On a refait ce concept à l’envers, lorsqu’il a débarqué à l’aéroport de Montréal, l’après-midi du gala. Entouré de caméras, j’étais sorti de la limousine venue prendre Hulk et je lui avais remis sa baffe !

Quand je suis revenu dans la limousine, Pierre-Carl pleurait. Il était tellement excité par le stunt qu’il en pleurait ! C’est le chauffeur de limousine qui a interrompu ce moment unique. Le chauffeur de la limousine de Hulk l’a appelé, Hulk voulait me parler : « Tu m’as brisé une dent avec ta claque. Je suis sérieux, tu m’as brisé une dent ! »

Ouf. Son ton était clair, il ne niaisait pas. Étais-je allé trop loin ? Une blague ?

On s’est retrouvés dans le vestiaire du Centre Molson quelques heures plus tard. Tous les autres lutteurs étaient là. Hulk a pris la parole et il m’a demandé quel était mon scénario. Je suis parti à rire, c’était trop beau pour être vrai.

J’étais convaincu qu’il me menait en bateau. Voir si c’était moi qui allais dicter ce qui allait se passer… « Seriously, brother, it’s your show, what do you wanna do ? »

J’étais assommé. Il voulait me laisser gagner devant mes fans !

Je lui alors dit de me brasser, de vraiment me maganer puis à la fin, j’allais le surprendre avec la prise du petit paquet. « Good ! »

Je l’ai laissé monter sur le ring en dernier, par respect. Ma marche au ring ne s’est pas déroulée comme je l’avais anticipé toutefois. Visiblement, il y avait beaucoup de fans de l’État de New York dans les gradins. Et ceux du Québec qui étaient là étaient… des fans de Hulk. Résultat, j’ai été hué sans bon sens. Après coup, tu comprends, mais sur le moment, ce fut tout un choc à encaisser !

Ovation monstre

Hulk a sûrement été surpris lui aussi, il a eu une ovation monstre à sa marche au ring. Je le regardais s’en venir, je me disais qu’il devait regretter de m’avoir concédé la victoire. Et puis je me suis rappelé l’épisode de l’après-midi, et je me suis dit que j’allais me faire démolir !

Effectivement, Hulk ne m’a pas ménagé.

Tu peux lutter avec différents degrés d’intensité.

Ce soir-là, je sentais dans tous ses coups qu’il était stiff ! Je me suis déchiré deux ligaments durant le combat. Plus ça avançait, plus j’avais du mal à tenir le rythme.

Il m’a fait deux fois sa fin fétiche, sa célèbre descente de la jambe. La première fois, il m’a frappé de plein fouet. Un gars de son gabarit, qui saute trois pieds dans les airs, et qui tombe directement sur ta tête, ça te donne un méchant buzz ! Hulk a sûrement senti qu’il avait connecté solide, la deuxième fois, il ne m’a même pas touché. L’adrénaline m’a permis de me rendre jusqu’à la fin où, comme c’était prévu, Hulk s’est laissé surprendre !

J’étais content, évidemment. Mais je ne me suis pas trop éternisé dans le ring pour célébrer, j’étais tellement mal en point !

Au vestiaire, quand tout le monde est parti et que je contemplais mes bosses dans le visage, Hulk est venu me voir pour me saluer.

Je lui ai alors demandé pourquoi il m’avait fait cette faveur. Des lutteurs qui ont battu Hulk Hogan, il n’y en a pas beaucoup ! « La famille Rougeau a fait énormément pour la lutte. Ton père, tes frères, c’est ma façon de vous remercier. » Wow !

Quand Hulk est parti à son tour, Jimmy Hart, qui jouait le rôle de mon gérant, mais qui était le vrai gérant de Hulk, m’a confié que Hulk avait fait ça parce que j’avais gagné son respect en me tenant debout devant le British Bulldog.

Ce gars-là était détesté dans le milieu, il intimidait ses collègues. Il essayait de les mettre dans le trouble. Pour ma part, J’avais mangé toute une volée dans le vestiaire lors d’un show en Floride. Le genre d’épreuve qui marque pour la vie. Ou bien j’arrêtais la lutte, ou bien je me vengeais.

Contrairement à mon frère Raymond et à mon père, je ne suis pas un bagarreur, je me suis toujours vu comme un artiste. Mais cette fois-là, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai fait face, à nouveau dans le vestiaire, une semaine plus tard. J’ai accepté le conseil de mon père : avant d’aller au gala, je me suis arrêté à la banque récupérer un rouleau de 25 cents que j’ai placé dans ma main avant que la bagarre n’éclate ! ! ! ! Dans le milieu, évidemment que ça s’est su que quelqu’un s’était enfin interposé devant le British Bulldog. Ce fut le début de la fin dans son cas… (un épisode de Dark Side of the Ring sera d’ailleurs lancé à la fin du mois sur la carrière du British Bulldog).

Toute une fin de soirée

Donc, c’est probablement la combinaison des deux éléments qui m’a permis de vivre cette soirée de rêve. Elle a toutefois failli se terminer en cauchemar. Quand je suis sorti du stationnement du Centre Molson avec mon auto, les fans de Hulk barraient la route. Je ne sais pas combien ils étaient, mais assis dans l’auto, avec la porte du stationnement fermée derrière moi, j’avais l’impression qu’ils étaient 5000 ! Ils scandaient le nom de leur idole, ils ne me laissaient pas passer.

J’ai eu peur.

J’ai dit à mon ex-femme de verrouiller les portes, puis je suis sorti de l’auto. Les gens ont arrêté de crier. Tout le monde se demandait ce qui allait se passer. Puis j’ai saisi le papier d’un des gars devant moi, et je l’ai signé. Puis j’ai refait la même chose avec le gars d’à côté. Puis un autre. Puis un autre.

En l’espace de quelques minutes, la dynamique a changé. Les gens scandaient mon nom, soudainement. Et on m’a laissé quitter les lieux… Dans l’auto, sur le chemin du retour, disons que mon cœur battait pas mal !

Juste de raconter l’histoire, j’en ai encore des frissons.

J’ai revu Hulk à quelques reprises. Dont une fois il y a deux ans, à son magasin à Orlando. Il y avait toute une file d’attente, je suis allé voir la sécurité pour demander à le voir. L’agent m’a dit d’aller faire la file ! Elle devait avoir un mille de long. Je lui ai dit que je n’avais pas le temps de faire la file, mais que j’aimerais qu’il dise simplement à Hulk que le seul Canadien à l’avoir battu était venu le saluer.

Il m’a regardé, incrédule.

C’est sûr que physiquement, je ne suis pas le plus imposant. Mais bon, il a fini par aller à l’intérieur et quelques minutes plus tard, on m’amenait dans un coin du magasin où Hulk est venu me serrer la pince et faire quelques blagues. On a même filmé un petit clip.

Je n’essaierai pas de vous convaincre que Hulk et moi, nous étions des intimes. En fait, nous n’étions pas amis. Je n’ai jamais soupé avec Hulk. Je n’ai jamais été invité sur son bateau.

Mais je sais que j’ai gagné son respect. Et j’ai une belle victoire pour le prouver !

Il m’a toujours impressionné. Malgré son statut, il était très gentil avec ses collègues. Je ne l’ai jamais vu non plus refuser un autographe. Même dans un aéroport, tout fripé, à 6 h du matin… Tous sports confondus, c’est un grand. Un vrai de vrai.

— Propos recueillis par Steve Turcotte, Le Nouvelliste