Le dépôt d’une demande d’action collective contre Natation artistique Canada plus tôt ce mois-ci nous a fait replonger dans ce que le sport a de plus laid à offrir. Mais afin d’éviter la répétition de situations comme celle-ci ou l’épisode de l’entraîneur de ski Bertrand Charest au Québec, ou encore du médecin de l’équipe américaine de gymnastique Larry Nassar, certains ont des pistes de solution.

C’est le cas de l’ex-bosseuse Jennifer Heil. La double médaillée olympique vient de terminer un mandat d’un peu plus de quatre ans comme vice-présidente au développement du sport à ViaSports, organisme de la Colombie-Britannique qui vise à offrir un environnement sécuritaire et inclusif aux jeunes athlètes de la province.

Le travail s’annonce toutefois ardu, prévient Heil.

« Il y a un éveil culturel et une prise de conscience qu’on n’en fait pas suffisamment pour protéger les gens vulnérables dans les sports, particulièrement les personnes mineures. Pourtant, les victimes ont fait entendre leur voix et ont recherché une forme de protection depuis des dizaines d’années. Le problème est profondément ancré et je n’ai pas la réponse parfaite pour y mettre fin.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE


Jennifer Heil a remporté la médaille d’argent à l’épreuve des bosses des Jeux olympiques de Vancouver, en 2010.

Un certain nombre de politiques ont été mises en place afin de contrecarrer ces abus, mais sans un appui adéquat du système, il n’y a pas de protection efficace en ce moment.

Jennifer Heil, double médaillée olympique

Chez ViaSports, la prémisse a été de découvrir quel est l’écart entre les politiques et la protection qu’elles procurent.

« Nous avons beaucoup appris, particulièrement sur le coût humain de nos responsables, qui tentaient de faire les bonnes choses, mais qui ne pouvaient y arriver en raison du système, qui n’est pas fait pour maintenir les sanctions, coordonner le tout entre les instances et les provinces, etc., indique Heil. Même dans les sports en mesure de mener des procédures, il n’y a pas suffisamment de ressources pour s’assurer que les sanctions sont appliquées.

« Ce que nous avons également constaté, c’est que les clubs locaux ne disposent pas de règles suffisantes. Nous avons discuté avec des victimes et des témoins. La plupart tentent de dénoncer ces gestes depuis des dizaines d’années, mais n’ont pas été capables d’obtenir une sanction. C’est décourageant : ceux qui avaient le pouvoir de régler cette situation les faisaient taire. »

C’est ainsi qu’après des mois de travail, Heil et ViaSports en sont venus à quatre recommandations : la nécessité de créer un code de conduite unique ; la mise en place de procédures centralisées et complètement indépendantes afin de recevoir les plaintes, d’y répondre et de les résoudre ; que ces procédés soient munis de mécanismes de protection pour les victimes ; et finalement, la création d’une banque de données centralisées des sanctions imposées.

« Quand on regarde le cas du ski alpin dans l’affaire Bertrand Charest et plusieurs autres cas qui m’ont été communiqués de façon privée, il est clair que nous n’avons pas de procédures centralisées et indépendantes », poursuit-elle.

Les organisations au sein desquelles il y a des allégations sont celles chargées d’enquêter sur ces cas. Toutes les recherches faites sur le sujet démontrent que ça ne peut pas fonctionner.

Jennifer Heil, double médaillée olympique

La notion d’indépendance doit également être clairement établie.

« Selon moi, si un organisme paie pour une enquête, il ne s’agit pas d’une enquête indépendante. Les gens qui en seront chargés se rapporteront aux gens qui les ont embauchés et ces derniers fixeront les paramètres de l’enquête. Ça doit être complètement retiré [des mains des organismes]. »

Sport’Aide

Les propos de Heil trouvent écho au Québec, où Sport’Aide tente officiellement de répondre aux solutions mises de l’avant en Colombie-Britannique depuis mai 2018 – c’est de cet organisme qu’elle parle quand elle dit que le Québec semble vouloir miser sur son propre programme.

Mais ce n’est pas que Sport’Aide soit contre l’idée de travailler de concert avec ses homologues provinciaux ou fédéral s’ils devaient voir le jour, comme l’explique son directeur général, Sylvain Croteau.

