Deux mois après l’incendie qui a rasé son condo, la plongeuse Meaghan Benfeito se prépare à renouer avec la compétition dans quelques semaines à la Coupe du monde de Tokyo. En toute sérénité, malgré des moments de tristesse.

Meaghan Benfeito a emménagé à l’Auberge Royal Versailles lundi. Non, ce déménagement n’est pas dû à l’incendie qui a rasé son condo il y a deux mois. Comme ses coéquipiers et ses entraîneurs, elle doit plutôt s’isoler 14 jours dans une chambre en vue d’une compétition.

Heureusement, elle pourra en sortir pour s’entraîner à l’Institut national du sport du Québec, situé à proximité. Le sacrifice en vaut la peine. Cette semi-quarantaine est une initiative de Plongeon Canada pour assurer la santé de ses athlètes et des membres du personnel en prévision de la Coupe du monde de plongeon, qui doit se tenir du 18 au 23 avril au Centre aquatique de Tokyo. L’évènement sera qualificatif pour les Jeux olympiques et servira de générale au comité d’organisation.

Benfeito en sera à sa première compétition depuis l’étape des Séries mondiales de Montréal disputée à la fin de février 2020. Elle avait alors remporté deux médailles d’or, mais raté le pointage qui lui aurait valu une sélection individuelle pour les JO de Tokyo, dont personne ne pouvait soupçonner le report.

« Comme je dis tout le temps, on n’apprend pas quand on gagne, on apprend quand on perd ou qu’on fait de mauvais plongeons », avait-elle conclu, persuadée de pouvoir se reprendre aux deux autres Séries mondiales ou… à la Coupe du monde de Tokyo, elle aussi reprogrammée.

Treize mois plus tard, retour à la case départ, ou presque.

À la différence de ses coéquipiers, Benfeito n’a pas quitté son domicile habituel lundi. Après l’incendie qui a réduit en cendres toutes ses possessions, le 29 janvier, elle vit dans un studio loué avec son amoureux, le footballeur professionnel Alexandre Dupuis.

Deux mois après l’incendie, dont elle s’est enfuie de justesse, elle en porte encore les cicatrices psychologiques.

« Ça va, ça vient, a-t-elle confié au téléphone avant de finaliser ses bagages. Il y a beaucoup de hauts et de bas. Je ne vais pas mentir non plus : “Ah oui, je vais super bien, tout est beau.” »

Il y a des journées où c’est vraiment plus difficile, où je pleure. Il y en a d’autres où je suis super heureuse et que tout va bien. C’est important pour moi de vivre les émotions, de ne pas les cacher et faire semblant.

Meaghan Benfeito

Le blues peut la gagner à tout moment. En pensant à une pièce de vêtement ou à des chaussures qui n’existent plus, par exemple.

« Je m’ennuie de mes choses. Juste être dans ton chez-toi, ton divan, faire tes affaires. Oui, on a un toit au-dessus de nos têtes, mais on n’est quand même pas dans nos affaires. »

Elle prend soin de préciser que les assurances « font tout » pour les aider. Elle insiste sur l’importance de ne pas négliger ces considérations qui peuvent sembler futiles quand la vie suit son cours normal.

« Les assurances s’occuperont de notre logement jusqu’à ce que l’édifice soit complètement reconstruit. Après, on va voir. Ça va dépendre si mon chum part pour sa saison de foot [à Edmonton]. Je retournerais alors chez mes parents. »

La semaine dernière, elle est débarquée chez sa mère en pleurant. Celle-ci lui a rappelé que les biens matériels étaient secondaires.

« Elle m’a dit : “Meg, tu es en santé, tu as une famille qui t’aime.” C’est vrai, les choses, je peux les remplacer. Ma vie, je n’aurais pas pu la remplacer. Je réalise que je suis quand même très chanceuse d’être vivante. Je suis reconnaissante de tout l’amour et le soutien que je reçois de ma famille et de mes amis. »

Elle n’a pas senti le besoin de se tourner vers une aide psychologique professionnelle. Elle a son copain, avec qui elle « forme une équipe » à travers ce drame, et sa « gang de la piscine », qui l’a enveloppée de bienveillance dès le premier jour. « Je peux tous leur parler n’importe quand, et ils me laissent pleurer quand j’en ai besoin. »

De nouvelles médailles

Une éclaircie est survenue il y a quelques semaines quand elle a obtenu la confirmation que trois nouvelles médailles olympiques lui seraient accordées.

