Officiellement à la retraite depuis le 31 décembre après avoir achevé son troisième et dernier mandat à l’Agence mondiale antidopage, l’avocat montréalais revient en entrevue avec La Presse sur son passage marquant.

Après plus d’une heure d’entrevue, Richard Pound savait pour qui serait son prochain appel : l’Agence mondiale antidopage (AMA). Pourquoi diable, demandait-il à voix haute, la plus récente décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) sur la Russie n’était-elle pas rendue publique ?

L’avocat montréalais avait sa petite idée. Dans cette décision perçue par certains observateurs comme une défaite de l’AMA, Pound voit plutôt une victoire. Certes, il est déçu de la diminution de la suspension du pays de quatre à deux ans.

« Un jeune de 16 ans prend un stimulant et reçoit une sanction de deux ans, relève-t-il. Voici un pays qui pendant au moins 10 ans – et on sait que ça a duré plus longtemps – subvertit le système sportif en entier, est reconnu coupable, mais n’écope que de deux ans. »

Il juge que cette sanction réduite est « le prix d’une décision unanime » de la part des trois arbitres, dont l’un nommé par la Russie et un autre par l’AMA. « Selon mon expérience, les arbitres oublient souvent qu’ils sont des arbitres et prétendent qu’ils sont des avocats. »

En revanche, à la lecture du document de 186 pages, M. Pound voit une validation totale du travail d’enquête de l’AMA, amorcé en 2016 par son compatriote Richard McLaren, dans la foulée du scandale des Jeux olympiques de Sotchi et les manipulations qui ont suivi. L’Agence antidopage russe a été jugée non conforme.

Si vous regardez bien, le panel, qui incluait un arbitre choisi par la Russie, identifie Vladimir Poutine par son nom comme la personne responsable d’avoir désigné le chef enquêteur qui a été impliqué dans l’altération [des données de laboratoire]. Je pense que c’est une première. Et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles le jugement officiel n’a pas été divulgué !

Richard Pound

« Le problème n’est pas réglé »

Officiellement à la retraite de l’AMA depuis le 31 décembre, l’homme de 78 ans n’a perdu ni sa verve ni sa faculté d’indignation. Cette « retraite », il ne l’a pas choisie. Après trois mandats comme premier président de 1999 à 2007, il vient d’en faire trois autres au Conseil de fondation, le maximum autorisé.

Ces deux décennies de travail à pourchasser les tricheurs ont été soulignées par un communiqué de l’AMA. Le texte était accompagné d’une pluie d’hommages, du président du Comité international olympique (CIO) Thomas Bach à l’ancien maire de Montréal Denis Coderre, de la Dre Christiane Ayotte au premier ministre du Canada Justin Trudeau.

« C’était très gentil et, à ce que je sache, spontané. C’est bien de voir que les gens pensent que tu faisais de ton mieux dans cette situation. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le 29 août 2012, Lance Armstrong est venu courir sur le mont Royal avec des milliers de Montréalais.

M. Pound est plus habitué à recevoir les flèches de ceux qu’il pourfend, comme Lance Armstrong qui l’a déjà appelé pour lui conseiller de se taire. Suspendu à vie, l’ex-cycliste américain a perdu ses sept titres au Tour de France avant de passer aux aveux en 2013.

« Je pense qu’il a été très chanceux et qu’il avait de l’influence politique pour éviter des accusations criminelles. À ce moment-là, il était au sommet du monde. Personne aux États-Unis ne souhaitait le voir accusé au criminel. »

Richard Pound croit que le sport s’est assaini depuis la fondation de l’AMA en 1999.

« Mais le problème n’est pas réglé. L’une des contributions de l’AMA a été de signaler qu’il y avait beaucoup de tricherie dans le sport de haut niveau. Ce n’était jamais reconnu par les fédérations sportives ou n’importe qui. Maintenant, tout le monde sait qu’il y en a beaucoup et ils sont contents qu’une organisation indépendante essaie d’y faire face. C’est une amélioration, mais il y a encore du travail à faire. »

La Russie n’est pas le seul gouvernement qui soutient le dopage systémique, ajoute-t-il. « C’est celui qu’on a pu attraper et sanctionner. »

« J’espérais que le traitement de Johnson enverrait un message… »

À ses yeux, le déni et l’aveuglement volontaire des fédérations internationales ont permis la prolifération de la tricherie. « Quand le dopage a commencé, le sport a manqué la première occasion de vraiment s’y attaquer. »

Le Canada a été l’un des premiers pays à demander à la Fédération internationale d’athlétisme de mettre en place un système de détection dans les années 1980, souligne M. Pound. En vain.

« Cela a mené Charlie Francis, qui était l’entraîneur de Ben Johnson, à dire que si le véritable règlement n’est pas celui écrit sur papier, ils nous disent donc : “Faites ce que vous voulez.” Il a ajouté : “Mon sprinter ne commencera pas un mètre derrière les Russes. Je ferai donc ce qu’ils font.” Il est devenu tellement bon qu’il était connu comme Charlie le chimiste ! »

M. Pound situe d’ailleurs le début de son intérêt pour la lutte antidopage aux Jeux de Séoul en 1988, alors qu’il était vice-président du CIO. Trois jours avant le scandale Johnson, il avait suggéré à son président, Juan Antonio Samaranch, de bannir l’haltérophilie, à l’origine de la majorité des tests positifs.

