Dans le froid d’octobre, une vague de chaleur émanait pourtant du terrain Vincent d’Indy, à Montréal, dimanche matin.

Plusieurs dizaines de personnes étaient réunies pour accueillir et applaudir Félix Jasmin, Meg Flynn et leurs trois enfants, qui terminaient, canot sur leurs épaules, un relais de 18 jours et 740 km au profit de la recherche sur la sclérose en plaques.

Félix Jasmin et sa famille en auront inspiré plus d’un, ces dernières semaines. Les 544 000 $ de dons amassés en font foi.

« Je me sens heureux, fier et vraiment aimé », laisse entendre le père de famille en entrevue avec La Presse, entouré des siens sur le terrain de football.

« Ç’a été 18 jours d’amour, d’amitié et de moments super intenses. »

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Quand il a appris qu’il était atteint de la sclérose en plaques, en 2019, Félix Jasmin a décidé de lancer Le Grand Portage, une initiative pour amasser des dons au profit de la recherche sur la maladie. Le nom fait référence à ses années passées aux Taylor Statten Camps, en Ontario, il y a de cela plusieurs années. C’est là qu’il a rencontré sa femme pour la première fois. Là-bas, ils ont complété de longues expéditions en canot. Une de ces expéditions consistait en un Grand Portage d’une durée de 13 kilomètres.

L’hiver dernier, M. Jasmin a décidé de contacter tous ses amis du Québec et de l’Ontario afin de leur parler de son idée : relayer, avec leur aide, un canot de Toronto à Montréal. Plusieurs dizaines d’entre eux ont embarqué dans le projet.

« L’appellation du Grand Portage, c’est un clin d’œil à ce long chemin que j’ai eu à faire pour avoir mon diagnostic, explique-t-il. Le canot, ça représente le fardeau de vivre avec la maladie. Mon souhait, c’était de partager ce poids-là avec des centaines d’amis et ç’a été un succès. »

Chaque matin, du 30 septembre au 17 octobre, Félix Jasmin et sa femme portaient le canot sur leurs épaules pendant 13 km. Une équipe prenait ensuite le relais pour 13 autres kilomètres, et ainsi de suite jusqu’en fin de journée. Le canot a parcouru 65 km par jour.

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Même le premier ministre du Canada s’est joint à la famille, un matin. « Justin Trudeau était un moniteur au camp d’été où j’allais, en 1990, évoque M. Jasmin. […] Ça s’est super bien passé, on a parlé des années passées dans le parc Algonquin. »

Pendant notre entrevue au centre du terrain de football, M. Jasmin ne cesse de se faire interpeller. Les félicitations et les accolades sont nombreuses.

« C’était inspirant, Félix, bravo ! », lance une dame. « Je n’en reviens pas que vous ayez fait ça », ajoute une autre.

« Moi non plus, je n’en reviens pas ! », répond Félix en souriant.

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21 octobre 2019

En 2015, Félix Jasmin, jeune papa de trois enfants de 1 an, 3 ans et 5 ans à l’époque, commence à ressentir des engourdissements dans une jambe. Inquiet, il consulte des médecins en neurologie, mais « tout est correct ».

Le matin du 14 février 2016, il perd pied dans les marches. « C’était comme si ma jambe ne me supportait plus, se souvient-il. J’ai essayé de jouer au hockey, je n’étais pas capable de patiner, ma jambe ne suivait pas. »

Dans les semaines qui suivent, M. Jasmin passe une batterie de tests et d’examens. Mais, cette fois encore, les médecins n’arrivent pas à mettre le doigt sur le problème.

« Je commençais à avoir de l’angoisse, je me disais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. J’ai fait des démarches avec une psychiatre parce que j’étais ouvert à l’idée que ça pouvait être psychosomatique. »

En 2017, des problèmes urinaires se manifestent. Puis, en 2019, il perd partiellement la vue de l’œil droit. « Là, j’ai fait une troisième imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau, et ils ont vu les lésions. »

M. Jasmin reçoit son diagnostic de sclérose en plaques le 21 octobre 2019. Il sait ce que c’est ; sa sœur Mélanie en est atteinte depuis 23 ans.

Au départ, c’est venu un peu comme un soulagement d’avoir le diagnostic parce que je pensais que j’étais fou.

Félix Jasmin

La rage, la frustration et la peur se sont ensuite succédées avant de se transformer en motivation. Dans les mois qui ont suivi, le couple a mis sur pied Le Grand Portage.

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Pour Béatrice, Abbey et Charlie

La première année, en 2020, la famille a invité ceux qui le souhaitaient à relever un défi sportif pour contribuer à leur façon à la collecte de fonds. Pas moins de 375 000 $ ont été amassés, ce qui dépassait largement l’objectif de 50 000 $.

Cette année, comme on le disait, c’est plus d’un demi-million qui sera remis aux Drs Jack Antel (McGill) et Alexandre Prat (CHUM) pour financer leurs projets de recherche conjoints. Il leur parle d’ailleurs tous les mois.

« Avec l’Université de Montréal, ils ont réussi à me garantir que 100 % des dons iraient à la recherche. Il y a zéro frais d’administration », assure Félix Jasmin.

Derrière nous sur le terrain Vincent d’Indy, une dizaine d’enfants s’amusent. Du lot, Béatrice, Abbey et Charlie, les enfants de Félix et Meg. Le Grand Portage, c’est un peu, beaucoup même, pour eux aussi.

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« Il y a beaucoup de médicaments qui retardent la progression, mais on est loin de la cure. Je ne pense pas que je pourrai en bénéficier, mais si mes enfants ou leurs amis ont [la sclérose en plaques], mon rêve, ce serait que ça se guérisse. »

Depuis 2019, la condition de M. Jasmin est stable. Il n’a pas eu d’autres manifestations de la maladie et il ignore s’il en aura d’autres. Sa sœur, par exemple, n’a eu qu’une crise dans sa vie.

Grand sportif, l’homme de 43 ans bouge le plus possible. Au quotidien, il tente de vivre intensément dans le moment présent.

Si ma condition évolue, [mes enfants] vont pouvoir se dire qu’on a essayé de faire quelque chose.

Félix Jasmin

« La leçon que j’aimerais leur donner [avec Le Grand Portage], c’est de prendre soin de leurs amitiés, de les cultiver. Les gens vont être là pour vous quand vous en aurez besoin et vous devez être là pour eux quand ils en auront besoin. »

« Je suis fier », conclut-il en référence à tout ce que sa famille et lui ont accompli.

Rendez-vous dans un an pour un autre Grand Portage.