« Ça pourrait être intéressant de regrouper ces organismes, mais nous aurons tout un défi de tous les arrimer, souligne Croteau. Je ne veux pas faire de politique, mais nous avons un code de conduite, des règles. D’unifier tout ça, alors que le fédéral et les provinces n’ont pas tous les mêmes lois et que les juridictions des provinces leur sont propres, c’est une excellente idée, mais je crois, à court terme du moins, que ce n’est pas réaliste. »

Sinon, Sport’Aide semble répondre à presque toutes les recommandations faites par Heil et ViaSports : les athlètes peuvent joindre l’organisme par téléphone ou en clavardant ; il offre une façon centralisée de venir en aide aux athlètes : et Sport’Aide est complètement indépendant et anonyme, ce qui était très important pour Croteau au moment de présenter son projet aux autorités gouvernementales.

La première chose dont ces gens ont besoin, c’est d’être écoutés, entendus, et c’est ce qu’on fait. Ça leur a demandé de gros efforts avant de se manifester ou de demander de l’aide. Selon ce qu’ils nous expriment comme situation, on les accompagne et les oriente vers des ressources plus pointues.

Sylvain Croteau, DG de Sport’Aide

« Nous avons dans notre équipe quelque 300 experts de différentes sphères – psychologie, psychologie sportive, travail social, criminologie, sexologie – et ils sont là pour recevoir et soutenir des gens. C’est un service qui est gratuit et confidentiel. Quand quelqu’un nous appelle, notre souci, c’est d’accompagner cette personne ; on ne se tourne pas ensuite pour appeler son entraîneur, son club ou ses parents. Pourtant, c’est une crainte que les gens ont quand ils nous contactent.

« Dès le départ, nous avons rencontré les fédérations provinciales et nous leur avons expliqué qu’il était primordial qu’on soit indépendant pour les victimes. Elles l’ont rapidement compris. Il y a une saine distance qui s’est installée entre tout le monde. »

Ces experts ne travaillent pas bénévolement et les besoins sont énormes : qui finance donc pareilles initiatives ?

« Une partie du financement provient du gouvernement, mais mon travail est aussi de le compléter, que ce soit en partenariat avec des organismes privés ou des organisations sportives avec lesquelles on travaille, explique Croteau. La sécurité des athlètes, ça concerne tout le monde. »

Heil est d’accord avec cette approche.

« À mon avis, ce sont les mêmes qui financent le sport présentement qui doivent financer ce système, a-t-elle avancé. Les mêmes qui financent les sports au niveau national devraient financer ce système au niveau national, idem au niveau provincial. »

Heil estime même que les grandes entreprises qui financent le sport amateur pourraient investir dans la protection de ses principaux acteurs.

« Des discussions préliminaires ont eu lieu à cet effet. On ne ferme aucune porte. »

Travail de longue haleine

Surtout que la lutte s’annonce longue et ardue.

« Il y a encore beaucoup de travail à faire, admet Croteau. D’abord, il faut éduquer et sensibiliser de manière globale : on parle du système sportif, pas seulement des entraîneurs. On parle des parents, des administrateurs : le système au complet.

« Je veux bien qu’on nomme des entraîneurs qui ont des pratiques inacceptables, mais ces entraîneurs ont été embauchés par des gens. Ils ont été maintenus dans leurs fonctions par des gens qui sont responsables et imputables des décisions qu’ils prennent. Il y a aussi des parents qui acceptent des comportements comme ça sous prétexte que ça peut mener leur enfant aux Olympiques. Certains m’ont écrit pour me dire qu’on menace le rêve olympique de leur fille qui n’a rien subi !

Il faut éduquer les sportifs eux-mêmes, en bas âge. On en est venus comme athlètes à accepter et à banaliser des comportements [inadéquats].

Sylvain Croteau, DG de Sport’Aide

« Ç’a été très émouvant pour moi de travailler sur ce dossier, ajoute Heil. C’est un privilège que de l’avoir fait, mais en même temps, ç’a été lourd à porter. […] On doit aller jusqu’au bout pour régler ce problème, mais on ne peut pas y aller par à-coups. On doit s’attaquer au problème de front, et c’est très coûteux. Le sport est toutefois reconnu pour donner des services avec des budgets limités, alors je suis convaincue qu’on peut y arriver. Mais ça demande un réel investissement. J’ai confiance qu’on pourra atteindre l’objectif qu’on doit atteindre. Je veux seulement m’assurer qu’on ne coupe pas les coins ronds. »

« Il n’y a pas une victoire, une médaille, qui vaut de mettre en péril la santé physique ou psychologique d’un individu. Les conséquences sont trop importantes », conclut Croteau.