L’émotion virevolte, la foi vacille, l’espoir s’amenuise. Le Canadien a perdu contre les Maple Leafs. Le Canadien n’a pas que perdu ; le Canadien s’est fait planter. On regarde vers les arbitres, on vise l’indiscipline, on cherche le coupable. Yves et Léa vivent les séries, dans tous ses bouleversements. Troisième partie de leur correspondance, sur fond bleu-blanc-rouge.

Les lilas

Chère patriote,

Je voudrais d’abord te présenter mes excuses. C’était une très mauvaise idée de ne pas coucher tes gens de bonne heure. En deuxième, le Club n’était pas un bel exemple pour la jeunesse de la Nation. Infraction après infraction. Chialage contre les arbitres. Tout n’était qu’indiscipline et irrespect de la règle de droit, Léa.

Même le p’tit Kotkaniemi, avec sa face à se faire double-carter à la SAQ et à avoir un rabais aux glissades d’eau, bébé KK qui casse un bâton sur un Toronto !

Tu sais combien ça coûte, un bâton comme ça ? ? Quand mon plus vieux s’est mis à jouer « dans le civil », le Sherwood 5030 en bois était déjà vendu comme une relique pour baby-boomers nostalgiques – ben, pour baby-boomers. J’ai dû acheter ces nouveaux trucs en carbone avec une courbe « signée » d’un joueur vedette.

Tu sais c’était la courbe de qui ? Corey Perry. Mon fils est parti en appartement, il a eu le temps de déménager deux fois, mais Corey Perry joue encore, et le v’là dans le Club à part ça.

Profite bien de tes soirées du hockey, Léa ; un jour tu fais la police avec des petits amateurs de hockey en pyjama, le lendemain, tu es en train de conduire un Econoline avec des meubles usagés placés tout croche pour les déménager.

Au moins, y a Perry, qui joue pour nous faire croire que le temps est immobile.

En tout cas, qu’est-ce qu’on disait ? Ah oui, KK.

Oui, oui, je sais, on a tous un jour ou l’autre eu envie de péter un bâton de hockey sur un Toronto. Mais les anthropologues te le diront : l’espèce n’aurait jamais survécu si on n’avait pas appris à ne pas faire pour de vrai toutes, toutes, toutes les choses qu’on veut faire comme boire à même le carton de lait ou lécher son assiette.

Le plus nul de tout ça, à part nos prédictions (on est 1-1, toi et moi, pour la nullité prédictive), c’est les empoignades poches à la fin de la partie. Et l’inévitable commentaire justificatif de ces maximeberniaiseries : « les joueurs envoient un message à l’adversaire pour la prochaine partie ».

Quel message, au juste ? Comment comprendre ce que signifie exactement une échauffourée ?

Eh bien moi, qui m’intéresse de près à ce phénomène, je suis maintenant capable de lire dans les messages de joueurs de hockey en fin de match.

Et voici ce que les gars du Club ont dit aux Toronto avec leurs poings : « Il y aura des travaux sur l’échangeur Turcot et sur l’avenue du Parc tout le week-end », et ce deuxième, plus énigmatique : « Limonade : 25 cents. »

Je crois que ça annonce le retour de celui dont tu as dit qu’il avait l’air d’en vendre dans la rue, oui madame, Cole Caufield lui-même.

Je n’attends rien de fulgurant de tous les changements de personnel, de trio ou de plan de match Ford. Les Toronto sont trop forts, trop vites, trop beaux pour nous.

Mais au moins, ça changera le mâle de place, comme on dit au Zoo de Granby près de l’enclos des gorilles. Ça fera autre chose à regarder.

Profite de ta course pour prendre de grandes poffes de lilas, ils sont dans toute leur gloire, et je ne suis pas bien sûr de ce qui va durer le plus longtemps : les séries du Club ou ces effluves enivrants comme un baume sur la ville. Une ville avec des yeux de gorille derrière une vitre, qui rêve de sortir de l’enclos, tu trouves pas ?

