Une autre poursuite. Encore des coachs abusifs. C’est une sorte d’épidémie…

Les cas d’entraîneurs tyranniques dans certains sports de haut niveau sont si nombreux, c’est à se demander si l’abus n’est pas inscrit dans la discipline elle-même.

Pensez un peu à ce qui nous fait faire « oh ! » et « ahhhh ! » aux Jeux olympiques. Pensez aux mouvements surhumains. Pensez à ce qu’il a fallu pour amener ces corps à ce niveau de perfection…

Même en le faisant gentiment, n’est-ce pas en soi abusif de faire faire sept heures d’entraînement hyper rigoureux en piscine à des gamines ? Que faut-il infliger à des muscles, des tendons et des os de jeune fille pour produire ces mouvements à la fois graciles et puissants ? Des prouesses semblant défier tant la gravité que la morphologie humaine ?

Le problème, voyez-vous, c’est que si je réponds « oui » à cette question, si je dis que certains sports ont dans leur ADN la nécessité d’une forme profonde d’abus, je me trouve à justifier d’avance toutes les saloperies de tous les entraîneurs. Je me trouve à nier toutes les humiliations, les blessures, tous les traumatismes de dizaines, de centaines, de milliers d’athlètes.

Au fond, je me trouve à faire exactement ce que fait Natation artistique Canada, ou ce qu’ont fait des fédérations de gymnastique ou des clubs de toute sorte ici, aux États-Unis, en Europe… partout, partout, partout.

« C’est le prix à payer pour des médailles ! Personne ne vous a forcées à vous inscrire… Les Chinoises, elles, pendant ce temps-là, elles travaillent… »

L’action collective déposée mardi contre Natation artistique Canada détaille trop d’évènements abusifs pour qu’on se contente de balayer l’affaire d’un « Que voulez-vous, c’est ça, le sport de haut niveau ! ».

Non, ça n’a pas à être ça.

Ce n’est pas forcer une athlète à participer à une compétition trois jours après une commotion cérébrale. Ce n’est pas nier les blessures. Ce n’est pas humilier une fille devant tout le monde. Ce n’est pas ouvrir une usine d’anorexie où chaque demi-kilo est puni par un entraînement supplémentaire.

Ce qui est troublant, dans cette affaire, c’est la somme des témoignages et l’espèce de tradition, qui se transmet d’entraîneur en entraîneur — quatre sont visés.

Mais ce n’est que la répétition d’un modèle olympique hélas bien documenté.

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Deux ans avant les Jeux olympiques de Los Angeles, les Américains voulaient rehausser leur programme de gymnastique. Tous les pays hôtes de Jeux déploient des efforts et des moyens exceptionnels pour bien paraître — et peut-être aussi pour justifier par des médailles les sommes pharaoniques englouties.

La dernière médaille des États-Unis en gymnastique remontait à 1948. Qui de mieux pour mener l’équipe au podium que l’entraîneur de la reine des Jeux de Montréal, Nadia Comăneci ? Béla Károlyi et sa femme, Márta, sont donc débarqués avec leurs méthodes d’extrême contrôle du poids, de retard de la puberté, d’abus physiques — certaines ont subi de multiples fractures, mais devaient s’entraîner malgré tout.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

La gymnaste américaine Kim Zmeskal et l’entraîneur roumain Béla Károlyi en 1990

Larry Nassar a été le médecin de l’équipe nationale pendant une vingtaine des années du règne brutal des Károlyi. Il a agressé sexuellement plus de 200 — deux cents — athlètes-enfants. Il a fait face à trois procès, au terme desquels il a été condamné à l’emprisonnement à plus d’une vie. C’est une tout autre histoire, me direz-vous. Mais pas totalement.

« Nassar était le seul adulte gentil à USA Gymnastics », a dit une de ses victimes, pour expliquer comment le prédateur s’y prenait.

Sous les Károlyi, les États-Unis ont récolté 41 médailles, dont 13 d’or.

Ils ont livré ce qu’on leur avait commandé, qu’importe si le style était un peu rustaud, que voulez-vous, on ne gagne pas des médailles en pleurnichant sur un matelas, pas vrai ?

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Mardi, l’ancienne médaillée d’or Sylvie Fréchette a dit que dans les années 1980, alors qu’elle se dirigeait vers l’équipe nationale, on considérait comme « normales » plusieurs pratiques abusives. Tout le milieu les acceptait, elle la première. Elle se reproche même d’avoir gardé trop longtemps le silence.

Est-ce vraiment mieux aujourd’hui ? Peut-être dans les clubs locaux. Mais en montant dans la pyramide, celles qui atteignent le niveau national font face à la même culture atteinte d’un « cancer », selon la championne olympique. Certains des faits reprochés se sont déroulés l’an dernier. CBC et Radio-Canada en ont fait état l’été dernier. Une enquête interne a eu lieu. Conclusion en janvier : il n’y a pas vraiment de preuve d’abus. L’entraîneur-chef peut garder son poste.

Il y a deux semaines, une vingtaine de gymnastes britanniques ont annoncé qu’elles allaient poursuivre leur fédération pour « maltraitance ». Les faits reprochés sont essentiellement les mêmes : la victoire à tout prix, la normalisation des abus de toutes sortes.

Tous les sports pratiqués à un haut niveau imposent une discipline corporelle excessive pour le commun des mortels. Des habitudes de vie qui ne sont pas « normales ». Un souci de son poids, de son alimentation. Dans tous ces sports, la relation avec un entraîneur, fondée sur la confiance, met l’athlète à risque, à divers degrés.

Ils sont tous, donc, « un terreau fertile » pour les abus, comme a dit Isabelle Charest, qui est à la fois ministre déléguée à l’Éducation, ministre responsable de la Condition féminine et médaillée olympique.

Peut-être certains plus que d’autres. Surtout quand ils sont fondés en partie sur l’apparence physique, quand ils impliquent des enfants.

Les fédérations qui ne savent pas où s’arrêtent l’exigence et la rigueur du sport d’élite et où commence l’abus nous disent au fond que leur sport lui-même est une forme de maltraitance. Qu’ils ne savent pas protéger les athlètes.

Si c’est le cas, on devrait sortir nos enfants de là au plus sacrant.