Le monde du sport est truffé d’expressions anglaises. Mais au Québec, la qualité du français des descripteurs de matchs est généralement impeccable, résultat d’une longue tradition alliant rigueur et originalité. Rencontre avec les héritiers de René Lecavalier.

Rendez-vous dans un centre sportif du Québec. Celui de votre choix. Tendez l’oreille. Comptez le nombre d’expressions anglaises que vous entendez.

Le pitcher. Le catcher. Le goaler. Le running back. Le ref. Un offside. Un icing. Une puck. Une curve. Un bunt. Et mon préféré : shoooooooooote ! Après cinq minutes, il vous manquera de doigts et d’orteils pour continuer votre décompte.

Maintenant, allumez la télé. Ou la radio. Trouvez un évènement sportif diffusé en français. Faites le même exercice. Résultat ? Après deux heures, vous n’aurez probablement jamais levé un seul doigt. Car les descripteurs québécois soignent la langue française. Ils la dorlotent. La chouchoutent. L’enrichissent, aussi.

Avec Pierre Houde (RDS, hockey), les wrap around deviennent des tourniquets. « Comme ceux qu’il fallait franchir pour entrer au Forum. » J’aime. Avec Martin McGuire (Cogeco, hockey), les joueurs ne switchent pas de position. Ils permutent. Dans la langue colorée de Frédéric Lord (TVA Sports, soccer), les attaquants « dévissent des tirs ». David Arsenault et Pierre Vercheval (RDS, football), eux, s’amusent à rebaptiser les schémas tactiques. Aux poubelles, le bunch et le stack. Place au delta et au tandem !

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Martin McGuire et Dany Dubé décrivent un match du Canadien sur les ondes de Cogeco, en 2019.

Ils sont les porte-étendards d’une tradition centenaire et mésestimée de notre presse sportive. Celle de la promotion d’une langue riche, imagée et vivante.

* * *

Dès les débuts de la pratique sportive au Québec, à la fin du XIXe siècle, il y a eu un souci de franciser les expressions.

Les premières initiatives vinrent des membres du clergé et de quelques journalistes plus nationalistes que la moyenne. L’abbé Étienne Blanchard, qui écrivait sous un pseudonyme dans La Presse, a ainsi traduit des dizaines de termes de la balle au camp (baseball) et du hoquet (hockey)*. Puis, en 1935, la Société du parler français au Canada a publié un petit ouvrage fascinant. Un lexique de 16 pages proposant des centaines de mots pour décrire le baseball en français.

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

    IMAGE TIRÉE DU LEXIQUE DE LA SOCIÉTÉ DU PARLER FRANÇAIS AU CANADA

    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

  • Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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    Lexique du jeu de balle aux buts (baseball) de la Société du parler français au Canada, publié en 1935

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Ces travaux ont inspiré une nouvelle génération. Celle de Michel Normandin et René Lecavalier, deux descripteurs sportifs dont les expressions sont encore courantes, des décennies plus tard. D’ailleurs, Pierre Houde a emprunté son célèbre « Et le buuuuuuut ! » à René Lecavalier.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

René Lecavalier et Jean-Maurice Bailly décrivent une partie du Canadien, dans les années 1970.

« Très jeune, me raconte-t-il, j’ai eu la chance de côtoyer des géants. Jacques Proulx. Richard Garneau. Lionel Duval. Jean-Maurice Bailly. René Lecavalier était alors à la fin de sa carrière. Il m’avait confié qu’il regrettait d’avoir popularisé son fameux “Il lance… et compte !”. Avec le recul, disait-il, on peut compter sur un ami, on peut compter jusqu’à 10. Mais on ne peut pas compter des buts. Même s’il était un géant, il remettait sans cesse son travail en question. C’est admirable. C’est pourquoi, dans les dernières années, il a bifurqué vers “Et le but !”, que Richard Garneau et moi avons repris. »

J’ai demandé à Pierre Houde s’il se considérait comme l’héritier de ces pionniers. Il trouve le terme pompeux. Il préfère se définir comme un « porteur du flambeau ».

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Houde

Ce qu’il y avait de merveilleux avec eux, oui, c’était la rigueur de leur vocabulaire. La précision de leurs mots. Mais ils avaient aussi une grande culture. Ils connaissaient bien leur propos. C’est cette tradition que je souhaite perpétuer.

Pierre Houde

C’est drôle. Martin McGuire a choisi exactement les mêmes mots – « perpétuer la tradition » – pour expliquer l’importance de parler un français impeccable lors de la description des matchs de hockey à la radio.

