Art Ross. James Norris. Jack Adams. Georges Vézina. Tous ont prêté leur nom à un trophée de la Ligue nationale de hockey. On se doute bien qu’ils ont accompli quelque chose d’important. Mais quoi ? Malheureusement, leur histoire est méconnue.

Pourtant, leurs parcours sont fascinants.

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Georges Vézina, gardien du Canadien, dans les années 1910.

Prenez Georges Vézina. De 1910 à 1925, il était le gardien numéro un du Canadien de Montréal. Mieux que ça. Pendant cette période, il a disputé TOUS les matchs de l’équipe. Gagné deux fois la Coupe Stanley. Traversé l’Amérique du Nord en train. Géré un atelier de menuiserie. Un aréna. Une salle de cinéma. Un salon de quilles. Tout ça avant de mourir d’une tuberculose, à 38 ans, quelques semaines seulement après sa dernière partie dans la LNH.

C’est cette vie romanesque que le journaliste Mikaël Lalancette nous raconte dans son essai Georges Vézina – L’Habitant silencieux, la première biographie complète de l’ancien gardien du Canadien. Un projet ambitieux, lancé en 2005. Mikaël Lalancette avait alors… 20 ans !

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Mikaël Lalancette, auteur de la biographie de Georges Vézina

« J’aime l’histoire et le hockey, m’explique-t-il. En plus, comme Georges Vézina, je suis natif du Saguenay. J’ai grandi dans le centre sportif qui porte son nom. Je me suis donc toujours intéressé à ses exploits. Sauf que chaque fois que je lisais sur lui, je relevais des contradictions. Des affaires qui ne fonctionnaient pas. Je me suis mis à consulter les articles de l’époque. Surtout ceux entourant sa mort, en 1926. C’est là que j’ai réalisé l’ampleur du personnage. »

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Pendant quelques mois, en 2006, Mikaël Lalancette a poursuivi ses recherches. Puis il a amorcé sa carrière de journaliste. Radio-Canada, Le Soleil, Métro, TVA Sports. Le boulot n’a jamais cessé. Il a manqué de temps.

« Mais je continuais d’y penser. Quand j’habitais à Montréal, je faisais mon épicerie au coin de l’avenue du Mont-Royal et de la rue Saint-Urbain. C’est là que se trouvait autrefois l’Aréna Mont-Royal, où Vézina a terminé sa carrière. Sur le mur de l’édifice, il y avait une affiche, avec une photo de lui. »

En mars 2020, la pandémie a frappé. La ligue qu’il couvrait, la LHJMQ, a interrompu sa saison. Il s’est soudainement retrouvé avec beaucoup de temps libre. Il en a profité pour compléter ses recherches et écrire son manuscrit.

L’exercice a posé de nombreux défis.

D’abord, impossible d’interviewer Georges Vézina. Il est mort en 1926. Impossible de rencontrer ses coéquipiers et ses adversaires. Tous sont morts depuis longtemps. Ses deux fils ? Décédés. Ses 11 petits-enfants ? Ils ont peu entendu parler de l’histoire de leur grand-père et ne l’ont jamais croisé.

Aussi, de son vivant, Georges Vézina n’était pas un grand jaseur. Ses citations dans les journaux sont aussi rares que celles d’Andreï Markov. « L’hiver dernier, je suis certain que Georges n’a pas dit 100 mots en trois mois », note son coéquipier Sprague Cleghorn, dans La Presse, en 1922.

Dans une équipe qui compte plusieurs joueurs excentriques – Cleghorn, Didier Pitre, Édouard Lalonde, Jack Laviolette –, Georges Vézina et son flegme détonnent.

Les anglophones le surnomment le Chicoutimi Cucumber. Une référence à l’expression cool as a cucumber, qui décrit une personne calme, explique Mikaël Lalancette.

Les journalistes francophones, eux, varient les surnoms : le Gars de Chicoutimi, le Menuisier de Chicoutimi, la Merveille de Chicoutimi, le Magicien de Chicoutimi, l’Iceberg de Chicoutimi…

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Georges Vézina, ancien gardien du Canadien dans les années 1910 et 1920.

« À l’époque, raconte Lalancette, la plupart des joueurs francophones venaient de l’Ontario, des États-Unis ou des villes du sud du Québec. Vézina, lui, venait d’une petite ville éloignée du Saguenay. Ça le distinguait vraiment des autres joueurs. »

Pour enrichir son récit, Mikaël Lalancette s’est appuyé sur des documents officiels, plus précis que les récits des journaux de l’époque, un peu portés sur l’enflure.

Une excellente idée.

Ces documents font la force du livre. Ils permettent à l’auteur d’offrir plus que des résumés de parties. De situer Georges Vézina dans une période trop peu enseignée dans nos cours d’histoire. Le Québec des années 1910 et 1920.

« C’est dommage, dit-il, car c’est une période riche en évènements. Qu’on pense à la Première Guerre mondiale, à la grippe espagnole, à la crise de la tuberculose, au krach boursier… »

Mikaël Lalancette fait par exemple le portrait de la mortalité juvénile, alors très élevée au Québec. Georges Vézina et son épouse perdront eux-mêmes six enfants à la naissance, et un septième à l’âge de trois mois. Lalancette aborde aussi la sous-scolarisation (Vézina quitte l’école à l’adolescence), la tempérance (Vézina ne boit pas), le catholicisme (Vézina est croyant), le tabagisme (Vézina fume), le rapport des Canadiens français à l’argent, les conditions sanitaires et l’épidémie de grippe espagnole, qui coûte la vie à son coéquipier Joe Hall.

En parallèle, le journaliste rend compte de l’essor économique et des découvertes technologiques de l’époque. Ce sont les meilleurs extraits du livre.

Le gardien du Canadien passe alors pour un entrepreneur avant-gardiste. Georges Vézina est notamment propriétaire d’une salle de cinéma, une distraction méprisée par le clergé. Il fait aussi partie des actionnaires de l’aréna de Chicoutimi. Pendant des années, il rêve d’y aménager une glace artificielle – une innovation qui permet de prolonger la saison. Le développement de l’automobile et l’expansion du réseau ferroviaire lui permettront de visiter la Californie, l’Ouest canadien et d’assister à la Série mondiale de baseball. Des voyages exceptionnels, qui ouvriront ses horizons et susciteront la curiosité et l’admiration de ses concitoyens.

Cette biographie – essentielle – redonne enfin à Georges Vézina la place qu’il mérite. Sous les projecteurs. Et comptez sur Mikaël Lalancette pour perpétuer la mémoire de l’ancienne gloire du Tricolore au-delà de son essai.

« Mon prochain combat, ce sera de rectifier ses statistiques officielles auprès de la Ligue nationale. J’ai épluché tous les sommaires, un par un. Il y a des buts qui ne devraient pas lui être crédités, car il était au banc des punitions. Sa taille, aussi, doit être modifiée. Il était plus proche de six pieds que de cinq pieds six. Enfin, j’aimerais que son chandail soit retiré. À l’époque, on n’honorait pas les joueurs de cette façon. C’est arrivé beaucoup plus tard. Mais pour moi, il ne fait aucun doute que si cette pratique avait existé, il aurait eu droit à cet honneur. Il a brillé du début et à la fin de sa carrière. Même lorsqu’il n’avait pas de club devant lui. Georges Vézina a été un pionnier – et on ne devrait pas l’oublier. »

Georges Vézina – L’Habitant silencieux (Éditions de l’Homme) sera offert en librairie à partir du mercredi 24 février.