Bon match.

Canadien… en 5 ?

Ç’a mal été, Yves. Ça s’est pas bien passé. J’avais gardé mes gars pour la troisième période, la petite était déjà couchée. Mais ça a foiré. Mon gars numéro 2, celui qui a 9 ans et comprend le sport (même si je jure que je l’ai fait selon les mêmes règles que les deux autres), était vraiment ébranlé par la défaite. Il était tellement fâché, il voulait prendre pour les Leafs ! Le plus grand, qui a 11 ans, regardait juste pour ne pas se coucher. Il passait sa vie à vouloir parler à son petit frère d’autre chose. Ce qui fâchait encore plus le petit, évidemment.

Mais que veux-tu, c’est ça, le hockey. Parfois on gagne, parfois on perd. Faut dire qu’on préfère quand on gagne. C’est moi ou le hockey des séries, c’est beaucoup plus rapide que le hockey normal ? On dirait la fin des tableaux dans Mario Bros., quand le Nintendo accélère la musique pour te dire d’augmenter ta cadence. Là, c’est sérieux si tu ne veux pas perdre ! C’est le fun à voir.

Je me sentais mal pour Carey Price par contre. On aurait dit une mère de famille qui essaie de tout faire, mais crime que les enfants s’aident pas. Sais-tu aussi ce qui nous aidait pas ? Les arbitres. Ils étaient contre nous ou quoi ? Normalement, j’irais pas là. J’ai pas de preuve, j’essaierais de croire à l’impartialité. Je chercherais encore et toujours la nuance. Mais tu te souviens ce que j’ai dit ? En sport, ne demandez pas mon intelligence, je vais pencher du bord de ma colère. Le sport, ça permet d’être délicieusement peu objective.

Donc, d’après moi, il y a complot. Tous les arbitres avant le match se sont dit : « OK, les gars, vous avez vos chandails lignés noir et blanc comme si on était les Dalton en prison ? Aujourd’hui, notre but, c’est de faire fâcher le Canadien de Montréal, hahaha ! » Je suis sûre qu’ils ont ri méchamment dans notre dos. Pire, si je voulais, j’irais même empoisonner la sauce et je dirais que c’est parce qu’on est l’équipe From Couébec. J’irais saupoudrer du lac Meech, du love-in de 1995, je pourrais remonter jusqu’aux plaines d’Abraham ! Dire qu’au fond, les arbitres étaient des descendants de James Wolfe !

Mais après, je me souviendrais qu’on est en 2021. Que je suis juste fâchée qu’on ait perdu et que je cherche à passer ma frustration dans ce que j’attrape. C’est pas facile de ne pas faire ça dans la vie. Combien de fois on fait payer celui qui n’est pas responsable ? On n’est pas bons à reconnaître et à exprimer ce qui fait mal. C’est bien plus facile de dire : « Mautadine d’ost… de tab.. d’arbitre… de cal… de mar… » que de hurler : « Je suis en train de souffrir, car mon équipe perd et ça me fait mal ! » T’iras bêler ça dans les gradins au Centre Bell, comme si t’étais dans le bureau de Louise Sigouin*…

Ça se peut qu’on perde, Yves. Encore. Le hockey, c’est comme la vie, ça finit généralement mal. Est-ce une raison pour ne pas vivre ? Bien sûr que non ! Alors, je vais continuer à rire quand mon mari peste en deux langues (peut-être trois, si on compte celle d’église), à consoler mon fils qui retire son chandail du CH en 2période, je vais laisser les séries m’imprégner de leur ambiance et je vais dire comme le général Montcalm avant de mourir sur les Plaines : « OK, on a perdu cette bataille, l’Union Jack flotte sur la ville, mais vous verrez, dans 300 ans, on parlera encore français à Québec ! Canadien en 5 ! » Je paraphrase.

* Demande à Hugo Dumas, il va t’expliquer.