« À la radio, le tempo est plus rapide qu’à la télévision. Mais ce n’est pas une excuse pour relâcher le niveau de français. Au contraire. Pour que tout le monde puisse situer le jeu rapidement, même les néophytes, tu dois être précis. Tu dois utiliser des termes que tous comprendront. J’aime aussi jouer avec la langue. Varier les expressions. Prendre des images d’ailleurs. Dire d’un club qu’il est « chez l’ennemi » plutôt qu’en zone adverse. Ou qu’un défenseur « sonne la charge » lorsqu’il monte la rondelle. Ça met de la couleur. »

* * *

Marc Griffin (RDS, baseball) ne s’en cache pas. Ses premières années comme analyste furent difficiles. Heureusement, confie-t-il, il a eu la chance de croiser Michel Villeneuve et Jacques Doucet, deux descripteurs réputés pour la qualité de leur français.

« Je revenais au Québec après un séjour de 10 ans aux États-Unis. Pour moi, un court bond, c’était un short hop. Un relayeur, un cut-off man. Une souricière, un run-down. Je pensais tout le temps en anglais. C’était épuisant. »

Tous les soirs, pendant des années, Jacques Doucet prenait des notes. « Après chaque match, si j’avais employé un mot anglais ou un anglicisme, il me disait : “Marc, dis ceci plutôt que cela.” J’ai beaucoup appris de lui. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Doucet (33) et Marc Griffin (à droite), avec l’ancien joueur des Expos de Montréal Coco Laboy (39), en 2019

Aujourd’hui, Marc Griffin analyse les parties dans un français impeccable. Avec son collègue Alain Usereau, il a même commencé à franciser toutes les nouvelles formules de statistiques avancées. Un travail qui exige de la rigueur. L’OPS est devenue la MPP (moyenne puissance-présence). Le WHIP, la moyenne de coureurs par manche. « La première saison où nous avons introduit ces expressions, il fallait les expliquer. Plus maintenant. Elles sont devenues courantes. »

Avec le temps, il a aussi développé un sweet spot – pardon, un coup de cœur – pour « le poteau de démarcation ».

« Pourquoi ?

— En anglais, on dit foul line. Comme dans foul ball. Sauf que la balle n’est pas dans le territoire des fausses balles. Elle est bonne. La traduction française est plus précise que le terme original ! »

Hélène Pelletier (RDS, tennis) a connu un parcours semblable à celui de Marc Griffin. Elle aussi a fait le saut dans les médias après avoir vécu en anglais, aux États-Unis.

« Quand je suis revenue au pays, j’avais perdu mes repères. Je parlais même avec un petit accent [rires]. Mais j’étais heureuse de retrouver notre belle langue. J’ai été instruite par les Ursulines. Elles m’ont initiée à la poésie, aux auteurs classiques. Elles m’ont permis d’apprécier la richesse du français. Pour moi, ça a toujours été important. Puis, à l’école des médias, [l’ancien descripteur] Pierre Dufault ne m’a pas lâchée d’un pouce ! »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Hélène Pelletier (à droite)

Au tennis, elle a noté une différence marquée entre les termes employés au Québec et ceux qui sont employés dans les autres pays francophones. « Ça me fait toujours rire quand j’entends les descripteurs dire un break ou un tie-break. Pourtant, un bris d’égalité, ça existe ! »

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À ses débuts comme descripteur de parties de soccer, Frédéric Lord a reçu son lot de critiques. Les téléspectateurs habitués aux matchs de hockey trouvaient qu’il ne décrivait pas assez l’action. Les anglophones, au contraire, lui reprochaient de trop parler. Les Français, eux, étaient habitués à un autre style. « J’y ai beaucoup réfléchi. Un jour, j’ai fait un choix conscient. J’ai décidé de décrire le match en québécois. »

À ne pas confondre avec le joual. Au contraire. La langue de Frédéric Lord est plutôt raffinée.

Décrire en québécois, ça veut dire aller chercher une musicalité qui nous est propre.