Plus de 30 ans plus tard, l’haltérophilie est toujours aux Jeux olympiques, mais le sport est menacé d’en disparaître en raison du dopage et aussi des malversations de son plus haut dirigeant, le Hongrois Tamas Ajan, forcé de démissionner l’an dernier après un règne qui remontait à… 1976.

« C’était corrompu du début à la fin. On a été trop laxistes envers eux, même aujourd’hui. La vraie solution est de les retirer du programme jusqu’à ce qu’ils aient fait le ménage à notre satisfaction. C’est la seule façon d’obtenir un changement de comportement institutionnel. »

Il range la boxe et la collusion des juges dans le même panier. Les athlètes honnêtes ? Il leur suggère de faire pression auprès de leur fédération nationale « de voter pour les bonnes personnes au niveau international ».

« Le dépistage, c’est comme Loto-Québec… »

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES REUTERS

Richard Pound

Avec le recul, M. Pound croit que l’affaire Johnson n’a pas eu l’effet escompté parce qu’elle s’est déroulée hors de l’Europe. « Le Mouvement olympique est très eurocentriste, comme vous le savez. Ce n’était qu’en Corée, aux confins de la terre, personne ne s’en souciait vraiment. »

Ce n’est que 10 ans plus tard et avec le scandale de l’équipe Festina au Tour de France que le Comité international olympique (CIO) comprendra la véritable étendue du problème et ses dangers, estime-t-il.

Rapidement, le président Juan Antonio Samaranch a demandé à Pound d’organiser une conférence mondiale sur le dopage, qui aura lieu à Lausanne au début de 1999 et réunira les autorités gouvernementales, sportives, évènementielles, médicales et autres. L’AMA a été créée avant la fin de l’année et a installé ses bureaux à Montréal deux ans plus tard.

L’adoption d’un Code mondial antidopage, sous le chapeau de l’UNESCO, a été l’une des premières grandes réussites de l’agence en 2005. Le système de détection classique a cependant montré ses limites au fil du temps.

Ultimement, le dépistage repose sur le fait d’être à la bonne place au bon moment et de trouver un athlète qui est au milieu d’un programme de dopage. C’est comme Loto-Québec. Les chances de gagner ne sont pas élevées. Ce qui a vraiment changé la donne est la capacité d’enquêter et de compter sur des lanceurs d’alerte.

Richard Pound

La possibilité de revenir en arrière de 10 ans pour tester des échantillons congelés avec des outils plus sophistiqués représente également une arme de dissuasion puissante, selon Pound.

« C’est presque plus dévastateur de perdre ta médaille 10 ans plus tard, quand tu es marié, que tu as des enfants et que tu vis dans la communauté. Finalement, tu es révélé comme un escroc. Si ça arrive le lendemain de ton épreuve, c’est dommage, tu t’es fait prendre, mais cela est derrière toi à partir de là. »

Faute de réelle volonté des différentes parties, en particulier des fédérations internationales, l’AMA a mis beaucoup plus de temps à démontrer son efficacité que son ex-président l’aurait souhaité.

Le pouvoir de mener ses propres enquêtes, de proposer des sanctions et d’en saisir directement le TAS en cas de contestation, ajouté au Code en 2015, a été un énorme progrès.

Pound a dirigé une première commission indépendante sur l’athlétisme russe, suivie de l’enquête aux conclusions quasi surréalistes du professeur McLaren sur Sotchi. Des agents secrets, soutenus par l’État, s’étaient cachés dans le laboratoire pour subtiliser les fioles d’urine en pleine nuit et les trafiquer.

« Loin d’être suffisant »

Depuis 2018, le budget global de l’AMA a considérablement augmenté pour atteindre 43 millions US cette année (près de 55 millions CAN).

« C’est mieux que 20 millions, mais nos partenaires veulent qu’on en fasse toujours plus et plus. Ils ne sont pas prêts à payer. Ça a toujours été un problème. Quand j’étais président au début, je me souviens d’avoir dit que nos directeurs n’avaient pas la bonne approche. Dans ces circonstances, une bonne gestion financière n’est pas de diminuer le budget, mais de l’augmenter. Ils ne pouvaient comprendre cela ! Quand on y pense, 40 millions pour couvrir, disons, 40 sports et 206 pays, c’est comme 50 000 $ par année pour chaque pays. C’est loin d’être suffisant. »

M. Pound fonde beaucoup d’espoirs sur le nouveau président de l’AMA, Witold Banka, en poste depuis le 1er janvier 2020. Ex-coureur de 400 mètres, le Polonais de 36 ans est un ancien ministre des Sports et du Tourisme.

« Il est jeune et ambitieux. Il a une expérience personnelle dans le sport de haut niveau en athlétisme. Il veut laisser sa marque. J’ai toujours secrètement pensé que pour être le plus efficace, l’AMA devait être dirigée par un représentant du mouvement sportif. Il est peut-être une exception. Tout ce qu’il a fait jusqu’ici indique qu’il comprend les problèmes et le besoin d’impliquer davantage les gouvernements. »

Le nouveau retraité ne sera jamais bien loin pour l’appuyer. D’ailleurs, le lendemain de l’entrevue, l’AMA et le TAS publiaient les 186 pages de la sentence motivée au sujet de la Russie.

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