« Elles sont en chemin, quelque part. C’est le fun de recevoir des médailles. Non, ce ne seront pas celles que j’ai gagnées, qui m’ont été remises. Quand même, ravoir ces médailles, c’est très important pour moi. C’est vraiment gentil de la part du Comité international olympique et du Comité olympique canadien de faire ça pour les athlètes qui se les font voler ou les ont perdues. »

Physiquement, celle qui a eu 32 ans au début du mois a maintenu le cap. Tout au plus a-t-elle perdu un kilo ou deux dans les semaines qui ont suivi le choc initial.

« Là, ça va super bien. Ça allait aussi très bien quand c’est arrivé. Arturo [Miranda, son entraîneur] est super gentil. Si je ne me sens pas bien, il ne veut pas que j’aille sur le 10 m. Je dois être à 100 % de mes capacités pour y plonger. J’ai pris tout ça comme de l’énergie et de l’adrénaline. Je n’ai pas tout perdu dans ma vie. Je peux quand même faire ce que j’aime le plus, le plongeon. »

Quitte à passer 14 jours à l’hôtel dans sa propre ville. « Ça va être long, mais si c’est ce que ça prend pour recommencer la compétition après un an et demi, on va tous s’y plier ! »

Confiante en vue des JO

PHOTO CHARLY TRIBALLEAU, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les Jeux olympiques de Tokyo devaient avoir lieu en 2020. Ils se dérouleront finalement l'été prochain, du 23 juillet au 8 août.

Meaghan Benfeito n’en doute pas, les Jeux olympiques de Tokyo se tiendront bel et bien du 23 juillet au 8 août. « J’ai vraiment confiance qu’ils auront lieu. Les organisateurs font tout en leur possible pour qu’on ait des Jeux sécuritaires. On aura une meilleure idée de la façon dont ça pourra se dérouler à la Coupe du monde dans deux semaines. » Les athlètes devront maintenir une distance de deux mètres entre eux – un mètre si c’est impossible – et porter un masque à l’intérieur. Des spectateurs pourraient assister à l’évènement, selon les dernières informations, avec interdiction de chanter et d’encourager vocalement. Si les conditions sanitaires mènent à un bannissement complet du public l’été prochain, la plongeuse québécoise est prête à s’adapter. « Je n’y vois aucun problème. On plonge déjà devant des gradins vides à l’entraînement. Je préfère qu’il n’y ait pas de spectateurs que pas de Jeux tout court. »

Sans son amoureux

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D'ALEXANDRE DUPUIS

Alexandre Dupuis

Le comité d’organisation des JO et des Jeux paralympiques a cependant déjà tranché : les spectateurs étrangers seront interdits, une première dans l’histoire. Pour Benfeito, cette décision signifie que ses parents, qui ont pu la suivre sur place en 2008, en 2012 et en 2016, ne pourront y être, tout comme son amoureux, qui espérait assister aux JO pour la première fois. L’an dernier, Alexandre Dupuis avait trouvé un arrangement avec la direction de l’Équipe de football d’Edmonton, son club dans la Ligue canadienne, pour un voyage éclair au Japon en pleine saison. « Il est super déçu. Il voulait être là pour m’encourager. C’est la personne en qui j’ai le plus confiance ; l’avoir avec moi aux Jeux aurait été incroyable. Encore là, on est très conscients que ce n’est pas idéal de voyager et de se mêler à des foules en ce moment. »

Dans le bain

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Meaghan Benfeito et Caeli McKay

Benfeito n’est pas inquiète à l’idée de renouer avec la compétition après une interruption de 14 mois. Elle a participé à deux simulations, dont des championnats nationaux « virtuels » à la mi-mars, où les juges notaient à distance et en direct. Benfeito s’est imposée devant sa partenaire de synchro, Caeli McKay, et Éloïse Bélanger. « Ça nous remet dans le rythme de la compétition avant la Coupe du monde et ça permet de voir où on se situe. » Quelques plongeurs canadiens ont remis cela, jeudi et vendredi, dans le cadre d’un Défi des nations virtuel auquel prenaient part des athlètes de la Grande-Bretagne, de l’Afrique du Sud et de la Jamaïque.

Les enjeux

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Caeli McKay et Meaghan Benfeito

La Coupe du monde de Tokyo revêt un enjeu principal pour Benfeito : assurer la place du Canada au 10 m synchro avec McKay. Le tandem avait terminé quatrième aux Championnats du monde de Gwangju, en juillet 2019, ratant le podium et une qualification par 0,80 point. « On avait fait une mini-erreur. Ça va super bien en ce moment avec Caeli et on a très hâte de partir pour la compétition. » Un autre résultat parmi les quatre premiers garantirait l’un des huit accès à cette épreuve aux JO. Sur le plan individuel, Benfeito, sixième en Corée du Sud, tentera d’atteindre pour une deuxième fois la barre des 375 points, ce qui la classerait d’office dans l’équipe olympique canadienne.