Frédéric Lord

Il évite, par exemple, les expressions punchées à l’américaine. « Aux États-Unis, on va souvent entendre un analyste dire d’un joueur : he’s a monster. C’est un monstre. En français, à la télévision, c’est trop fleuri. Ça sonne comme une fausse note. C’est faire du style pour rien. »

En revanche, lorsqu’il décrit l’action, Frédéric Lord s’éclate. Un peu comme Martin McGuire, il a recours à des images fortes. Le gardien « boxe le ballon ». Les attaquants « dévissent un tir ». Des initiatives que d’anciens patrons lui ont reprochées. « J’ai dû faire le tri dans mon champ lexical. Mais j’en ai gardé quelques expressions. Une période, par exemple, plutôt qu’une demie. Les gens me le reprochaient. Pourtant, c’est un mot juste et logique. »

Grand lecteur, il aime puiser son inspiration dans d’autres domaines. Comme le cyclisme. « Je vais dire d’un défenseur qu’il déboule sur le côté, ou d’un milieu de terrain qu’il avale des mètres. C’est gourmand. C’est engagé. Ça me parle ! »

Un autre qui est reconnu pour son originalité, c’est Pierre Vercheval, analyste de football à RDS. Les téléspectateurs adooooooorent ses expressions colorées, qu’il prépare souvent la semaine précédente. Ce n’est pas la seule chose qu’il prépare hors d’ondes. Son collègue David Arsenault et lui ont entrepris la traduction de toutes les formations à l’attaque.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Vercheval (à droite), ici en conversation avec Danny Maciocia, DG des Alouettes de Montréal

« Ce serait vraiment facile pour nous d’utiliser les termes anglais, explique-t-il. Sauf qu’il ne faut pas tomber dans ce piège-là. Il faut éviter la paresse. C’est une question de rigueur, de discipline. Tu sais quel est le plus beau compliment que les gens nous font ? C’est lorsqu’ils nous disent qu’ils ont choisi de nous écouter en français, même si le match est diffusé en anglais. Dans ce temps-là, je me dis qu’on a réussi. Qu’on a fait quelque chose de bien. »

* Pour un complément d’information, je vous suggère Langue de puck – Abécédaire du hockey, de Benoît Melançon (Del Busso Éditeur).

Trouverez-vous le mot juste ?

PHOTO BRAD PENNER, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Comment traduire correctement l’expression walk-off home run ?

Certaines expressions restent difficiles à traduire en français. « Des fois, ça te prend 20 mots en français pour en décrire un en anglais. J’aimerais que ça soit plus court », explique Pierre Vercheval. Trouverez-vous le mot juste ? Si vous avez une suggestion, écrivez-moi à apratt@lapresse.ca.

Box-to-Box

Terme technique, au soccer, pour décrire un milieu de terrain acharné, toujours au cœur de l’action, en attaque comme en défense. « Un joueur surface-à-surface ? Non. C’est laid. Ça ne se dit pas », laisse tomber Frédéric Lord, qui, faute d’avoir trouvé mieux, dit du joueur qu’il « couvre du terrain ».

Closer

Au baseball, c’est le releveur chargé de protéger la victoire lors de la dernière manche. « On peut contourner le problème avec releveur numéro un, ou releveur de fin de match », indique Marc Griffin. Mais c’est faire abstraction de la charge intimidante du mot en anglais.

Passing

Au tennis, un coup puissant, de fond de terrain, dirigé près des lignes de côté pour déjouer un adversaire monté au filet.

Play Action

Au football, une feinte de course du quart-arrière, suivie d’une passe. « On dit une feinte de course-passe, dit Pierre Vercheval. La traduction est correcte. C’est direct. Mais j’aimerais tellement pouvoir dire play action ! »

Spike

Au football, lorsque le quart-arrière lance le ballon au sol pour arrêter le chronomètre. « Projeter au sol, ça fait cul-cul, estime Pierre Vercheval. Alors on a fait un appel à tous. On a eu plein de suggestions de téléspectateurs. Maintenant, on dit que le quart-arrière plante le ballon. »

Taxi Squad

Nouvelle expression, au hockey, pour désigner des joueurs qui ne sont ni dans la Ligue nationale ni dans la Ligue américaine. Quelque part entre les deux. Les journalistes se cassent tous la tête pour trouver une traduction française juste. Martin McGuire y va avec « équipe de réserve ». Le Canadien préfère « escouade de réserve ». Le Droit a aussi proposé « escouade volante ».

Walk-Off Home Run

Au baseball, un circuit qui met fin à une partie. Walk-off implique que c’est fini, qu’on doit maintenant retourner à la maison. « J’aimerais trouver une expression avec le même aspect dramatique », dit Marc Griffin.

WAR

Acronyme qui signifie Wins Above Replacement. C’est une nouvelle valeur statistique qui calcule la contribution d’un joueur de baseball à son équipe, par rapport à un joueur de remplacement. « Notre défi pour cette année, c’est de traduire WAR », indique Marc Griffin. Vos suggestions sont les bienvenues !